Pas de sort particulier !
 

   L'on sait que la prévision est un exercice difficile mais il semble bien établi que l'Europe en général, la France en particulier, souffre d'une pénurie d'informaticiens. Une étude récente avance à l'horizon 2010 un déficit annuel de 70 000 spécialistes [1]. En octobre dernier, lors du Forum des femmes pour l'économie et la société, Mme Viviane Reding, membre de la Commission européenne responsable des télécommunications, soulignait la pénurie de main-d'oeuvre qui menace le secteur européen des TIC dans lequel, faute de personnel qualifié, ce sont 300 000 emplois qui risquent de rester vacants en 2010 [2]. Elle a exprimé le souhait légitime qu'un plus grand nombre de femmes se forment aux TIC.

   D'évidence le compte n'y est pas. Et il faut se tourner du côté des systèmes éducatifs pour voir ce qui se fait et ce qui ne se fait pas ! La réforme des lycées, reportée, comporte un module « Informatique et société numérique ». Nous avons dit et redit combien ce module nous semble particulièrement bienvenu (même s'il n'est pas suffisant) car correspondant aux besoins de notre époque : défis économiques mais aussi formation de l'homme et du citoyen du 21e siècle.

   Il en va ainsi : quand une discipline est partout dans la société et dans les autres disciplines enseignées, elle devient une discipline scolaire en tant que telle : elle est alors quelque part en particulier dans le système éducatif. C'est d'évidence le cas pour l'informatique et un gage de rationalité et d'efficacité pédagogiques.

   Pour certains, qui s'appuient sur les pratiques des jeunes, cela ne serait pas nécessaire. Leurs utilisations d'Internet, dans et hors l'École, suffiraient. Qu'en est-il exactement ?

   D'abord, il faut relativiser fortement les compétences acquises, qui restent limitées à celles qui sont nécessaires dans les usages quotidiens [3]. Elles sont difficilement transférables dans un contexte scolaire. Les pratiques ne donnent lieu qu'à une très faible verbalisation. Les usages reposent sur des savoir-faire limités, peu explicitables et laissant peu de place à une conceptualisation. Il ne faut pas confondre « consommation » et « création » d'informatique, utilisation « intelligente » des outils.

   Ensuite, cette situation des élèves concernant les outils informatiques est loin d'être une exception. Et l'on n'en tire pas la conclusion que des apprentissages structurés de connaissances abstraites sont inutiles. Par exemple, un enfant à qui l'on n'a pas encore enseigné sa langue maternelle maîtrise, de fait, une bonne part des formes grammaticales. Mais, si l'on se contente de son sens de la langue et de sa connaissance pratique, si on ne lui apprend pas la grammaire et l'orthographe, ses écrits comporteront fautes et clichés dénotant un certain manque de culture [4].

   Rémy Brissiaud, chercheur en pédagogie, rapporte que des enfants des favelas de Rio de Janeiro, non scolarisés, savent calculer « 3 fois 50 ». En revanche, ils ne savent pas combien font « 50 fois 3 » ! La différence s'appelle cours de mathématiques.

   Alors pourquoi faire un sort particulier à l'informatique ?

Le 15 mars 2009

Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI

NOTES

[1] http://www.01net.com/editorial/372739/l-europe-souffrirait-d-une-penurie-d-informaticiens-il-pourrait-manquer-pres-de-70-000-specialistes-par-an-en-2010/.

[2] http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=MEMO/08/631&format=PDF&aged=0&language=FR&guiLanguage=fr.

[3] Cédric Fluckiger :
« La sociabilité juvénile instrumentée. L'appropriation des blogs dans un groupe de collégiens », Réseaux n° 138, 2006, p. 111-138.
« L'école à l'épreuve de la culture numérique des élèves », Revue française de pédagogie n° 163, INRP, 2008, p. 51-61.

[4] L'homme instruit n'est pas celui qui peut écrire sans faire de fautes d'orthographe, mais celui qui ne peut écrire autrement que correctement, sans qu'il y prête particulièrement attention.

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Association EPI
Mars 2009

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