Le plaisir d'apprendre pour apprendre Jean-Pierre Archambault Les TICE favorisent le travail collectif et aident au travail individuel, ont l'attrait de la nouveauté, permettent de motiver les élèves par des situations de « communication réelle » qui pour eux font sens... Il importera ensuite à l'enseignant de permettre le passage au général et à la conceptualisation. Si la machine facilite la médiation de l'enseignant, la pédagogie ne saurait se dissoudre dans les TICE. Les TICE ont des vertus éducatives multiples, notamment en direction des publics scolaires en difficulté. C'est une des raisons pour lesquelles des académies, comme celle de Créteil, ont développé à une certaine échelle avant d'autres le recours à l'ordinateur dans la pédagogie. Il est en effet des situations délicates qui amènent à être très attentifs à tous les apports, à toutes les aides, à tous les outils permettant de continuer à enseigner là où le contexte socio-économique rend quelque peu problématique l'action éducative. Des usages significatifs des TICE se sont installés depuis une quinzaine d'années dans les établissements scolaires. Ils permettent d'avoir quelques certitudes quant à leurs potentialités en matière de sens qu'elles peuvent contribuer à donner aux apprentissages, de motivation des élèves, de support à l'individualisation mais aussi au travail collectif, ou à l'activité cognitive. Le recours aux TICE doit s'inscrire dans une démarche de l'enseignant. L'outil ne se substitue pas à la pédagogie. Il lui donne une plus grande efficacité. À certaines conditions, et dans certaines limites. Communication électronique au collège Les témoignages abondent sur l'intégration de l'ordinateur dans la pédagogie. Nous ferons référence essentiellement à l'apprentissage des langues, maternelles ou étrangères. Écoutons, par exemple, ce professeur d'anglais de collège [1] : « Toutes les mains se lèvent lorsque je demande, après avoir expliqué les différentes contraintes (obligation de répondre dans les quinze jours, travail de recherche donc travail supplémentaire), quels sont les élèves désireux d'avoir des correspondants en Grande-Bretagne, au Canada ou aux États-Unis. Il n'est alors plus besoin de les pousser à ouvrir un dictionnaire pour comprendre un mot nouveau. La documentaliste est souvent sollicitée afin de réunir la documentation nécessaire pour répondre à la question posée de l'autre côté de la Manche ou de l'Atlantique. Les points de grammaire et de civilisation passent mieux car ils sont abordés à partir de textes authentiques. Il faut entendre les manifestations de joie lorsqu'ils découvrent sur l'écran qu'ils ont du courrier. Il faut voir la fébrilité avec laquelle ils lisent leurs messages, comment ils échangent et comparent les informations reçues. Cette technologie [2] constitue maintenant un élément essentiel de ma pratique pédagogique. » Le sens Sous-jacent à ces propos, le sens. Certains élèves acceptent les situations que l'on a l'habitude de dire scolaires. Nul besoin de les motiver pour les amener à l'abstraction, la théorie et la logique interne et cachée du monde qui les entoure. Le goût pour la connaissance et les choses de l'esprit est solidement ancré. Leur environnement culturel engendre naturellement le plaisir d'apprendre pour apprendre. À l'opposé, d'autres élèves ne voient pas pourquoi rédiger une rédaction qui ne sera lue que par le seul professeur, rechignent devant les longs détours, les chemins « tortueux » que l'on doit emprunter pour s'approprier les connaissances et les savoirs. Ils refusent, eux, la règle du jeu scolaire. L'on sait bien qu'il faut en chercher des raisons majeures du côté de la prégnance forte et contraignante dans leur quotidien des aspects matériels de l'existence, qui véhiculent des valeurs et des symboles spécifiques. Le regard porte moins loin quand on est confronté à des échéances rapprochées. Les apprentissages relèvent par nature de l'abstrait, du long terme. Là réside le noeud de la contradiction éducative pour les publics scolaires en difficulté. Comment échapper à la chape de l'immédiateté ? Comment extraire des enfants et des adolescents d'une réalité qui fait obstacle, car le concret y exerce sa loi ? En les acceptant tels qu'ils sont pour mieux les transformer en véritables élèves. En s'appuyant sur ce qui fait sens pour eux. À nouveau tournons-nous vers un enseignant d'anglais (nous aurions aussi bien pu entendre un instituteur utilisant internet pour des activités d'écriture lors d'une classe transplantée) exerçant dans une banlieue du nord-est de Paris : « Français, je m'adresse à des Français, mes élèves, dans une langue étrangère. Cette situation n'est guère naturelle. De plus, je leur pose des questions dont ils savent pertinemment que j'en connais les réponses. La situation peut alors devenir carrément intenable avec certains élèves. Aussi, depuis de longues années, je structure mon cours à partir d'échanges électroniques. La télématique hier, internet aujourd'hui me permettent de créer des situations de communication "vraies" ayant du sens pour mes élèves ». L'efficacité pédagogique des TICE est réelle. Pour autant, elles ne constituent pas un remède miracle à l'échec scolaire et à la misère du monde. L'attrait du nouveau s'estompe avec le temps. Et on ne peut pas en rester à la simple écriture correcte d'un message que l'élève adresse à son correspondant. Une acquisition réelle et durable On connaît de nombreuses règles de calcul ou d'orthographe. Quand on les applique dans la vie réelle, elles ne sont pas présentes à la conscience. Sinon pas question d'écrire une lettre, de résoudre un problème compliqué, de piloter un avion ou de jouer dix parties d'échecs simultanées. Mais les opérations non susceptibles d'être contrôlées consciemment se maîtrisent plus difficilement, se rigidifient, se figent. Les autres, moins stables, se modifient volontairement d'une manière plus aisée. L'adaptation à des situations nouvelles, le transfert de savoirs et de méthodes à d'autres champs de la connaissance et de l'activité impliquent donc l'appropriation des concepts. Un enfant à qui on n'a pas encore enseigné sa langue maternelle maîtrise, de fait, complètement les formes grammaticales. Mais, si l'on se contente de son sens de la langue et de sa connaissance pratique, si on ne lui apprend pas la grammaire et l'orthographe, il se cantonnera dans des lettres « bien écrites », avec quelques fautes et clichés dénotant un manque de culture. L'homme instruit n'est pas celui qui peut écrire sans faire de fautes d'orthographe, mais celui qui ne peut écrire autrement que correctement, sans qu'il y prête particulièrement attention. Il faut passer du particulier d'un texte à la maîtrise de la langue en général. Toutes les motivations sont bonnes, mais il en est de meilleures que les autres. Un élève étudie sa leçon. Rapidement, pour aller regarder la télévision ? Pour avoir une bonne note ? Exercer plus tard un métier prestigieux ? Ou parce qu'intéressé par son contenu ? La solidité et la profondeur des acquis varieront d'une motivation à l'autre. On ne peut espérer une assimilation réelle, et non simplement formelle, des opérations de la pensée que s'il existe des motifs proprement cognitifs, le plaisir d'apprendre pour apprendre. De l'écriture du message à l'étude de la règle Concrètement, comment aller d'un texte particulier à la règle générale ? La communication permet la mobilisation des ressources et favorise l'activité. Poser une « vraie » question à un correspondant, attendre « réellement » la réponse supposent de bien se faire comprendre, de s'exprimer clairement. Si la réponse ne satisfait pas, c'est peut-être que la formulation de la question laisse à désirer. Il est alors possible que l'élève accepte de se fixer, de lui-même, des buts tels que l'étude de la syntaxe, de règles de grammaire, ainsi que des exercices abstraits aidant à les atteindre. Peut-être consentira-t-il, de son plein gré, à tout ce qu'habituellement il refuse ? Pour susciter de l'intérêt pour les règles de grammaire, il ne faut pas, ici, les présenter comme le but à atteindre, puis essayer de fournir un motif à l'action de l'élève orientée vers le but, car le motif risque fort de tomber à plat. Il faut, au contraire, créer le motif, par exemple la perspective d'une « vraie » communication avec internet, et ensuite donner la possibilité de découvrir le but, la syntaxe en l'occurrence, et de se l'approprier. Le cheminement se fera à travers un contenu concret et tout un système de buts intermédiaires. Une tâche proposée doit, pour déboucher sur une activité, motiver. Elle y réussit si le motif recèle du sens. Et au bout du chemin, l'apprentissage des connaissances doit faire sens, pour lui-même. La pédagogie avec les TICE S'il est pertinent, le recours aux TICE n'en est pas pour autant aisé. En effet, l'ordinateur, machine conceptuelle, interpose entre la réalité et l'élève des couches supplémentaires d'abstraction. La tâche proposée peut alors être hors de portée pour un élève en grande difficulté, c'est-à-dire en échec dans toutes les disciplines. On ne peut se dispenser de lui apprendre aussi à se servir d'un ordinateur. Les TICE sont précieuses, pour susciter de la motivation. Mais aussi parce qu'elles facilitent la réalisation d'opérations matérielles incontournables mais « fastidieuses » (corrections, déplacements de mots, réécriture de paragraphes...), et qui peuvent être dissuasives lors de l'apprentissage de l'écriture [3]. Elles favorisent le travail collectif, la coopération entre les élèves, les échanges de points de vue à l'occasion de la réalisation d'un projet commun, par exemple un journal de classe avec logiciel de PAO. Elles aident au travail individuel. Un élève peut se contenter légitimement d'avoir résolu neuf des dix questions de son problème de physique. Par contre, le programme de résolution d'une équation du second degré qu'il est en train d'écrire devra fonctionner à 100 %. Et il s'acharnera jusqu'à ce que ce soit le cas, un peu comme dans les activités manuelles de fabrication d'un objet. Il est pour le moins dommageable de se priver des ordinateurs même si, pour autant, la pédagogie ne se dissout pas dans les TICE. L'une et les autres vont très bien ensemble, dans des approches où la machine facilite la médiation de l'enseignant. Jean-Pierre Archambault Paru dans Ville-École-Intégration, n° 119, décembre 1999, p. 157-161. NOTES [1] De la télématique à internet, J.-P. Archambault, collection de l'ingénierie éducative du CNDP. [2] La télématique, aujourd'hui internet ; les outils provoquent des ruptures mais ils interviennent aussi dans des démarches anciennes auxquelles ils donnent une vigueur nouvelle. [3] « L'ordinateur en classe de français », Médialog, n° 31. ___________________ |
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