DISCOURS DU PREMIER MINISTRE
Hourtin, lundi 25 août 1997
Université de la Communication
Préparer l'entrée de la France
dans la société de l'information
(extraits)
SOMMAIRE
I - L'entrée de la France dans la société de l'information constitue un enjeu décisif pour l'avenir
II - Un engagement affirmé et soutenu du gouvernement est nécessaire
III - Pour être efficace, notre action doit s'articuler autour de priorités.
Je suis heureux de m'exprimer aujourd'hui dans le cadre privilégié de l'Université de la Communication d'Hourtin, sur un sujet qui concerne tout particulièrement les secteurs de la communication, je veux parler de la révolution des technologies de l'information. Vous avez choisi de placer cette année vos réflexions sous le signe du Politique. Or, au-delà de sa dimension technique, l'émergence d'une société de l'information représente en effet un défi politique et constitue, à ce titre, une préoccupation essentielle pour mon Gouvernement.
I. L'entrée de la France dans la société de l'information constitue un enjeu décisif pour l'avenir. Ce qui permet d'évoquer désormais l'émergence d'une société de l'information tient à l'effet de trois grands changements, qui dessinent une véritable mutation de notre société.
Premier constat : la généralisation de l'usage des technologies et des réseaux d'information. L'informatisation de la société, annoncée dès la fin des années soixante-dix, est désormais une réalité qui traduit de manière concrète ce concept de « société de l'information ». La numérisation de l'information, l'informatisation des modes de production et d'échange, la croissance de la part à caractère immatériel de la richesse produite et le développement des nouveaux réseaux comme Internet ont de fortes répercussions économiques, mais aussi sociales et culturelles.
Deuxième constat : l'évolution technologique est de plus en plus rapide, et s'accompagne d'un développement exponentiel du marché. Là où il a fallu dix ans pour qu'émergent les 25 000 serveurs Minitel, il se crée près de 100 000 sites Internet chaque mois dans le monde.
Troisième constat : la mondialisation des flux d'information. Qu'il s'agisse du satellite ou d'Internet, les nouveaux réseaux multimédias ne connaissent plus de frontière. C'est pour les États, habitués à intervenir dans le cadre national, un défi considérable. L'émergence d'une société de l'information ouvre de vastes perspectives. L'enjeu économique est évident. L'industrie du multimédia, où se retrouvent informatique, télécommunications et audiovisuel, constitue désormais l'un des moteurs de la croissance et un gisement d'emplois. Aujourd'hui, la part des technologies de l'information dans l'économie mondiale est plus importante que celle du secteur automobile. L'information devient une richesse stratégique, une des conditions de notre compétitivité. Les produits issus de l'activité intellectuelle représentent déjà, et représenteront encore davantage dans l'avenir, une part déterminante de la richesse collective. Dans une large mesure, nous le savons, la compétition internationale du siècle prochain sera une bataille de l'intelligence. Mais les bouleversements introduits par les technologies de l'information dépassent largement le seul enjeu économique : l'essor des nouveaux réseaux d'information et de communication offre des promesses sociales, culturelles et, en définitive, politiques. La transformation du rapport à l'espace et au temps qu'induisent les réseaux d'information permet des espoirs démocratiques multiples, qu'il s'agisse de l'accès au savoir et à la culture, de l'aménagement du territoire ou de la participation des citoyens à la vie locale. Encore faut-il que ces évolutions soient maîtrisées : j'y reviendrai dans un instant. De ces mutations, le Gouvernement a pris pleinement la mesure. Qu'en est-il de la situation de notre pays ?
Des voix de plus en plus nombreuses s'élèvent pour parler d'un retard français dans l'utilisation des technologies de l'information. Certains chiffres, comme le faible taux d'équipement des ménages en micro-ordinateurs ou le nombre encore limité d'utilisateurs français d'Internet, témoignent effectivement d'un retard qui a plusieurs causes :
une culture informatique encore trop faible ;
une offre insuffisante d'informations et de services de qualité, en langue française, sur les nouveaux réseaux ;
un manque de soutien aux PME et aux nouvelles entreprises innovantes. Notre pays dispose pourtant d'atouts nombreux dont il peut tirer avantage : des réseaux de télécommunications très performants, des centres de recherches avancés, comme le CNET ou l'INRIA, une industrie et des services de l'information développés, l'expérience déjà ancienne des services en ligne, dont le Minitel a constitué une préfiguration exemplaire. La question de l'avenir du Minitel est importante. Sa simplicité d'emploi et la sécurité qu'il procure aux transactions ont offert un exemple de ce que le public attend des nouveaux réseaux comme Internet. Mais, nous le savons, le Minitel, réseau uniquement national, est limité technologiquement, et risque de constituer progressivement un frein au développement des applications nouvelles et prometteuses des technologies de l'information. Je souhaite donc que France Télécom propose des solutions incitatives afin de favoriser la migration progressive du très vaste patrimoine de services du Minitel vers Internet, pour laquelle l'administration devra montrer l'exemple. J'ai la conviction que nous nous trouvons ainsi, aujourd'hui, à la croisée des chemins : nous disposons de tous les moyens pour faire de la France un pays à la pointe de la société de l'information.
II. Un engagement affirmé et soutenu du gouvernement est nécessaire Le gouvernement a décidé de mettre en place un programme d'action ambitieux. Celui-ci s'appuiera sur une coordination assurée par un comité interministériel. Les modalités exactes en seront arrêtées avant la fin de l'automne. Le Gouvernement présentera ainsi un ensemble de propositions au pays, qui permettront de souligner les priorités et de mettre en oeuvre des mesures concrètes. Ce programme d'action aura vocation à constituer une référence pour les administrations, mais aussi et surtout pour les autres acteurs de la société, qui réclament une intervention volontaire, lisible et durable de l'État. De fait, en dépit d'un certain discours sur le retrait présenté comme inéluctable de l'État, on constate, partout dans le monde, et en particulier aux États-Unis, une présence très active de la puissance publique pour aider au développement des technologies et des services nouveaux.
La technologie n'est qu'un moyen, elle doit être mise au service de la société. Les appréhensions soulevées par ces bouleversements sont naturelles.
La peur face à l'émergence d'un outil de communication, loin d'être nouvelle, est une donnée récurrente de l'Histoire. Mais les promesses que recèle la société de l'information justifient que nous nous engagions pleinement en dépassant ces craintes. En disant cela, je suis conscient de deux dangers qu'il faut éviter :
Stigmatiser les transformations en cours, diaboliser la technologie, ou, à l'inverse, feindre d'ignorer l'ampleur de cette évolution, autant d'attitudes qui traduiraient un aveu d'impuissance.
Céder aux visions iréniques qui nous annoncent un avenir radieux dans une société de l'information consensuelle, pacifiée et débarrassée de tous ses maux. La société de l'information sera ce que nous déciderons d'en faire. Voilà pourquoi il nous faut proposer aux Français un projet et une vision politique dans ce domaine. Cette vision politique, c'est celle d'une société de l'information solidaire. Nous sommes décidés à combler le retard français en matière de technologies de l'information, qui pourrait avoir rapidement de graves conséquences en terme de compétitivité et d'emploi. La France et la culture française doivent occuper toute leur place dans la société mondiale de l'information. Mais nous refusons que le fossé séparant ceux de nos concitoyens qui maîtrisent ces nouveaux outils du reste de la population s'accroisse. Faciliter le développement de la société de l'information en France tout en permettant l'accès du plus grand nombre aux nouveaux services : telle est l'ambition de mon Gouvernement. L'action du Gouvernement repose sur l'ouverture d'un débat public. J'ai en effet la conviction que les solutions ne peuvent être imposées d'en haut à la société. Quelle que soit son importance, il serait illusoire de tout attendre de l'intervention publique. L'État n'a pas vocation à se substituer aux autres acteurs de la société de l'information : particuliers, entreprises et collectivités territoriales. C'est pourquoi je souhaite que le programme d'action gouvernemental pour la société de l'information fasse l'objet d'un débat public à travers lequel chacun, et je pense particulièrement aux associations, pourra réagir à nos propositions. Les modalités en seront précisées en même temps que le programme d'action sera rendu public.
III. Pour être efficace, notre action doit s'articuler autour de priorités Les initiatives du Gouvernement pour préparer l'entrée de notre pays dans la société de l'information répondent à de grandes préoccupations :
- plus d'accès au savoir et à la culture,
- plus d'emplois et de croissance,
- plus de service public et de transparence,
- plus de démocratie et de liberté.
Cette politique, pour être efficace et lisible, doit s'articuler autour d'un nombre limité de priorités :
- l'école,
- la culture,
- le commerce électronique,
- les entreprises du secteur des technologies de l'information et de la communication,
- la réforme des services publics,
- la régulation.
Première priorité : la bataille de l'intelligence commence à l'école.
Le développement en milieu scolaire de l'utilisation des technologies de l'information répond à un double objectif :
donner la maîtrise des nouveaux outils de communication, qui seront indispensables aux futurs citoyens ;
exploiter les richesses du multimédia comme outil pédagogique. L'ordinateur ne peut en aucune manière se substituer à l'enseignant. Mais il peut en devenir l'auxiliaire précieux. Je suis convaincu que les technologies de l'information constituent un vecteur d'apprentissage du savoir et d'accès à la culture. Si ce savoir nouveau n'est pas donné à l'école, le fossé se creusera entre les jeunes dont les parents peuvent acheter un ordinateur et ceux qui n'ont pas cette chance.
Trois types d'actions sont indissociables :
En ce qui concerne les moyens, il ne suffit pas de proclamer que toutes les écoles doivent être équipées et raccordées. C'est un objectif évident, que je fais bien sûr entièrement mien. Ce qui importe, c'est de savoir comment, à quel rythme et à quel coût doit se faire cet équipement, sans oublier, surtout, qu'il s'agit d'une compétence partagée entre l'État et les collectivités locales. Une concertation approfondie avec les régions, les départements et les villes est par conséquent indispensable. Nombreux sont les établissements qui bénéficient déjà, grâce au dynamisme du rectorat ou de la collectivité locale compétents, des moyens nécessaires. Mon souci est bien d'empêcher l'apparition d'une école à deux vitesses dans laquelle certains établissements bénéficieraient du meilleur quand d'autres seraient privés de l'accès aux technologies de l'information. Ce souci guidera, je le sais, les propositions que le ministre de l'Éducation Nationale, de la Recherche et de la Technologie fera prochainement dans ce sens.
Mais nos efforts resteraient largement vains, et les déceptions provoquées par les grands plans d'équipements passés nous le montrent, si un effort considérable de formation n'était pas engagé parallèlement. Nombreux sont les enseignants qui utilisent, depuis longtemps déjà, les technologies de l'information. Il faut à présent, en s'appuyant sur ces compétences multiples, généraliser cette pratique, tant au niveau de la formation initiale que de la formation continue.
Enfin, l'effort en matière d'équipement et de formation doit s'accompagner d'un soutien volontariste à la production de programmes pédagogiques multimédias, accessibles sur Internet et par d'autres outils de diffusion.
Deuxième priorité : le développement de notre présence culturelle sur les nouveaux réseaux d'information doit être assuré.
Troisième priorité : le commerce électronique doit être développé grâce à l'initiative privée.
Les entreprises du secteur des technologies de l'information et de la communication constituent notre quatrième priorité.
Cinquième priorité : la mise en réseau des services publics constitue un enjeu démocratique.
Sixième priorité : une régulation efficace est une condition du développement des réseaux d'information Elle suppose l'aménagement d'un cadre législatif et réglementaire protecteur, tant sur le plan interne qu'international.
Paru dans la Revue de l'EPI n° 87 de septembre 1997.
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