INTÉGRATION DE L'OUTIL INFORMATIQUE DANS L'ENSEIGNEMENT DES SCIENCES PHYSIQUES Zacharoula Smyrnaiou, Annick Weil-Barais Résumé Les résultats montrent que l'ordre d'utilisation du matériel (logiciel en premier versus logiciel en second) semble important. Il influence les réponses différemment en fonction du type de question (connaissance, manipulation, description d'un mouvement, etc.). Introduction L'utilisation des logiciels dans l'enseignement des sciences physiques a été beaucoup étudiée (Durey, 1996 ; Durey & Beaufils, 1998 ; etc.). Beaufils, Durey, Bouroulet, Milot, Journeaux, et Richoux (1998) ont analysé, dans une perspective pédagogique et didactique, l'apport des logiciels de modélisation et de simulation Interactive - physique et Stella dans des activités de sciences physiques. Ces auteurs considèrent qu'il est très important de réfléchir à l'utilisation de tels outils dans la résolution de problèmes et à la diversification des pratiques pédagogiques. Cette réflexion doit prendre en compte les concepts et les hypothèses mobilisés dans les activités expérimentales. Depover, Giardina, et Marton (1998) mettent en évidence l'importance des systèmes symboliques implémentés dans le logiciel. Ils considèrent que les effets de l'utilisation pédagogique du multimédia interactif sur les apprenants s'expliquent davantage par la présence d'interactions entre les systèmes symboliques utilisés par un média que par les caractéristiques cognitives de l'apprenant. Le média peut-être efficace ou non selon la manière dont l'information sera traitée. Ces auteurs soulignent que le choix des langages de communication ou des systèmes symboliques, par les concepteurs du multimédia, auxquels il aura recours pour communiquer les informations à l'apprenant joue un rôle central. Nous pouvons donc penser que le type de représentation symbolique utilisé et la façon dont les élèves les comprennent sont des éléments fondamentaux dans l'étude de l'utilisation pédagogique des logiciels. Un certain nombre d'auteurs défendent l'idée que l'animation virtuelle ne se substitue jamais à la réalité, mais la supporte, l'enrichit et la rend plus visuelle (Nonnon, 1998). L'ordinateur constitue aussi un outil pour construire un monde entre l'approche expérimentale et l'approche théorique (Buty, 2000 ; Vince, 2000 ; Séjourné & Tiberghien, 2001). Nous considérons que la réalisation d'expériences avec un logiciel est complémentaire à la réalisation d'expériences « réelles » dans l'enseignement de la physique (Smyrnaiou, Weil-Barais, 2003 ; Smyrnaiou, 2003). Néanmoins, il reste à préciser comment l'enseignant doit combiner expériences « réelles » et expériences avec un logiciel. Compte tenu de la place centrale des expériences réelles dans l'enseignement de la physique et du fait que les logiciels peuvent aider à mettre en relation la réalité et la théorie, quelle peut être la place de l'utilisation du logiciel par rapport aux expériences réelles ? Cette recherche propose des éléments empiriques pour éclairer cette question. 1. Descriptif de l'étude 1.1. Objectifs et Hypothèses Cette expérience a comme objectif de comparer les descriptions et manipulations réalisées par des élèves à propos d'une situation de mécanique en sciences physiques en fonction du niveau scolaire (collège et lycée) et selon le type de matériel employé (logiciel ou objets). On peut s'attendre à ce que les élèves de section scientifique (première et terminale scientifiques), par le programme scolaire suivi, aient accès à la signification des symboles impliqués dans la situation proposée (masse, force, coefficient de frottement). En revanche, les élèves de collège et de seconde n'ont vraisemblablement pas accès à la signification des grandeurs physiques représentées symboliquement (notamment la force et le coefficient de frottement). Par conséquent, nous pensons observer une évolution importante des descriptions et manipulations entre les élèves de collège et seconde d'une part et les élèves de section scientifique d'autre part, attribuable en grande partie aux apprentissages scolaires. Les réponses des élèves de seconde devraient être proches de celles des élèves de collège (quatrième et troisième). Leurs descriptions des expériences seront centrées sur les manipulations réalisées et sur les évènements perçus. Concernant les élèves de section scientifique (première et terminale), on s'attend à ce qu'ils décrivent les expériences réalisées en termes de grandeurs physiques. De plus, ces élèves devraient utiliser le logiciel « La physique par l'image » avec une approche différente. Leurs réponses seront plus riches (utilisation des concepts de la physique) lorsqu'ils travaillent avec le logiciel que lorsqu'ils expérimentent avec les objets. Nous faisons l'hypothèse qu'un travail sur les objets et sur les représentations symboliques peut avoir des effets réciproques. Pour les élèves de section scientifique qui ont accès aux symboles, l'utilisation du logiciel en premier devrait influencer la façon dont ils aborderont ensuite l'expérience avec les objets. 1.2 Population Nous avons rencontré soixante-six élèves dont 16 élèves de collège et 50 élèves de lycée. Deux collèges ont été concernés par cette étude : le Collège Pasteur à Créteil et le collège Lavoisier à Paris. Le groupe d'élèves de collège est composé de 9 élèves de quatrième et de 7 élèves de troisième. Les lycéens proviennent du même établissement, le Lycée Joachim Bel à Angers et se composent de 15 élèves de seconde, de 17 élèves de première scientifique et de 18 élèves de terminale scientifique (cf. tableau 1). Les élèves ont été recrutés sur la base du volontariat.
Quelques élèves de 6ème et 5ème ont participé à cette expérience. Toutefois, leurs réponses ne seront pas analysées car très peu ont accepté de participer à l'expérience (5 au total). Il semblerait que la situation les impressionnait (utilisation du matériel informatique). 1.3 Procédure On demande aux élèves de réaliser deux expériences concernant le mouvement/déplacement d'un objet sur un plan incliné. Pour l'une d'elles, les participants disposent d'objets. Ils doivent faire en sorte qu'une pièce se mette en mouvement sur une surface mobile, sans toucher à la pièce, faire en sorte que la pièce se déplace plus vite, moins vite, etc. Pour l'autre expérience, les élèves disposent d'un ordinateur et du logiciel « La physique par l'image ». Ils doivent également réussir à déplacer un objet sur un plan incliné (un parallélogramme affiché à l'écran). Plusieurs questions sont posées aux élèves durant les deux expériences. Elles sont généralement similaires pour les deux expériences. Toutefois, quelques questions sont spécifiques à chacune d'elles. Par exemple, on interroge préalablement les élèves sur le sens des symboles et des icônes qui apparaissent à l'écran dans la situation avec ordinateur. Trente-quatre élèves ont commencé l'expérience en utilisant « La physique par l'image » pour ensuite la réaliser avec les objets et les trente-deux autres ont commencé par les objets pour ensuite utiliser le logiciel. 1.4 Questionnaire Les questions posées aux élèves lors de l'entretien s'organisent en trois thèmes : les représentations de l'image du plan incliné et du plan horizontal (uniquement avec le logiciel), les actions pour faire en sorte que l'objet se mette en mouvement (ou se déplace plus vite, ou le plus vite possible, etc.), les connaissances sur le mouvement ou sur l'immobilité. Exemple de questions posées :
1.5 Le logiciel « la Physique par l'image » La « physique par l'image » (Sciencesoft, 1998) est un logiciel de simulation actuellement commercialisé dans différents pays. Il permet d'aborder la partie théorique de la physique (rappels de cours sous forme de fichiers textes et sons, exercices) et de la mettre en pratique avec une approche expérimentale (simulations interactives, vidéo). Figure 1 : L'interface de « La physique par l'image » C'est un outil interactif qui permet à l'apprenant de modifier tous les paramètres d'une expérience et de visualiser immédiatement à l'écran l'effet de ses modifications sur les phénomènes. Comme on peut le voir dans la figure 1, l'élève est invité à fixer des valeurs pour chacune des grandeurs physiques en relation avec la vitesse du mobile. Ces grandeurs sont exprimées par des symboles littéraux (m : masse, f : force, m : coefficient du frottement, a : angle). Quand un ensemble de valeurs est fixé, l'élève peut visualiser le déplacement du mobile représenté par un rectangle glissant sur un segment de droite plus ou moins incliné par rapport à un axe horizontal selon les valeurs fixées ; les valeurs des paramètres physiques. 2. Résultats Cette partie expose l'analyse des descriptions et manipulations des élèves en réponse aux différentes questions proposées par l'expérimentateur. Les réponses des élèves seront présentées en relation avec le niveau scolaire et avec l'ordre d'utilisation du matériel (logiciel versus objets en premier). 2.1 La représentation de l'image 2.1.1 La représentation de l'image quand le plan est incliné Lorsque les élèves réalisent l'expérience à l'aide du logiciel, ils sont invités à imaginer ce que l'image représente. La catégorisation des réponses des élèves est présentée ci-dessous. Leur répartition est proposée dans le tableau 2. Graphique (GRAP) Association avec les objets du monde (ASOM) Aspects géométriques (GEOM) Aspects physiques (ASPH) Plan incliné (PLIN) et angle de plan incliné (ANGP) Force (FORC) Mises en correspondances (CORR) Autre (ATR)
L'examen du tableau 2 montre que lorsque l'on demande aux élèves ce que représente l'image sur l'ordinateur, beaucoup l'associent aux objets du monde (25/66, soit 38 % des élèves), presque la moitié des élèves se réfèrent aux aspects physiques (30/66, soit 45 % des élèves). Plus précisément, dix-sept élèves disent que l'image représente un plan incliné (17/66, soit 26 % des élèves) et onze élèves évoquent le concept de force (11/66, soit 17 % des élèves). Les réponses des élèves de seconde (les élèves sont âgés de 15 ans) sont proches de celles des élèves de collège. La plupart des élèves de collège et seconde associent l'image vue sur l'ordinateur aux objets du monde (15/31, soit 48 % des élèves) et aux objets géométriques (14/31, soit 45 % des élèves). On relève une évolution importante des descriptions entre d'une part le collège et la seconde et d'autre part les élèves de section scientifique (lycée). Les élèves de section scientifique répondent en termes de concepts physiques (27/35, soit 77 % des élèves) comme celui de plan incliné (14/35, soit 40 % des élèves) et celui de force (11/35, soit 31 % des élèves). Par ailleurs certains élèves associent l'image aux objets du monde (10/35, soit 29 % des élèves). Quelques élèves utilisent les mots apparaissant dans les énoncés des exercices des manuels scolaires comme mobile, mobile autoporteur, solide, luge, pavé. Quand les élèves ont réalisé préalablement l'expérience avec les objets, leur représentation de l'image vue sur ordinateur est plutôt de type « objets du monde » (16/25, soit 64 % des élèves). Onze sur dix-sept (11/17, soit 65 % des élèves) répondent que l'image représente un plan. 2.2. Les manipulations des élèves pour faire en sorte que l'objet se déplace plus vite Lorsque les expériences sont réalisées avec l'ordinateur Dans l'expérience avec l'ordinateur, l'élève doit répondre à la demande suivante : « Pourrais-tu faire en sorte que l'image de l'objet parallélogramme se déplace plus vite ? Pourrais-tu décrire ce que tu as fait ? ». Les manipulations décrites par les élèves sont de différentes natures. Elles sont commentées successivement et leur répartition est présentée dans le tableau 3. Augmenter l'angle (AANG) Vertical (VERT) Augmenter la force (AFOR) Augmenter la masse (AMAS) Diminuer la masse (DMAS) Diminuer les frottements (DFRT) Plus vite (PLVI) Autre (ATR) Les données récapitulées dans le tableau 3 montre que pour que l'objet se déplace plus vite, la plupart des élèves augmentent l'angle (30/66, soit 45 % des élèves) et quelques fois jusqu'à 90° (9/66, soit 14 % des élèves). Seuls les élèves de section scientifique sont également capables de faire varier la force (11/66, soit 17 % des élèves) et le coefficient de frottement (2/66, soit 3 % des élèves). On constate que les élèves utilisent le concept de force à partir de la classe de première et le concept de masse à partir de la classe de quatrième. Les réponses diffèrent selon l'ordre d'utilisation du matériel (logiciel en premier versus objets en premier). Les élèves ayant déjà réalisé l'expérience avec les objets ont tendance à davantage augmenter l'angle (18/32, soit 56 % des élèves) pour certains jusqu'à 90° (6/32, soit 19 % des élèves) par rapport à ceux qui commencent avec le logiciel (12/34, soit 35 % des élèves augmentent l'angle ; 3/34, soit 9 % des élèves jusqu'à 90°). Également, les élèves qui réalisent pour la première fois l'expérience avec le logiciel, choisissent plus souvent d'augmenter la force (7/34, soit 21 % des élèves) et la masse (7/34, soit 21 % des élèves) en comparaison aux élèves utilisant préalablement les objets (4/32, soit 13 % des élèves pour force et 2/32, soit 6 % des élèves pour la masse).
Lorsque les élèves réalisent l'expérience physiquement Dans l'expérience avec les objets, l'élève est invité à répondre à la demande suivante : « Pourrais-tu faire en sorte que la pièce se déplace plus vite ? Pourrais-tu décrire ce que tu as fait ? ». Les différentes catégories de manipulations décrites par les élèves sont présentées successivement et leur répartition est proposée dans le tableau 4. Augmenter l'angle (AANG) Verticale (VERT) Plus vite (PLVI) Très fort (TRFO) Plus haut (PLHA) Autre (ATR) La répartition des réponses des élèves présentée dans le tableau 4 montre que la plupart d'entre eux (30/66, soit 45 % des élèves), quel que soit leur niveau scolaire, veulent augmenter l'angle pour faire en sorte que l'objet se déplace plus vite et parfois quelques élèves (4/66, soit 6 % des élèves) l'augmentent jusqu'à 90°. Par ailleurs, certains élèves décrivent phénoménologiquement leurs manipulations (faire plus vite (16/66, soit 24 % des élèves), incliner très fort (3/66, soit 5 % des élèves), soulever, plus incliner, agir) ou les événements perçus (2/66, soit 3 % des élèves dans la catégorie « autre »). Nous pouvons remarquer que les élèves ne se réfèrent pas aux concepts tels que la force, la masse, le coefficient de frottement rencontrés avec le logiciel. Nous avons constaté des différences entre les élèves qui ont d'abord effectué l'expérience avec l'ordinateur et ceux qui ont commencé par l'expérience avec les objets. Les élèves qui agissent pour augmenter l'angle d'inclinaison du support sont préférentiellement ceux qui ont utilisé le logiciel au préalable (7/30, soit 77 % des élèves). Ceux qui tentent de déplacer l'objet « plus vite » sont majoritairement des élèves qui n'ont pas encore utilisé le logiciel (13/16, soit 81 % des élèves).
3. Discussion Cette recherche s'intéresse à l'apport de l'utilisation de logiciels dans l'enseignement des sciences physiques. Elle porte spécifiquement sur l'apprentissage de la modélisation puisqu'il s'agit d'un processus au coeur des sciences physiques. Un logiciel de a été étudié (étude du logiciel « La physique par l'image »). Nous avons proposé une situation expérimentale de déplacement d'un objet sur un plan incliné à des élèves de collèges et lycée. Chaque élève réalise cette expérience avec deux types de dispositifs : un des logiciels et des objets « réels ». Cet article présente une partie des résultats obtenus à ces deux études. Avec le logiciel « La physique par l'image », nous avons constaté que l'ordre d'utilisation du logiciel influence les réponses des élèves (logiciel en premier ou en second). Toutefois, cela n'est pas valable pour toutes les questions et dépend du niveau scolaire. Peu de différences apparaissent quand la question posée concerne la connaissance (expliquer le mouvement). Cependant, les réponses diffèrent dans le cas des manipulations (faire en sorte que l'objet puisse déplacer). En effet, les actions des élèves sont plus précises avec le logiciel (augmenter l'angle, augmenter la force, modifier la masse, etc.) qu'avec les objets (description des manipulations, des constats, conceptualisation de la situation, etc.). Ceci semble cohérent par rapport au dispositif de la recherche. Les questions de connaissances sont moins influencées par le matériel à disposition des élèves que les questions impliquant une action directe sur le matériel. L'utilisation préalable du logiciel ne semble pas avoir le même effet sur les élèves de section scientifique et sur les élèves de collège et seconde. La plupart des élèves de section scientifique fournissent des descriptions plus riches (précises et évoquant les concepts et les principes de la physique) lorsqu'ils ont préalablement utilisé le logiciel et qu'ils doivent réaliser une action. Ce résultat peut être expliqué par la maîtrise du système de formalisation implanté dans le logiciel. Il semble ainsi que lorsque les élèves maîtrisent préalablement le système de formalisation implanté dans le logiciel, l'utilisation du logiciel les incite à faire usage de ce système, ce qu'ils font moins lorsqu'ils sont confrontés d'emblée avec le matériel. En somme, pour ces élèves déjà avancés dans l'apprentissage de la physique, l'usage du logiciel leur permet de mobiliser leurs connaissances pour appréhender les situations expérimentales. Pour les autres élèves, le système formel qu'ils sont invités à utiliser ne leur permet pas de modifier leur description des phénomènes. La comparaison des conduites des élèves avec les deux types de dispositifs met en évidence la nécessité d'une mise en relation entre les aspects de la réalité, leur conceptualisation et les représentations symboliques de celles-ci. L'apprentissage de la physique repose de fait sur ce type de mise en relation. L'usage des logiciels peut faciliter ces mises en relation, à condition qu'il intervienne conjointement avec la réalisation concrète d'expériences surtout pour les élèves de collège qui ne maîtrisent pas encore les outils de formalisation. Nous avons vu l'intérêt d'accompagner l'utilisation de logiciel éducatif dans l'enseignement de la physique d'expériences sur les objets « réels ». En ce qui concerne les élèves de collège et seconde, ces expériences semblent plus favorables lorsqu'elles sont réalisées avant l'utilisation du logiciel. Zacharoula Smyrnaiou Annick Weil-Barais 4. Bibliographie Beaufils D., Durey A., Bouroulet R., Milot M.-C., Journeaux R., Richoux B. (1998). 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