1985, vingt ans après... Jean-Pierre Archambault Dans la déjà longue « Histoire » de l'introduction de l'informatique à l'École, 1985 est l'année du Plan Informatique pour Tous. Incontestablement, le « Plan IPT » a été un moment fort d'un processus entamé dès les années 70, un moment charnière de la première phase du développement de l'informatique dans le système éducatif. En effet, les premiers pas de l'ordinateur à l'École remontent, dans l'enseignement général, aux décennies précédentes (voir encadré). Au début des années 80, se sont succédé des opérations d'équipement en matériels et logiciels et des stages de cent heures dans les lycées, assurés par des enseignants ayant bénéficié d'une formation approfondie d'un an à l'informatique pédagogique. Le processus d'intégration de l'ordinateur dans le système éducatif est à la fois complexe et compliqué. Complexe car les statuts pédagogiques de l'informatique sont divers. L'informatique est objet d'enseignement en tant que composante de la culture générale. Elle est également outil pédagogique, c'est-à-dire outil pour l'exercice du métier d'enseignant. Elle est élément de transformation des disciplines scolaires : par exemple, la démonstration avec ordinateur a introduit une rupture épistémologique en mathématiques. L'informatique est outil de travail personnel et collectif des élèves et des enseignants. Enfin, elle est instrument de la modernisation du système éducatif. Si ces statuts peuvent se recouper, se renforcer, se servir de points d'appui réciproques (par exemple, une utilisation en SVT bénéficiant des représentations opérationnelles forgées dans le cours de technologie), ils ne se confondent pas. De ce point de vue, le plan IPT faisait bien la distinction en privilégiant une approche de complémentarité et non de substitution d'un statut à l'autre. Le processus est compliqué car il correspond à des mutations profondes de la société. En effet, passer de la société industrielle à la société informationnelle – dans laquelle l'industrie n'a pas disparu loin de là – est l'équivalent du passage précédent des sociétés agraires aux sociétés industrielles. Les technologies de l'information et de la communication sont au coeur des processus de création de la richesse. Elles favorisent l'accélération de l'innovation des procédés et des produits, car elles sont des technologies génériques : outils de simulation, de visualisation, de conception, de modélisation, de calcul... Elles sont le support à une production plus collective et plus interactive du savoir, permettant des pratiques nouvelles en réseau. Elles systématisent l'accumulation des connaissances dans des bases de données, leur intégration et leur mobilisation. Elles entraînent une baisse des coûts de transmission et de reproduction, de stockage et de codification des savoirs tacites. Toutes ces transformations ne sont pas exemptes de bruit et de fureur, notamment dans le système éducatif confronté aux tensions issues de la massification. Tout cela pour dire que le plan IPT a suscité, et suscite encore, des débats vifs, car les enjeux et les défis majeurs demeurent, à savoir donner à toutes les générations, en formation initiale et/ou en formation continue, les savoirs et les compétences exigés dans une société où la place des TIC, de l'immatériel et de la connaissance ne cesse de grandir. Le plan IPT comportait trois axes essentiels : les matériels, les logiciels et la formation des enseignants. Il a consisté en une dotation généralisée des lycées, des collèges et des écoles en nanoréseaux, micro-ordinateurs personnels et logiciels pédagogiques, et dans la formation des enseignants pendant les vacances scolaires. Un plan bien concret et, à ce titre, un symbole de la place à venir de l'informatique dans la société. Le nanoréseau L'équipement de tous les établissements scolaires en ordinateurs présentait des spécificités. Les collèges et une école sur cinq ont reçu un nanoréseau de six ordinateurs de type familial (de l'époque) reliés à un micro-ordinateur de type professionnel (compatible PC). Les lycées, pour leur part, ont été dotés d'un nanoréseau avec huit postes de travail, ainsi que de quatre micro-ordinateurs de type professionnel. Dans 33 000 écoles un équipement de base comportait un micro-ordinateur de type familial, un téléviseur couleur et une imprimante. Certains ont glosé sur ces équipements. Il faut se souvenir qu'en 1985 un compatible PC coûtait de l'ordre de 3 500 euros. Excusez du peu... Le nanoréseau était une solution réaliste, économique, faisant bénéficier les nanomachines des capacités d'ordinateurs plus performants. De plus, il anticipait sur les usages pédagogiques attendus du réseau local à venir au début de la décennie suivante. Ce réseau qui est devenu le mode d'existence dominant, voire exclusif, de l'informatique d'aujourd'hui. Les logiciels retenus répondaient à des objectifs pédagogiques et professionnels ; ils concernaient des disciplines variées, du français aux mathématiques en passant par les arts plastiques et la géographie ; ils concernaient également tous les niveaux d'enseignement ; parmi eux se trouvaient déjà les futurs classiques de la bureautique : traitement de texte, tableur ainsi que des gestionnaires de fichiers et des imagiciels. L'ambition était aussi d'aider à l'édition des logiciels, en favorisant la constitution de sociétés de « taille mondiale » dans le domaine. Et les enseignants étaient sollicités pour la conception de logiciels pédagogiques, la réalisation en étant confiée à des informaticiens. Des formations Le plan IPT ce fut aussi 110 000 enseignants formés, rémunérés pour leur participation à des stages de 50 heures pendant les vacances de printemps, d'été ou de la Toussaint : une initiation, une sensibilisation de masse à l'informatique, une entrée remarquée et significative dans le futur. Les formations visaient à permettre aux enseignants de maîtriser l'usage des matériels et des logiciels, à les amener à réfléchir à la meilleure façon d'intégrer ces outils dans leurs pratiques pédagogiques, à les mettre sur la voie d'échanges pluridisciplinaires et de travaux d'équipe, et à aller au-delà de cette initiation. Elles favorisaient la rencontre avec la machine (comment fonctionne-t-elle ?) et les principes et concepts fondamentaux du traitement de l'information. La tonalité dominante était de type « culture générale », qui fournit des représentations mentales opérationnelles, qui forme des utilisateurs « intelligents » et des citoyens en prise avec les évolutions de la société. Les formations comportaient des activités de programmation, non pas pour former des informaticiens professionnels mais pour aider à la compréhension de la « logique » de la machine. Comme l'on demande aux élèves d'étudier paraboles et hyperboles pour s'approprier la notion de fonction. Le plan IPT fut une opération parfaitement délimitée dans le temps. Le bilan que l'on peut en faire, le jugement que l'on peut porter ne doivent pas se fonder sur les suites qu'il a connues, ou n'a pas connues ! Le déploiement des TIC dans le système éducatif s'est poursuivi inexorablement, avec ses avancées et ses lenteurs. Mais des problèmes rencontrés ultérieurement ne sauraient constituer une pièce à charge à l'encontre du plan IPT permettant de dire qu'il aurait été un échec. Certes la tentation est toujours grande de réécrire l'Histoire en fonction du présent, de ses enjeux et de ce que l'on veut voir se reproduire, ou ne plus voir se produire, c'est selon. 5 500 000 heures de formation : des échecs comme cela on en redemande ! Sauf à penser qu'il n'en est rien resté chez les stagiaires, et donc à avoir une bien piètre opinion du corps enseignant. Un volet télématique Le plan IPT a également comporté un volet télématique. On s'en souvient moins. Il s'est inscrit dans le contexte du minitel, grand succès et spécificité française produits de la vision « géniale » de la Direction générale des télécommunications (DGT), l'« ancêtre » de France Télécom. Une communication électronique grand public s'est développée dans le pays, jusqu'à 15 millions d'utilisateurs réguliers, car le terminal vidéotex était mis gratuitement à disposition des abonnés du téléphone, bien qu'il coûtât alors environ 600 euros. Et tout une économie de services s'est ainsi développée, engendrant beaucoup de communications téléphoniques. La leçon est à méditer quand on réfléchit au modèle économique des logiciels libres, gratuits ou très peu chers, qui engendrent des activités de service, préférables pour l'économie nationale à l'achat de licences d'utilisation onéreuses. Sur la base de projets, des académies et des établissements ont été dotés de serveurs télématiques et de terminaux vidéotex. De nombreux usages ont vu le jour, dans une espèce de « Freinet électronique » : correspondance, lors de classes transplantées, donnant du sens à des activités d'écriture, échanges internationaux, mais aussi recherche et consultation d'informations, fabrication de services présentant les établissements (déjà !), inscription aux examens et concours, publication des corrigés et des résultats... Et lorsqu'Internet arrivera, et que l'on entendra de-ci de-là « Internet à l'École, d'accord, mais qu'en faire au juste avec les élèves ? », il sera facile de montrer une continuité des usages et, pour le déploiement à grande échelle d'Internet, de s'appuyer sur les pionniers de la télématique, leurs savoirs et savoir-faire, et sur la culture de communication qu'ils avaient contribué à créer dans le système éducatif. Là encore, le plan IPT a bien préparé l'avenir. Une preuve supplémentaire du succès qu'il a été ! Le plan IPT a constitué un symbole très fort du caractère irréversible de la mutation en cours vers la « société de l'information ». À l'époque, ce caractère ne fut pas perçu par l'ensemble de la communauté éducative. L'éducation et l'ordinateur n'ont pas l'exclusivité des résistances suscitées par le « nouveau » qui bouscule des identités, des cultures, des pouvoirs, des savoirs et savoir-faire. On ne voit pas ce que l'on n'a pas envie de voir. Dix ans plus tard, Internet s'est donc chargé de mettre les points sur les « i ». Et dorénavant, ils se font fait rares ceux qui contestent l'omniprésence des technologies de l'information et de la communication dans tous les secteurs et rouages de la société. Aujourd'hui, les premiers environnements numériques de travail, les ENT, se mettent en place. Ils correspondent à une nouvelle étape de la marche vers la généralisation des TIC à l'École. Ils visent à permettre à l'ensemble des acteurs de la communauté éducative d'accéder à leurs ressources numérisées, aussi bien dans les locaux scolaires qu'à leur domicile. Désormais, en application de la Loi d'orientation sur l'École, le brevet informatique et Internet (B2i) sera pris en compte dans le brevet des collèges : une avancée significative qui intronise les technologies de l'information et de la communication dans la culture générale scolaire. Les usages de l'ordinateur en tant qu'outil pédagogique et outil de travail se diversifient... Le plan IPT a « fait école » ! Jean-Pierre Archambault Paru dans Médialog n° 54 de juin 2005.
___________________ |
Articles |