Apprendre par les logiciels libres à l'École ouverte francophone

Olivier Ricou
 

Résumé

   Cet article présente une réflexion sur l'utilisation du libre dans l'enseignement à distance. Il se base sur l'expérience de la formation aux logiciels libres par les logiciels libres de l'École ouverte francophone. L'idée est d'appliquer les clefs de la réussite du modèle des logiciels libres à la formation à distance. Cela a mené à définir un environnement informatique adapté à l'esprit de la formation où seul l'agenda de la plate-forme développée est utilisé, les autres outils nécessaires à la formation étant les outils usuels des TIC : mail, chat, wiki, etc. L'auteur pense que ce choix naturel dans le cadre d'une formation en informatique, pourrait être appliqué à d'autres formations afin de familiariser les apprenants aux outils des TIC. Pour conclure, l'article présente l'expérience positive des premières formations et suggère de tester le modèle du libre à d'autres formations.

1 Introduction

   Les logiciels libres sont des logiciels dont le code source est librement accessible. Librement au sens où on peut en faire ce que l'on désire comme les modifier et les diffuser. Ils sont omniprésents dans le fonctionnement d'Internet et équipent la majorité des serveurs. Leur forte diffusion est principalement liée à leur qualité, à leur gratuité et à la ferveur de ceux qui les développent.

   Les raisons de cette ferveur sont liées à la philosophie sous-jacente au libre que l'on appelle l'esprit du libre, à savoir le partage de la connaissance et du travail. De nombreux défenseurs du libre y voit même un combat politique. D'autres raisons que l'on étudiera peuvent expliquer la motivation des développeurs de logiciels libres. Citons déjà l'appartenance à un grand projet et la reconnaissance de ses pairs et des utilisateurs. Pour un enseignant, le travail accompli par les milliers de développeurs bénévoles du libre, tant en quantité qu'en qualité est une source de jalousie (ah ! si je pouvais transmettre ce virus à mes élèves et les faire travailler avec autant de passion). De son coté, l'informaticien y voir le meilleur des mondes où chacun offre le fruit de son petit travail aux autres pour récupérer l'immense travail de la collectivité...

   Il était donc tentant pour des enseignants en informatique de mélanger les deux mondes en montant un projet de formation aux logiciels libres par les logiciels libres. Si on ajoute que le support des logiciels libres est Internet et que le développement des logiciels libres se fait à distance, il semble naturel pour coller au modèle de proposer une formation à distance sur Internet. Ce projet, soutenu par l'Europe et ouvert fin 2004, est l'École ouverte francophone ou l'Éof. Bien sûr ce projet s'inscrit dans l'esprit du libre, tant par les logiciels utilisés et développés, que par la façon d'enseigner. Aujourd'hui la première promotion est sortie, ce qui nous permet un premier regard sur cette expérience. Cet article se découpe en trois parties. La première partie revient sur les mécanismes sous-jacents aux logiciels libres dans le but d'étudier ce qui peut être repris dans l'enseignement et en particulier dans l'enseignement à distance. On aborde ensuite les besoins de l'Éof, les outils développés à l'occasion comme la plate-forme de formation et ceux repris du monde du libre. Enfin nous présentons l'expérience des formations longues données à l'Éof.

2 La mécanique des logiciels libres

   Le développement d'un logiciel libre est tôt ou tard une oeuvre collective développée à distance. La disponibilité du code source de ces logiciels incite de nouveaux développeurs à se joindre au développement ce qui, tôt ou tard, rend l'éparpillement des développeurs inévitable. Un grand projet libre regroupe plusieurs milliers de développeurs.

   À y regarder rapidement, le développement d'un logiciel libre est totalement anarchique. Les uns ajoutent les fonctionnalités qu'ils désirent voir dans le logiciel, d'autres corrigent le code source, d'autre participent à l'écriture de la documentation, d'autres donnent leur avis... Et comme chacun est libre de travailler sur ce qui lui plaît, on peut se demander comment un logiciel libre peut devenir un logiciel fini et de qualité. Ce processus de développement est connu sous le nom de bazar en référence à l'article d'Éric Raymond (2001) « La cathédrale et le bazar ». Il est cependant moins aléatoire qu'on peut l'imaginer comme le montre Éric Raymond. Tout projet libre dispose d'un noyau de développeurs qui de part leur ancienneté et leur bonne connaissance du projet garantissent sa cohérence. Les directions à choisir sont discutées et prises en commun ce qui permet des choix raisonnables et la participation du plus grand nombre. Enfin, un outil informatique gère l'historique du développement et permet à quiconque de reprendre le projet là où il le veut pour en développer un parallèle, quitte à fusionner ultérieurement les deux branches.

   La véritable faiblesse des logiciels libres qui est devenu leur grande force est le bénévolat des développeurs, une personne travaillant pour son plaisir étant en général plus efficace. Comment faire en sorte que des personnes travaillent bénévolement sur des projets chronophages ? En regardant différents projets libres, on trouve certains points communs qui peuvent motiver le développeur, à savoir :

  1. mieux qu'un travail, un loisir, une passion,
  2. une reconnaissance et une interaction fortes,
  3. l'appartenance à une communauté ayant une image positive,
  4. une base solide de logiciels libres,
  5. des outils logiciels adaptés au travail collectif à distance,
  6. un lieu de travail adapté.

   On retrouve des critères dans le monde de l'enseignement. Le premier point est à la base de l'edutainment, le second est le B-A-BA de l'éducation, le troisième est particulièrement appliqué par les écoles du supérieur. Le quatrième point, plus spécifique au développement des logiciels libres, indique l'importance de construire sur de l'existant. Le cinquième point est crucial dans le cadre d'un enseignement à distance. Enfin, dans son essai, What Business Can Learn from Open Source, Paul Graham (2005) souligne l'importance du sixième point, considérant que le meilleur lieu de travail est chez soi, dans un cadre de travail construit sur mesure et surtout loin des nuisances du bureau.

   Mais le modèle du monde du libre va plus loin d'après Paul Graham puisqu'il considère dans son article que de nombreux métiers augmenteraient significativement leur productivité en appliquant ces points.

   Le modèle du libre a effectivement prouvé son efficacité en terme de création collective à distance. Limité initialement au monde informatique, il en est sorti aujourd'hui comme le montre le succès remarquable du Wikipédia. Il semble aussi tout à fait adapté au monde de l'enseignement à distance qui, comme on vient de le voir, a conscience de la force de ces points. La question qu'on peut alors se poser est celle de l'effort à faire pour adapter le monde du libre à l'enseignement à distance.

2.1 Les logiciels libres un Environnement Informatique pour l'Apprentissage Humain ?

   Une différence notable entre les systèmes d'exploitations issus de la micro-informatique, Windows et MacOS, et ceux issus du monde de la recherche, les UNIX, vient de l'interface homme/machine, IHM. Les premiers simplifient le plus possible l'utilisation de la machine quand les seconds conservent l'interface texte, plus proche du système d'exploitation mais plus difficile d'accès car demandant d'apprendre le langage du système d'exploitation.

   Aujourd'hui les systèmes basés sur les logiciels libres, les héritiers des UNIX, ont évolués et offrent aussi des IHM conviviales mais l'informaticien apprécie toujours de pouvoir dialoguer avec l'ordinateur en direct et non via un environnement graphique, l'interface graphique étant limitée par la vision de son développeur.

   Cet obstacle entre la machine et l'utilisateur se retrouve dans l'enseignement en ligne. C'est la distance introduite par le dispositif informatique entre l'apprenant et le concept. L'originalité ici est que le concept est l'informatique et donc que le concept est trahi par lui-même. Pour introduire le risque lié à la représentation, en particulier lorsqu'elle est laissée aux mains des informaticiens en charge du développement de la plate-forme d'enseignement, on donne l'exemple de la parabole y = x2 perçue différemment suivant qu'on ait sous les yeux l'équation ou son graphe. Mais on retrouve cette même différence de perception suivant la présentation en informatique, y compris pour les applications courantes. L'exemple du courrier électronique est intéressant car connu de tous mais perçu différemment suivant son utilisation. Il est une connexion à un serveur distant suivant un protocole simple pour quelques-uns, une application Internet disposant de nombreux outils, clients, offrants des possibilités comme tracer les mails en lisant les en-têtes pour d'autres ou un service Web via les WebMail pour les derniers. Dans ce dernier cas, la différence entre l'Internet et le Web n'est plus toujours claire, le mail étant souvent l'unique application n'utilisant pas un navigateur. L'intégration du courrier dans une plate-forme, ce qui donne le plus souvent un WebMail, cache donc l'aspect application Internet et propose souvent moins de services qu'un logiciel lecteur de mail. Bien sûr cette intégration réduit l'obstacle informatique pour permettre à l'apprenant de se consacrer sur sa formation, mais ne peut-on pas profiter de l'occasion pour utiliser et comprendre ces outils de travail collaboratif ?

   Dans le cadre d'une formation à l'informatique et plus particulièrement à l'administration système, la question ne se pose pas, l'apprenant doit maîtriser tous ces outils. Avec les logiciels libres, l'apprenant dispose non seulement d'un système d'exploitation et de très nombreux logiciels qu'il peut utiliser et modifier, mais aussi de ressources documentaires immenses et d'« encadrants » tout aussi nombreux. Cet environnement a permis à des informaticiens, parfois autodidactes, d'obtenir un niveau de formation de qualité. Le monde des logiciels libres offre donc une méthode de travail et un EIAH [1] au sens large, cf. (Balacheff N., 1998 ; Tchoutinikine P., 2002).

   Mais tout n'est pas rose et deux points importants méritent d'être soulignés :

  • la méthode des logiciels libres est élitiste, elle sélectionne naturellement ce qui il y a de meilleur et oublie le reste ainsi que ceux qui décrochent,

  • l'environnement des logiciels libres n'est pas simple à maîtriser et représente encore de nos jours un obstacle informatique.

3 Une plate-forme de formation libre et ouverte

   L'école ouverte francophone, Éof, a été créée dans le but d'offrir une formation par les logiciels libres à l'administration de systèmes informatiques basés sur des logiciels libres. Le choix de l'environnement informatique a été guidé par les besoins suivants :

  1. utiliser les logiciels libres utilisés dans l'administration système et le développement des logiciels libres,
  2. donner une cohérence à la formation,
  3. transmettre l'esprit du libre.

   Le premier point se retrouve dans l'utilisation des logiciels libres comme environnement informatique pour l'apprentissage humain, EIAH, les outils de travail collaboratif étant ainsi naturellement utilisés.

   Le second point nécessite au contraire un travail de scénarisation pédagogique pas courant dans le monde du libre. Il demande aussi un système d'encadrement constant pour éviter les risques de décrochages, inévitables dans le monde du libre si la passion baisse, usuels dans l'enseignement.

   Enfin la transmission de l'esprit du libre demande de donner à l'apprenant une liberté d'action importante et le pousse à partager, à collaborer avec son environnement, les autres apprenants, mais aussi les enseignants et dans l'idéal le monde du libre. Une relation saine est un équilibre où tout le monde y gagne.

   Ces contraintes nous ont amenées à développer une plate-forme en collaboration avec le département de l'Innovation Pédagogique, IP, de l'ENST [2], en partant de leur expérience. Arnaud Galisson, responsable du département d'IP, a ainsi souligné deux points qui offrent la cohérence tout en conservant la liberté, cf. (Galisson A., 2003).

Un dispositif de FOAD [formation ouverte à distance] est un ensemble cohérent, organisé (scénarisé), souple et régulé d'activités pédagogiques (pour l'apprenant) intégrant :
- accompagnements (tutorat pédagogique individuel, animation de groupe, aide technique, etc.)
- espaces-temps multiples (session de regroupement, activité sur le lieu de travail, activité distante chez soi, etc.)
...

   La cohérence est induite par la régulation des activités et l'accompagnement pensé avec la conception des cours et de la formation.

   La liberté provient essentiellement de la souplesse offerte par les espaces-temps multiples. Ce schéma permet tout autant aux apprenants de s'organiser qu'aux responsables de la formation de réaménager le cursus en direct.

   Du point de vue pratique, ces idées se traduisent par deux logiciels :

  • OASIF, l'Outil d'Aide à la Scénarisation pour l'Ingénierie de Formation,
  • Amarante, la plate-forme qui supporte les scénarios générés par OASIF.

   Ces logiciels, distribués sous licence libre, sont disponibles sur http://www.amarante.eu.org/.

3.1 OASIF

   OASIF, initialement un logiciel propriétaire de l'ENST, a été entièrement redéveloppé en Java par l'ENST, l'INT et le CNERTA afin d'être exécutable sous les principaux systèmes d'exploitation. Sa version 2, sortie en 2006, est sous licence libre.

   OASIF est un outil qui pousse le formateur à scénariser sa formation. Ainsi chaque formation se décompose en module, les modules en séquences d'activité et les séquences en activités pédagogiques dont le type est indiqué par un code couleur. Chaque entité se positionne sur un bandeau qui déroule le temps. Il est possible d'avoir plusieurs activité en parallèle sachant que le temps représenté graphiquement correspond à la période durant laquelle doit être fait le travail et non au temps de travail qui lui est défini au sein des activités pédagogiques. La figure 1 souligne le parallélisme des séquences et des activités. Le panneau du bas donne les informations sur l'élément sélectionné, la séquence dans ce cas et non l'activité sur laquelle le curseur a été positionné ensuite. Ainsi le formateur peut évaluer rapidement la quantité de travail qu'il impose tout en laissant une certaine liberté à l'apprenant dans sa gestion du temps.

   Le fonctionnement d'OASIF a effectivement permis à des enseignants habitués au face à face de mieux percevoir les contraintes de l'enseignement à distance et les possibilités offertes. Les différents types d'activité proposés ainsi que les formulaires liés à ces activités sont une aide appréciable. L'interface graphique est assez conviviale pour permettre de tester différentes configurations rapidement.

   Enfin le découpage de la formation en niveaux d'activité simplifie le travail collaboratif des formateurs, tuteurs et organisateurs.


Fig. 1 – Construction d'un module de l'Éof avec OASIF 2.02.

   On trouvera une présentation détaillée de la version 1 d'OASIF dans (Galisson A. et Nouveau J.-S., 2002). La version 2 reprend les mêmes principes.

3.2 Amarante

   Amarante est une plate-forme d'enseignement à distance intégrant les scénarios produits par OASIF. Son développement a été réalisé par l'ENST et l'Éof, dans le cadre du programme d'actions innovatrices « Practiciel » soutenu par l'Europe.

   On retrouve, en plus des outils usuels des plates-formes d'enseignement à distance, l'agenda qui se décline suivant trois codes couleurs : le type d'activité, la quantité de travail déjà effectué et, pour les accompagnants, les activités auxquels ils participent. La figure 2 indique l'état d'avancement de l'apprenant sélectionné. Il est aussi possible d'avoir l'état d'avancement de l'ensemble de la promotion.

   L'aspect épuré de l'agenda permet de se concentrer sur l'organisation de son emploi du temps. Le survol des éléments fait apparaître des bulles qui résument le travail demandé. À l'usage aucun apprenant n'a fait part de difficultés pour l'utiliser. Cela étant, l'outil ne fait pas le travail et force est de constater que les retards des apprenants existent toujours.


Fig. 2 – Amarante : suivi d'un apprenant.

   On notera que l'apprenant de la figure 2 n'a fait aucune intervention sur les forums et que son nombre de publication est nul. Il ne s'agit nullement d'un cancre mais du choix de l'Éof de n'utiliser Amarante que pour son agenda et la description des activités, les discussions ayant lieu via des listes de diffusion et les rendus étant publiés sur les sites web de chaque apprenant.

3.3 Les autres outils d'apprentissage

   OASIF et Amarante représentent la colonne vertébrale de la formation. Ils peuvent suffire à une formation classique mais pour une formation dont le but est, entre autre, la maîtrise des logiciels libres de travail collaboratif pour laquelle il nous a semblé préférable de restreindre l'utilisation de la plate-forme d'enseignement au minimum.

   Les outils les plus utilisés par les apprenants de l'Éof sont, dans l'ordre et en excluant Amarante :

  • le web, pour trouver d'autres sources, elles sont nombreuses en ce qui concerne Linux et les logiciels libres,
  • les listes de diffusion, donc le mail,
  • les pages web personnelles qui comprennent les journaux des apprenants,
  • les discussions interactives (IRC, Jabber),
  • les wikis pour la coordination des projets,
  • les gestionnaires de version (CVS).

   Les outils de recherche de l'information sont les plus utilisés, suivis par les outils de communication, les outils de production étant les moins utilisés. Ce résultat n'est pas surprenant si on considère qu'on utilise le plus ce qu'on connaît le mieux. Tous les apprenants utilisaient un navigateur ou un lecteur de courrier avant la formation, aucun n'avait utilisé un gestionnaire de version.

   Parmi ces outils, les journaux, témoins de l'activité des apprenants durant toute leur formation, représentent un réel succès pédagogique. Ils ont un impact fort tant en tant qu'outil de diffusion de l'information, qu'exercice de rédaction, que carnet de note qui servira plus tard et que source d'information pour les autres. La qualité de certains journaux nous laisse envisager la création d'un guide de l'administrateur Linux écrit par l'ensemble des apprenants durant leur formation.

4 L'expérience de la formation de l'Éof

   L'école ouverte francophone propose deux types de formation, une courte d'introduction à Linux, gratuite et ouverte à tous, et une longue, de 26 semaines à raison de 12 heures par semaine, ayant pour but la certification professionnelle à l'administration Linux et aux logiciels libres. En 2006, la première année d'activité, l'Éof a reçu 47 personnes à la formation courte et 19 à la formation longue.

   Le retour d'expérience décrit ici provient des apprenants de la formation longue, certes moins nombreux mais plus à même de juger la méthode et les outils proposés de part leur implication dans la durée. Ce retour est facilité par le contact permanent entre les apprenants et les deux responsables de la formation, présents à tous les cours, en plus des enseignants.

4.1 Les apprenants

   Sur les 19 apprenants, 11 proviennent de la première session, 8 de la seconde toujours en cours. Sur les 11 premiers, 2 ont rapidement abandonné.

   Le profil des apprenants est le suivant : homme, niveau bac+2, ayant des connaissances en informatique, entre 20 et 45 ans avec une moyenne à 33 ans, ayant tous une activité principale autre que la formation. L'Éof étant une nouvelle association non affiliée à une université, on peut considérer que ces apprenants ont fait preuve d'une réelle volonté pour s'engager dans une formation longue, nouvelle et payante (1 500 €).

4.1.1 Capacité d'apprentissage en ligne

   Pour la seconde promotion, nous avons mis en ligne un sondage permettant d'évaluer la capacité d'apprentissage en ligne. Ce sondage est celui proposé par Kerr, Rynearson et Kerr (2006). Chaque apprenant a ainsi répondu aux 45 questions qui se divisent en cinq catégories : les capacités en informatique, le besoin d'encadrement, l'indépendance, le niveau scolaire et le besoin d'enseignement à distance.

   Le sondage est disponible sur http://www.eof.eu.org/cgi-bin/test.py. Les apprenants de la première promotion ont aussi été invités à faire ce sondage. On note un meilleur résultat, +7 %, pour les étudiants de la seconde promotion qui sont plus âgés, 5 ans de plus en moyenne.

   Le résultat global est :

 

total
(max 225)

capacité
en info.

besoin
d'encadrement

indép.

niveau
scolaire

besoin
d'EAD

moyenne

178

4,876

3,682

3,809

3,650

3,509

écart type

10,536

0,202

0,446

0,478

0,401

0,689

Tab. 1 – Sondage proposé par Kerr et al. appliqué aux apprenants de l'Éof.
Chaque question est sur 5, la 1re colonne somme les réponses, les autres sont des moyennes.

   On peut comparer ces réponses à celle obtenues par Kerr et al. :

 

total
(max 225)

capacité
en info.

besoin
d'encadrement

indép.

niveau
scolaire

besoin
d'EAD

moyenne

170

4,16

4,06

3,78

3,84

2,44

Tab. 2 – Sondage réalisé par Kerr et al. sur 76 étudiants d'une université du Texas.

   On constate qu'en dehors du niveau scolaire, les apprenants de l'Éof semblent mieux adaptés à la formation en ligne que les élèves de Kerr et al. Il faut néanmoins tempérer ces résultats en prenant en compte la moyenne d'âge nettement supérieure de nos apprenants et le fait qu'ils soient tous familiers de l'informatique. La différence de niveau scolaire est plus étonnante, les apprenants de l'Éof étant en majorité au niveau Bac+2. Il reste que l'appréciation de soi varie beaucoup suivant les personnes et leur culture.

4.2 Un résultat voulu : une coopération et une collaboration

   Les deux buts de la formation sont la transmission de connaissances techniques, et, le lecteur l'aura compris, la transmission de l'esprit du libre. Le premier point, jugé positivement par les apprenants, valide la méthode et répond à la demande des apprenants et de leurs futurs employeurs. Le second point, le plus délicat, vise à transmettre la méthode dont on retrouve différents points, comme la coopération et la collaboration, dans le monde de l'éducation où Robert Lewis (1996) différencie la coopération de la collaboration par le but à atteindre. Dans le premier cas chaque membre du groupe a son but et aidera dans la mesure de son possible les autres, en répondant à des questions techniques par exemple, alors que dans le cas de la collaboration tous les membres du groupe ont le même but et vont y travailler ensemble. Dans le monde du libre, les forums, les FAQ, sont des exemples de coopération où les anciens aident les nouveaux. Le développement d'un logiciel libre est l'exemple le plus naturel, au sein du libre, de collaboration.

   Aussi la formation a poussé les apprenants à coopérer et collaborer via les projets et outils imposés. Le résultat n'a pas été immédiat mais, les enseignants aidant, le modèle est passé et il n'a plus été besoin d'intervenir en fin de formation pour que les apprenants travaillent en groupe, mettent en place les outils adaptés, et modifient les groupes d'un projet à l'autre. Guilhem témoigne [3] :

J'ai trouvé à l'École beaucoup plus de choses que je ne l'avais imaginé au premier abord. Je pensais en apprendre sur les logiciels libres, j'ai aussi appris sur le travail collaboratif et le partage. Cet aspect humain est vraiment l'un des points positifs de cette formation.

   L'absence de notation des apprenants, remplacée par une appréciation des enseignants et des responsables de la formation, participe aussi aux bonnes relations.

5 Conclusion

   L'expérience menée a pour but d'enseigner l'administration de systèmes informatiques par les logiciels libres sans séparer les outils utilisés de l'apprentissage. Il s'agit de supprimer la frontière entre l'EIAH et la matière enseignée. Ainsi dans l'idéal tout ce qui est utilisé est compris. Cet objectif est rendu possible de par la richesse des logiciels libres qui couvrent l'ensemble de la matière enseignée, la gratuité qui permet de tester à volonté, la liberté de les adapter et l'aide apportée par la communauté pour chaque logiciel.

   D'un point de vue pédagogique l'apprenant est plongé dans le monde virtuel qu'est Internet en ayant comme but d'adapter son ordinateur pour utiliser au mieux les possibilités offertes suivant les buts donnés. L'expérience a montré le succès de la tenue d'un journal tant comme repère pour l'apprenant que comme outil de suivi pour l'enseignant et aide pour les autres apprenants.

   Du point de vue des logiciels de formation à distance développés, OASIF a parfaitement rempli son rôle d'aide à la scénarisation et Amarante a su offrir les services attendus pour la visualisation du planning de l'étudiant, de l'encadrant et le suivi de chaque apprenant ainsi que de la promotion. Il est à noter que des problèmes d'ergonomie ont été soulevés et devront être corrigés dans la future version. Ces problèmes n'ont jamais été bloquants ni pour les apprenants, ni pour les enseignants.

   Concernant la diversité des outils utilisés, ce choix continu d'être approuvé et l'intégration ou l'utilisation de la messagerie ou des forums au sein d'Amarante n'est pas d'actualité. Amarante reste pour cette formation l'agenda riche qu'il est. Il est envisagé d'intégrer ce point fort d'Amarante dans une plate-forme modulaire comme Sakai, tant pour en faire profiter Sakai que pour nous décharger des autres modules.

   Enfin les apprenants ont été positivement surpris par la méthode utilisée. Alors qu'ils ne pensaient qu'apprendre un système informatique et des logiciels, ils ont découvert un mode de travail collaboratif basé sur le partage. Cet aspect a créé des liens entre les apprenants au point que tous les apprenants de la promotion sortie ont tenu à faire le voyage, optionnel, à Limoges, lors de la remise des diplômes, afin de se rencontrer physiquement.

   Mais les apprenants de l'Éof sont des personnes motivées et mûres, non représentatives de la majorité des élèves. Les enseignants savent que pour beaucoup d'étudiants la note est un élément plus important qu'un travail, aussi passionnant soit-il. Proposer un travail passionnant n'est pas suffisant, il faut arriver à transmettre la passion et pour cela créer l'environnement adéquat. Le libre, de par ses éléments moteurs, peut participer à la création de cet environnement y compris dans d'autres domaines que l'informatique. Le succès de la Wikipédia le montre et peut servir d'exemple.

Remerciements
Je tiens à remercier Arnaud Galisson de l'ENST, Alix Mascret et Jean-Philippe Gaulier de l'Éof, sans qui le projet de l'Éof n'aurait pas été ce qu'il est, ni cet article.

27 août 2007

Olivier Ricou
ricou@lrde.epita.fr
Laboratoire de Recherche et de Développement de l'EPITA,

Références

Retour Balacheff Nicolas (1998). Éclairage didactique sur les eiah en mathématique, Actes du Colloque annuel de la Société de Didactique des mathématiques du Québec, Montréal : Université Concordia, p. 11-42.
http://www-leibniz.imag.fr/DIDACTIQUE/Balacheff/GDM98/index.html.

Retour Galisson Arnaud (2003). Qu'est-ce que dispositif de formation ouverte et à distance (dfoad).
http://www.csti.pm.gouv.fr/elements/DFOADJuillet2003.pdf.

Retour Galisson Arnaud et Nouveau Jean-Sébastien (2002). Oasif : un outil collaboratif d'aide à la scénarisation de modules de formation ouverte et à distance, TICE 2002.

Retour Graham Paul (2005). What business can learn from open source.
http://www.paulgraham.com/opensource.html,
http://www.tddsworld.com/translations/pg_opensource.html pour une traduction française.

Retour Kerr Marcel S., Rynaerson Kimberly and Kerr Marcus C. (2006). Student characteristics for online learning success, The Intenet and Higher Education, n° 9, p. 91-105.

Retour Lewis Robert (1996). Editorial : Cooperation or collaboration, Journal of Computer Assisted Learning, n° 12(2), p. 65.

Retour Raymond Eric S. (2001). Cathedral and the Bazaar : Musings on Linux and Open Source by an Accidental Revolutionary, O'Reilly Media.

Retour Tchounikine Pierre (2002). Quelques éléments sur la conception et l'ingénierie des eiah, Actes des deuxièmes assises nationales du GdR I3, p. 233-245.
http://www-lium.univ-lemans.fr/~tchou/publis_ligne.php.

NOTES

[1] Environnement Informatique d'Apprentissage Humain.

[2] École Nationale Supérieure des Télécommunications.

[3] http://www.eof.eu.org/spip.php?article109.

___________________
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Octobre 2007

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