Du disque « ORPHEE » au centre serveur « ORPHEE » :
les projets bibliographiques du réseau des « Littératures francophones »
de l'AUPELF-UREF 
[1]

Alain Vuillemin
 

     L'idée de créer un disque compact documentaire sur les littératures francophones et d'implanter dans une université un centre serveur littéraire pour desservir des bases de données bibliographiques, qui n'étaient encore qu'en gestation à cette époque, sur les littératures d'expression française, est née les 12 et 13 janvier 1989, à Sèvres, au Centre International d'Études Pédagogiques, à l'occasion de deux journées d'études internationales qui avaient été organisées par l'AUPELF-UREF sur « La bibliographique et la documentation sur les littératures francophones ».

     En 1989, en effet, prenant acte de la vitalité des littératures de langue française, l'Université des Réseaux d'Expression Française venait de constituer sous l'impulsion du Recteur Michel Guillou un nouveau réseau thématique de recherche chargé de favoriser les échanges et la coopération scientifique entre les équipes de chercheurs, les instituts de recherche et les départements d'études françaises des universités membres de l'AUPELF [2], qui travaillaient sur ces littératures. Jean-Louis Joubert, alors maître de conférences à l'Université de Paris-Nord (Paris XIII), avait accepté d'en assurer la coordination. Et, d'emblée, ce réseau « Littératures francophones » [3] s'était fixé comme objectif, entre autres préoccupations, de mettre en oeuvre un inventaire systématique de ces littératures que l'on dit « francophones », c'est-à-dire écrites en français mais hors de France, et d'aider à l'élaboration de bases de données dans ce domaine.

     Le projet initial s'est ensuite affirmé lors d'une nouvelle journée d'étude qui s'est tenue en Sorbonne, le 28 septembre 1990, sur « Les Banques de données littéraires bibliographiques, comparatistes et francophones », avec l'aide de Jacques Body, de Pierre Brunel, de Michel Cadot et de Jean-Louis Joubert, et avec la participation de la Société Française de Littérature Générale et Comparée, de la Bibliothèque Inter-Universitaire de La Sorbonne, des bibliothèques universitaires des universités de La Sorbonne Nouvelle (Paris III), de Paris-Sorbonne (Paris IV), de l'INSTN de l'Université de Paris-Orsay (Paris XI) et le réseau « Littératures francophones » de l'AUPELF-UREF. Un constat de carence sévère était dressé, tout d'abord, en matière de recherche : il n'existait encore, à cette date, chargée sur un serveur, aucune bibliographie informatisée d'envergure en langue française, qui fût comparable par exemple aux banques de données américaines MLA Bibliography ou Arts & Humanities Search. Les banques françaises existantes, telles que B.N., Lise, Electre, n'étaient guère que des catalogues de bibliothèques ou de libraires dépourvus de mots-clés, sans résumé et sans aucun dépouillement d'articles de revues ou de journaux. « Le tour du monde des banques de données utiles en littératures [était] rapidement fait » [4]. À l'exception de la banque de données Frantext de l'INALF [5] en texte intégral sur la littérature française, les banques de données littéraires françaises n'étaient que des « sources de second ordre » [6] et pratiquement d'aucune ressource pour les études francophones.

     C'est aussi à cette occasion, lors de cette manifestation en Sorbonne, que fut présentée pour la première fois en public la maquette de bibliographie signalétique informatisée « Ariel-littéral I » qui avait été constituée dès 1984 par le Centre de Recherche en Littérature Comparée de l'Université de Paris-Sorbonne (Paris IV). Cette maquette expérimentale comportait 1 200 références bibliographiques, en littérature comparée, sur les échanges littéraires et intellectuels internationaux. Chaque référence était accompagnée d'un bref résumé signalétique. Le tout avait été généré sous la forme d'une banque de données factuelles sous le système SPIRIT [7] et sur l'un des ordinateurs de l'INSTN de l'Université de Paris-Orsay (Paris XI), grâce à l'aide de Christian Fluhr. Deux modes de consultation étaient déjà proposés. Une première procédure, traditionnelle, utilisait une « grille » d'interrogation pré-déterminée qui permettait d'effectuer des recherches par des noms d'auteurs, des titres, des mots du titre, etc. Une seconde procédure, nouvelle, consistait à poser les questions voulues en langage naturel, par exemple : « la figure d'Orphée dans la littérature française ou allemande », ou encore : « le mythe de Don Juan dans le théâtre européen, en Espagne, en France, en Angleterre, en Allemagne et en Italie ». Le système analysait les questions, proposait des réponses par degré de pertinence décroissant et permettait aussi de réitérer la démarche aussi souvent que nécessaire en transformant le texte de chaque référence visualisée sur un écran en l'équivalent d'une nouvelle question. Il devenait concevable d'effectuer des recherches thématiques. L'existence de la maquette prouvait la « faisabilité » de la démarche sur le plan technique.

     Le travail s'est poursuivi ensuite pendant trois ans à l'Université de Limoges, avec l'appui de Pierre Pouthier et de Jean-Claude Vareille, dans le cadre d'une série d'accords avec le réseau des « Littératures francophones » de l'AUPELF-UREF et avec l'aide du centre de recherche « Sciences du langage et des textes », animé par Jacques Fontanille, de cette université. Dès la rentrée 1990, une pré-étude technique et juridique était diligentée sur les conditions dans lesquelles on pouvait concevoir de créer ou d'accueillir des banques de données littéraires à l'Université de Limoges. Le but général était de contribuer au rayonnement de la recherche littéraire en créant des banques de données inédites en littérature générale et comparée sur les littératures étrangères d'expression française. Trois objectifs principaux étaient proposés : implanter à titre expérimental un centre serveur littéraire à l'Université de Limoges en acquérant une version multiposte, sous UNIX, du système SPIRIT ; élaborer d'emblée des projets de réalisation de disques compacts, y compris multimédias, sur des sujets francophones ; publier enfin un ouvrage collectif sur ce sujet et, d'une manière plus générale, sur les banques de données littéraires en langue française.

     La lenteur et la complexité des procédures administratives dans les enseignements supérieurs en France ont fait que c'est seulement en 1991 qu'un premier matériel, un micro-ordinateur portable, put être acquis grâce à l'obtention d'une subvention du Ministère de l'Éducation nationale. Cet équipement permit de mettre en chantier les premières bases et, en particulier, en accord avec l'Université de Paris-Sorbonne (Paris IV), de transformer la base de données comparatistes « Ariel-Littéral » en une véritable maquette de bibliographie informatisée, en vraie grandeur, rebaptisée Bibliographie de Littérature Comparée (BLC) et riche de plus de 3 200 résumés. C'est ensuite à partir du mois d'octobre 1992 que la version multiposte du système SPIRIT a été implantée sur un ordinateur du Centre de Calcul de l'Université de Limoges, et que son fonctionnement était testé durant l'année universitaire 1992-1993 dans le cadre d'un séminaire de D.E.A. [8] transdisciplinaire sur « les banques de données littéraires ». C'est enfin en janvier 1993 que fut prise la décision, à l'AUPELF-UREF, par le Recteur Michel Guillou de faire fabriquer à titre de démonstration un disque compact prototype sur les littératures francophones, dans le cadre d'une collection que l'AUPELF-UREF prévoyait de créer sur les supports transportables et, ceci, avec l'aide du Centre de recherche « Sciences du langage et des textes » de l'Université de Limoges.

     Les résultats ont commencé à se matérialiser à partir du mois de mai 1993 avec la publications aux presses de l'université de Limoges, dirigées par Jean-Paul Lecertua, d'un livre sur Les banques de données littéraires, comparatistes et francophones [9] qui faisait état de l'émergence de ces nouvelles banques et qui commençait aussi à en faire découvrir l'importance et les enjeux pour la recherche et les études littéraires. Le 16 octobre 1993, à l'Ile Maurice, à l'occasion du sommet des Chefs d'États francophones, c'était au tour du disque compact documentaire Orphée. Volume 1 d'être présenté par le réseau « Littératures francophones » dans la collection « Universités francophones Nouveaux supports DC MEF » de l'AUPELF-UREF. Ce disque réunissait 30 000 références bibliographiques sur les littératures de l'Afrique [10], du Maghreb [11] et de l'Océan Indien [12]. Il comportait également la maquette de la Bibliographie de Littérature Comparée (BLC) déjà citée, cette dernière pour donner un aperçu des possibilités de traitement documentaire inédites du système SPIRIT en une version nouvelle, sous DOS et sous WINDOWS 3.& Et, depuis le 15 janvier 1994, ces mêmes bases étaient devenues consultables, en France, par le minitel, par l'intermédiaire du centre serveur littéraire comparatiste et francophone « ORPHEE »nbsp;[13] ouvert au centre de calcul de l'Université de Limoges et connecté sur le plan international au Système Francophone d'Edition et de diffusion (réseau SYFED) de l'AUPELF-UREF [14].

     Le programme de travail qui avait été tracé en 1989 pour ce qui est devenu désormais le projet « Orphée » du réseau des « Littératures francophones » avait donc été réalisé en ce seuil de l'année 1994. Une idée était née. Un principe avait été affirmé. Des résultats avaient été obtenus et des enseignement avait été aussi tirés de cette première expérience. La preuve était faite que l'on pouvait imaginer de créer une (ou plusieurs) banque(s) générale(s) de références sur les littératures francophones, en se servant de l'informatique, en s'efforçant d'unifier en un seul ensemble des bibliographies qui existaient déjà ou qui étaient en cours de constitution. Il s'en est déduit une méthode de collecte des données qui s'est imposée de respecter les exigences et les souhaits qui ont pu être exprimés par chacun des auteurs de chaque bibliographie. La tâche n'était « pas aussi simple à réaliser qu'à concevoir [car] toutes [les] curiosités peuvent avoir leur légitimité scientifique » [15] et l'autonomie de chaque équipe de recherche devait être préservée. Le système SPIRIT fournissait un instrument privilégié pour y parvenir. Il ne suffirait plus que de prolonger la démarche, en diffusant un masque de saisie commun et en y associant tous les instituts ou centres de recherches qui souhaiteraient participer au projet « Orphée » et au réseau des « Littératures francophones ». [16]

     À l'inverse, comme il avait été constaté dès 1989, il n'est pas imaginable de rassembler les moyens financiers, matériels, humains nécessaires à la réalisation, en partant de zéro, d'une bibliographie littéraire francophone » [17]. Par ailleurs, « l'idée en serait saugrenue » [18] puisque de nombreux catalogues de bibliothèques sont en cours d'informatisation et qu'un tel projet entrerait mieux dans la vocation d'une « télémédiathèque » ou d'un « pôle » francophone associé à la Bibliothèque Nationale de France. Il est dorénavant acquis « qu'il est possible, et même raisonnable, d'espérer constituer en quelques années, à partir de la documentation existante ou en cours d'élaboration (...) un ensemble bibliographique sur les littératures francophones » [19], ce qui pourrait intéresser de nombreuses bibliothèques dans le monde, même non francophones. La construction de cette bibliographie générale et idéale restera sans doute pendant longtemps disparate et lacunaire. Le projet « Orphée » de l'AUPELF-UREF en aura indiqué l'orientation générale. Le centre serveur « ORPHEE » et le disque compact Orphée. volume 1 en auront matérialisé les premiers résultats. Il reste à souhaiter que le monde des bibliothèques et des centres de documentation d'une part, la communauté universitaire et scientifique d'autre part, acceptent de travailler à ce qui pourrait devenir une grande oeuvre commune...

Alain VUILLEMIN
Professeur à l'Université d'Artois

Paru dans la  Revue de l'EPI  n° 74 de juin 1994.
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NOTES

[1] AUPELF-UREF : Association des Universités Partiellement ou Entièrement de Langue Française - Université des Réseaux d'Expression Française.

[2] Soient environ 200 universités françaises et étrangères affiliées et plus de 400 départements d'études françaises.

[3] Le réseau « Littératures francophones » a été constitué au départ par des équipes de chercheurs d'Allemagne, du Cameroun, du Congo, de France, du Liban, du Sénégal, des Pays-Bas et des États-Unis. Il s'est étendu depuis.

[4] Panijel (Claire) : « Des banques de données sur les études littéraires francophones », in Vuillemin (Alain) et alii : Les Banques de données littéraires, comparatistes et francophones, Limoges, Pulim, 1993, p. 44.

[5] INALF : Institut National de la Langue Française.

[6] Faule (Jacques) : « téléinformatique et littérature française », in Vuillemin (Alain) et alii : Les Banques de données littéraires, comparatistes et francophones, Limoges, Pulim, 1993, p. 45.

[7] SPIRIT : pour Système Probabiliste d'Indexation et de Recherche d'Informations Textuelles développé par la société française Technologies GID.

[8] DEA : Diplôme d'Etudes Approfondies.

[9] Vuillemin (Alain) et alii : Les banques de données littéraires comparatistes et francophones, Limoges, Pulim, 1993, 276 p.

[10] La base LITAF sur l'Afrique, produite par Alain Richard et Virginie Coulon (Université de Bordeaux I - CEAN-CNRS).

[11] La base LIMAG sur les littératures du Maghreb, produite par Charles Bonn (Université de Paris-Nord, Paris XIII), avec l'aide de la Coordination internationale des chercheurs sur les littératures du Maghreb.

[12] La base LITOI sur les littératures de l'Océan Indien, produite par Jean-Louis Joubert (Université de Paris-Nord - Paris XIII).

[13] en composant le 55 05 14 98, puis le code 06 ou en passant encore soit par le 3614, soit par le réseau Internet. Pour tout renseignement, contacter le Centre de Calcul de l'Université de Limoges au (16) 55 45 75 75.

[14] en commençant par Dakar, Tananarive, Rabat, Abidjan, Lomé, Libreville, Alexandrie, etc.

[15] Joubert (Jean-Louis) : « Le réseau « Littératures francophones » de l'UREF et la recherche bibliographique », in Vuillemin (Alain) et alii : Les banques de données littéraires comparatistes et francophones, Limoges, Pulim, 1993, p. 30.

[16] Pour tout renseignement sur le projet « Orphée » et sur le réseau des correspondants du réseau « Littératures francophones », s'adresser à J.-L. Joubert - Réseau « Littératures francophones » - Bureau Europe - AUPELF-UREF - 4 place de La Sorbonne - 75005 Paris - France.

[17] Joubert (Jean-Louis) : « Le réseau « Littératures francophones » de l'AUPELF-UREF et la recherche bibliographique », in Vuillemin (Alain) et alii : Les banques de données littéraires comparatistes et francophones, Limoges, Pulim, 1993, p. 30.

[18] Ibid, p. 30.

[19] Ibid, p. 31.

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