ÉDITORIAL

De l'usage des chiffres...

Ainsi, le discours sur les Nouvelles Technologies pour gagner la "bataille de l'intelligence" est passé du simple constat du retard de la France dans ce domaine à une abondance de déclarations. L'interprétation euphorique par certains médias des statistiques ou des sondages risque d'accréditer auprès du public l'idée que, pour ce qui concerne le système éducatif, l'intégration de ces technologies est pratiquement réalisée et ne se résumerait qu'à des équipements.

Quand on lit que, depuis novembre 1997, le nombre d'établis-sements scolaires connectés a doublé en passant de 5 000 à 10 000, que 80% ont accès à Internet, on ne peut, au premier abord, que se réjouir de cette avancée. Mais il ne faut pas comprendre pour autant que 80% des enseignants et des élèves en disposent dans leur classe. Sont globalisés dans ce décompte des usages pédagogiques, qui certes se développent, mais aussi la connexion "administrative" de l'ordinateur se trouvant au secrétariat ou la prise installée au CDI qui, si elle n'est pas relayée par un réseau interne, n'est pas en mesure de mettre Internet à la disposition de la communauté éducative. D'autre part ces statistiques concernent surtout les lycées, car le pourcentage baisse sérieusement dès qu'il s'agit des collèges pour tomber à environ 5% pour les 63 000 écoles qui sont encore, pour l'instant, sous-équipées (un ordinateur par école en primaire et un pour quatre écoles en maternelle...).

Un hebdomadaire spécialisé dans la micro-informatique vient de publier un sondage sur l'utilisation de l'ordinateur en milieu scolaire. Annoncés à grands coups de trompes médiatiques, les résultats de cette "enquête", réalisée par téléphone auprès d'un panel de ... 200 parents et 200 élèves, tendent à faire croire que 72% des élèves utilisent ces technologies sans que l'on sache toutefois avec quelle fréquence ni pour quel usage. Affirmer de surcroît que plus de 70% de ces mêmes élèves utilisent l'ordinateur en classe plutôt qu'en salle informatique relève de la fiction et d'une méconnaissance totale de la réalité du terrain. Pour se rendre compte du peu de crédit à accorder à ces chiffres et aux conclusions qui en découlent, il suffit de les rapprocher du nombre de machines installées [1] et de l'estimation avancée par le Ministère selon laquelle 60 000 enseignants environ (ce qui est peu sur plus de 870 000) intégreraient cet outil à leur pédagogie.

Loin de nous l'idée que rien ne va, au contraire. Le travail sur le terrain de milliers d'enseignants, dans les établissements, les rectorats, le ministère, etc., les mesures concrètes prises ici et là par les responsables administratifs, sont des réalités tangibles. Il existe des raisons d'espérer dont la moindre n'est pas le rappel constant par Claude Allègre de l'importance des Technologies de l'Information et de la Communication. Nous avons pris pour nous sa récente déclaration [2] affirmant, à propos du développement d'Internet, que : "ce résultat n'aurait pu être atteint sans un travail préalable de très nombreux enseignants. Il est donc apparu que  le retard pris dans l'équipement des établissements scolaires français masquait une avance conceptuelle des enseignants de l'école publique dans l'utilisation pédagogique des nouvelles technologies d'information et de communication. Ce phénomène se retrouve dans de nombreux secteurs : le discours sur le retard français a masqué nos atouts".

Nous revendiquons une part de cette "avance conceptuelle" que nous continuons à nourrir comme en témoignent les travaux préparatoires de la 27ème Assemblée générale de l'association qui se tiendra le 10 octobre à Paris.

Jean-Bernard VIAUD

Président de l'EPI

Paris le 3 octobre 1998

 

Paru dans la Revue de l'EPI n° 91 de Septembre 1998.

NOTES

[1] Voir l'enquête de la Direction de l'Évaluation et de la Prospective

[2] Rapportée dans Le Monde du 3 octobre 1998

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(11 avril 2000)