Un manuel numérique libre et gratuit de SVT :
pourquoi, comment et pour qui ?

Roger Raynal
 

   Depuis la rentrée 2008, j'ai mis en ligne le premier manuel scolaire de Sciences de la Vie et de la Terre (dénomination moderne de la biologie et la géologie) libre et gratuit. Depuis cette date, il a été révisé, amélioré, mais surtout téléchargé plusieurs milliers de fois dans le monde entier. Quelques précisions sur cet OPNI (Objet Pédagogique Non Identifié) s'imposent.

Pourquoi un manuel libre et gratuit ?

Le manuel   Le manuel électronique correspond à un besoin : il est peu coûteux à produire, reproductible et modifiable à l'infini, utilisable par la très grande majorité des élèves qui le désirent et lisible au moyen de nombreuses interfaces telles que les ordinateurs personnels, ceux des établissements scolaires mais aussi les téléphones mobiles et les ipods plus que largement répandus chez les élèves. De plus, il peut être intégré aux différents systèmes d'enseignement numérique et être mis à jour rapidement (un exemple de peu d'importance, mais significatif : le manuel de SVT « ancien » signalait que l'humain possédait 100 000 gènes, mais en cours de route ce chiffre a été ramené à 30 000 environ par les chercheurs, sans qu'il soit possible de modifier ce qui avait été imprimé...). Un manuel libre permet à chaque élève mais aussi à chaque professeur de réaliser ses « découpages » et de mettre au point sa propre solution en fonction des problématiques qu'il rencontre. L'intérêt de la gratuité, lui, me semble assez évident pour ne pas épiloguer sur l'utilisation rationnelle des fonds publics...

   Outre ces considérations logiques, la conjonction de plusieurs éléments a amené à la rédaction de ce manuel :

  • Le programme de SVT des classes de troisièmes évoluait, ce qui était l'occasion de réécrire les cours existants sans pour autant tout reprendre à zéro.

  • Ma pratique quotidienne de l'enseignement me démontrait que les manuels scolaires, dans ma discipline, étaient fort peu utilisés, pour tout dire quasiment inutiles, et que leur achat relevait plus d'un rituel dispendieux que de la raison. Ainsi, mon établissement n'a pas eu les moyens de remplacer les anciens manuels, et nous nous en passons très bien, mes collègues et moi-même. En effet, les manuels actuels ne sont pas faits pour les élèves, mais pour les profs. Ce sont des livres d'images qui ne présentent pas de façon structurée les connaissances. Ils sont donc inutiles aux rares élèves qui désirent s'en servir pour travailler ou rattraper une absence. Autant leur fournir alors un outil pratique, souple, moderne, adaptable à l'infini.

  • L'exemple de Sésamath m'a donné l'idée d'adopter une démarche similaire. Toutefois, je n'ai pas cherché à constituer une équipe. Étant fortement opposé à généralisation de la pédagogie des sciences actuellement en vogue, et qui se retrouve « imposée » dans les manuels des éditeurs, je ne désirais pas me retrouver à travailler avec des experts de « l'objectif obstacle » et du « constructivisme cognitif ».

  • Le large équipement informatique et l'accès internet généralisé pour quasiment tous mes élèves, quel que soit leur milieu social, était aussi le gage d'une utilisation facile d'un document électronique.

   Je ne cacherai pas non plus que le manuel répond aussi à une vision « personnelle » de l'enseignement. Ainsi, j'ai été aussi motivé par l'immobilisme des éditeurs « papiers », qui en sont à peine à découvrir le pdf en 2008. Lorsque, dernièrement, le syndicat national de l'édition ose soutenir que les livres électroniques ont le même coût que les livres papier et devraient être vendus le même prix, je me félicite d'avoir rédigé cet ouvrage.

   De plus, écrire un manuel permet d'avoir les coudées franches pour effectuer certaines mises au point, en particulier contre le créationnisme : des instructions officielles (« surtout, il ne s'agit pas de s'opposer aux croyances religieuses des élèves ») à la frilosité des éditeurs (parmi les manuels de SVT, Bordas, Hachette et Hatier ne connaissent même pas le mot « créationnisme »...), rien ne facilite la défense de la pratique scientifique contre l'obscurantisme. Ne pas éviter les problèmes qui se posent en classe, injecter un peu de réalité dynamique dans la statique des manuels scolaires est non seulement motivant, mais parfois aussi urgent.

Comment faire ?

   Chercheur de formation, j'ai écrit une trentaine d'articles et quelques livres (électroniques aussi...) ces dernières années, et j'ai mis en ligne mes cours dès 1998. La rédaction ne me posait donc pas de problème, et mon contact permanent avec les élèves était un atout pour réaliser un manuel accessible sans être pour autant racoleur (ce qui ne veut pas dire que sa lecture soit un pensum, au contraire, j'espère !). De plus, je connaissais bien le logiciel Pages (de la suite iworks d'Apple) qui permet très facilement et rapidement de réaliser le manuel. La possibilité de générer immédiatement des pdf me donnait l'assurance d'être accessible de tous les élèves et professeurs, et d'avoir une mise en page et une qualité graphique d'ensemble préservée.

   Iweb me permit de réaliser en quelques dizaines de minutes un site d'accompagnement simple et facile à utiliser. D'autres logiciels me permirent de réaliser les illustrations, mais je suis surtout redevable à la Wikimédia fondation pour les documents libres que j'y aie aussi trouvés. Enfin, des institutions et des chercheurs (quasiment tous Américains, les Français étant aux abonnés absents) me donnèrent l'autorisation d'utiliser certains documents photographiques. Par la suite, je fournis à Wikimédia les schémas que j'avais personnellement réalisés pour illustrer le manuel. Contrairement aux manuels papier, j'ai intégré au manuel de nombreux exercices ainsi que leur correction détaillée, sans hésiter à jeter des éclairages sur les dessous de la pratique scientifique, ses ombres, mais aussi ses éclatantes lumières. Un avantage indéniable de la solution électronique est aussi l'intégration dans le corpus du manuel de vidéos (ou de liens, pour le pdf, vers les vidéos) capables d'illustrer et d'expliciter un phénomène qu'il serait fastidieux, ou contre-productif, de décrire autrement.

Pour qui ?

   Le manuel s'adresse aux élèves, en priorité, mais à une classe particulière d'élèves : ceux qui ont envie de travailler et d'apprendre (les seuls qui, avec des manuels classiques, cherchent à lire les rares textes au lieu de tourner frénétiquement les pages à la recherche des illustrations salaces...). Il constitue aussi un message de soutien pour certains collègues professeurs qui n'osent pas tenir tête aux émules de l'école postmoderne, qui dirige la pédagogie ; impose, aux éditeurs une façon de travailler et de présenter leurs ouvrages, et aux professeurs une façon unique de faire cours. Il s'agit de montrer que l'enseignement des sciences n'est pas qu'un univers binaire oscillant entre les blouses grises de la troisième république et les activités récréatives « youkaïdi youkaïda ô apprenant exprime toi » des postmodernes. Les voies de l'enseignement sont multiples ! J'en ai privilégié une qui repose sur l'histoire réelle des sciences, mais il en est d'autres. C'est justement pour ne pas avoir à imposer une vision que le manuel se devait d'être libre, chacun pouvant y piocher seulement quelques exercices, un schéma ou au contraire tout utiliser. Les ebooks, les sites de publication comme calaméo permettent aussi de rendre plus visible le manuel et de toucher un plus large public (et, accessoirement, de diminuer ma consommation de bande passante !)

Résultats

   Dès la parution des premiers chapitres, les téléchargements ont décollé. L'utilisation par les élèves se limite à un tiers d'une classe (ce qui est mieux que je ne pensais, car j'escomptais moins du quart), surtout à cause des exercices corrigés (à ce sujet, une anecdote amusante, mais qui montre l'emprise de certains messages conduisant à des réflexes conditionnés : alors que je propose à des élèves de télécharger leurs cours sur mon site, un d'entre eux répond comme s'il récitait « il ne faut pas télécharger, télécharger c'est mal »... ravages des DRM de la pensée...).

   Contrairement à ce que j'attendais, il y a eu de nombreux téléchargements depuis l'étranger, dans presque tous les pays, même ceux qui ne font pas partie du monde de la francophonie. J'ai même été contraint de changer mon hébergement pour faire face à un trafic aussi imprévu que, finalement, bienvenu. Mon blog, sur le site dédié au manuel, raconte par le menu ces mésaventures.

   Les seules critiques, purement formelles, sont venues de certains professeurs sévissant sur le « forum national » des SVT, où l'immobilisme va atteindre bientôt le stade de la fossilisation. Leur critique portait sur le caractère « personnel » de l'ouvrage (comme si un seul individu ne suffisait pas à couvrir toute l'envergure du programme de biologie de troisième...). Certains de ces professeurs travaillant également comme auteurs pour des éditeurs « papier », leurs critiques (il s'agissait de définir la frontière sémiologique et heuristique entre « cours » et « manuel »), m'ont plutôt conforté dans mon intention...

Le site du manuel   À ce jour, le manuel a été téléchargé plus de 10 000 fois, et je viens de le réviser pour le rendre plus lisible, et y rajouter documents et exercices.

   Il se pourrait que, lorsque la situation du lycée sera stabilisée et ses programmes de sciences clairs, j'essaye de rédiger un manuel pour les classes de seconde. J'envisage aussi de rédiger un manuel de niveau universitaire, car les illustrations accessibles sur Wikimédia sont à ce point exceptionnelles qu'il serait un plaisir de les utiliser (et d'enrichir le fond documentaire de la fondation de mes propres productions, si limitées soient-elles) pour l'enseignement de la biologie moléculaire, par exemple.

Pr. Roger Raynal
Dr de l'université de Toulouse

Site du manuel : http://web.me.com/pr.dr.raynal/Sitmanuel/Bienvenue.html.

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Association EPI
Avril 2009

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