DÉRIVE, CABRI (et plus) au Baccalauréat J.-B. Lagrange L'article de J. Baudé, paru sous la rubrique « Forum » de la Revue n° 80 de l'EPI, attire l'attention sur un phénomène nouveau : la disponibilité d'une calculatrice incluant parmi d'autres possibilités, un module de calcul formel et un outil de construction géométrique très proches des logiciels "phares" de l'enseignement secondaire. J. Baudé exprime un ensemble d'inquiétudes qui le conduisent à soumettre deux solutions opposées. Il souligne les inconvénients propres à chacune de ces solutions, tout en disant que la situation actuelle lui semble de toute façon la pire. Pour ma part, je voudrais apporter quelques éclairages à partir de recherches menées sur les calculatrices et sur DERIVE. La nouvelle calculatrice se veut d'abord un prolongement des actuelles calculatrices graphiques. Celles-ci sont, en France, un outil quotidien des élèves de l'enseignement secondaire. Pourtant, la prise en compte de cet outil par l'enseignant est très inégale. Beaucoup trop de collègues considèrent que c'est à l'élève de se débrouiller avec sa calculatrice, et ne tiennent pas compte, dans les situations qu'ils proposent, des différences de stratégies et de procédures que l'utilisation de l'outil implique. Luc Trouche, de l'IREM de Montpellier, a montré que cette situation conduit à ce que de nombreux élèves se constituent des images fausses des concepts et méthodes mathématiques. Actuellement les calculatrices graphiques sont clairement autorisées au baccalauréat. On peut espérer qu'à terme cette disponibilité à l'examen final aura pour conséquence d'inciter des collègues plus nombreux à une utilisation raisonnée avec leurs élèves de la calculatrice graphique. Chacun comprend qu'une interdiction aurait l'effet inverse. Concernant la disponibilité du calcul formel, le champ d'expérience est limité aux quelques professeurs qui ont expérimenté une intégration allant jusqu'à l'utilisation de DERIVE pour les contrôles. J'ai participé, dans le cadre de l'équipe DIDIREM, dirigée par Michèle Artigue, à un travail d'évaluation des effets sur les élèves, de l'intégration de DERIVE à l'enseignement des mathématiques. Pour ce qui nous intéresse ici, cette recherche montre clairement qu'on fait des Maths différemment avec un outil de calcul formel, mais aussi qu'il serait faux de dire qu'on en fait plus facilement. Quand DERIVE apporte une efficacité supplémentaire pour une tâche donnée, son utilisation pour cette tâche suppose souvent des connaissances mathématiques plus assurées. Elle montre aussi que la disponibilité du logiciel n'entraîne pas automatiquement une utilisation autonome et intelligente par l'élève. Dès que les premières difficultés sont rencontrées, l'élève retourne aux méthodes papier/crayon et n'utilise plus le logiciel que pour des tâches peu significatives comme la vérification des résultats. Pour qu'apparaisse une réelle influence sur la compréhension, ou sur la nature de l'activité mathématique, il est nécessaire que le professeur élabore soigneusement des stratégies d'utilisation tenant compte des spécificités du calcul formel. Pour résumer, la disponibilité d'un moyen informatique n'est rien si elle ne s'accompagne pas d'une adaptation de l'enseignement. Il semble donc douteux qu'un élève isolé utilisant une telle calculatrice puisse en obtenir autre chose que des résultats bruts. Il n'en tirera donc pas de bénéfice au baccalauréat, pour peu que le rédacteur du sujet prenne garde à ce que la connaissance des résultats bruts n'apporte pas d'avantage décisif. Si par contre un élève a appris à utiliser intelligemment sa calculatrice, par exemple à l'aide de situations d'utilisation préparées par son professeur, il est possible qu'il en tire avantage au baccalauréat. Mais cette avantage ne constitue pas une injustice vis a vis d'autres candidats. L'élève a construit des connaissances mathématiques certes spécifiques, mais qui méritent d'être portées à son crédit au même titre que d'autres. Bien sûr ces calculatrices restent chères, trop chères sans doute pour beaucoup de familles. Si on reste dans cette gamme de prix, il n'y a pas de généralisation possible, et seule la généralisation peut entraîner une prise en compte par la majorité des collègues. D'un autre côté, ne doit-t-on pas considérer les élèves qui s'équipent comme des pionniers rendant crédible la généralisation et donc la baisse des prix ? L'ensemble de ces considérations me fait penser que la situation actuelle n'est pas si catastrophique qu'elle oblige à des mesures précipitées. Elle permet en tout cas de "voir venir", c'est-à-dire d'examiner les usages réels de la calculatrice, tant au baccalauréat que dans les classes, et leurs effets. Pour les collègues qui souhaitent en savoir plus sur la réalité de l'intégration du calcul formel dans l'enseignement secondaire, je signale deux "événements" :
J.-B. Lagrange Paru dans la Revue de l'EPI n° 81 de mars 1996. ___________________ |