Les hypermédias au service de l'Enseignement 

Bernadette Wilmet [2]
 

INTRODUCTION

     L'aire de l'éducation a été dominée par la parole d'abord, par l'écriture ensuite et ce n'est que très récemment, que l'enseignement utilise les ressources de la technique, ce n'est qu'il y a peu que certaines écoles et Universités - poussées peut-être par les besoins d'un nombre croissant d'étudiants et ceux de l'enseignement à distance - ont été les casseurs de cet enseignement essentiellement lexical et linéaire

     Souvenons-nous de la situation en principe révolue mais que trop d'étudiants vivent encore malheureusement aujourd'hui : le professeur en chaire monologuait, les étudiants passifs sur leurs bancs grattaient. Aujourd'hui l'arsenal du premier s'est enrichi : transparents, diapositives, films, didacticiels, vidéos, vidéos intégrées. Nous avons quitté l'exposé et le livre, nous appréhendons le réel sans plus passer par le verbe et l'écriture.

     Il est inutile de s'effrayer. Quand Gutenberg permit à la connaissance de se propager par l'imprimerie, combien de voix se sont élevées : « Le livre, imprimé, personnel, facilement transportable, pourrait-il remplacer celui que l'on devait faire de sa propre main pour l'apprendre par coeur, la lecture à haute voix allait se transformer en lecture à voix basse, donc mauvaise ! » Et pourtant, cette nouvelle machine à enseigner, le livre, allait permettre d'apprendre la même chose qu'auparavant et même plus, et à plus d'étudiants.

     Il est inutile de s'effrayer et même, il faut s'en réjouir.

     En effet, chacun sait que l'apprentissage passe au travers des sens. Plus de sens sont touchés, plus la possibilité de développer le concept chez l'élève sera grande. Le résultat est la compréhension.

     Citons quelques chiffres (variables selon les enquêtes mais fondamentalement peu différents) :

  • lorsque la communication est orale, l'auditeur en retient 70% après 3h, et 10% après 3 jours ;

  • lorsque la communication est limitée à l'image, on en retient 72% après 3h, et 20% après 3 jours ;

  • l'exploitation simultanée de la parole et de l'image permet une rétention de l'information de 85% après 3 h et 65% après 3 jours.

     Écouter et voir sont donc également importants. Nous n'évoquerons pas ici les autres sens, le goût, l'odorat et le toucher, qui sont cependant également importants pour une série d'apprentissage. Contentons-nous cependant essentiellement ici de l'ouïe et de la vue.

VERS LE MULTIMÉDIA

     Pour augmenter la capacité de visualisation, les enseignants ont usés d'images, dans les livres d'abord, les transparents et les diapositives sont venus ensuite ; en noir et blanc et en couleur ; pour les faire bouger ces images, on a eu les livres « animés », « pop up », (livres pour enfants faits de superpositions d'images que l'on peut faire glisser l'une sur l'autre) ; on a eu la lanterne magique, et puis les films et la vidéo ; l'animation par ordinateur a enfin apporté une nouvelle dimension à l'invisible et s'est soumise à notre imagination.

     Les images de toutes sortes apportent diverses sources de renseignements aux élèves. Or la compréhension est une capacité d'intégrer de nouvelles informations dans des structures familières. Les élèves doivent se faire leurs propres schémas et les relier à ceux qu'ils avaient déjà ; lorsqu'ils peuvent « avoir ce qu'ils comprennent » leur compréhension est grandie et lorsque c'est le moment de lire, d'écrire sur ce qu'ils ont appris ou de réaliser et d'agir, ils aborderont les concepts comme de vieux amis plutôt que comme des difficultés étrangères.

     En n'excluant pas le livre ni la parole, juxtaposons tous ces intermédiaires, entre le réel et la théorie, le professeur et l'apprenant, juxtaposons-les et nous aurons un ensemble de médias ; contrôlons-les par un ordinateur qui nous permettra d'interagir avec eux, et nous aurons un multimédia.

     Multimédia peut signifier beaucoup de choses ou peut être perçu par différentes personnes comme étant différentes choses. Il a été ainsi un temps où le multimédia se référait aux simples diapositives sonorisées. Cependant le multimédia d'aujourd'hui comporte habituellement l'intégration d'au moins deux médias contrôlés par un ordinateur ou en interaction avec lui. Certains vont plus loin et parlent de multimédia seulement quand il y a technologies digitalisées.

     Le multimédia délivre ainsi textes, sons, graphiques, images statiques, images dynamiques, animations ; les présentations multimédia sont ainsi capables de délivrer de l'instruction usant de différents outils potentiellement susceptibles de s'adresser effectivement aux différents besoins d'une grande variété de styles d'apprentissages, dépassant même de loin les simples styles visuel/auditif et abordant les classes plus raffinées répertoriées par les spécialistes de la psychologie de l'apprentissage : logique mathématique, spatial, linguistique, musical ...

Évolution du rôle de l'ordinateur dans l'enseignement

     C'est l'ordinateur, chef d'orchestre du multimédia qui fait la différence entre un ensemble de média et le multimédia. Que fait-il pour les différencier ? Comment agit-il ?

     Évoquons ici l'évolution de l'utilisation de l'ordinateur comme outil d'enseignement durant ces trente dernières années.

     Ne revenons pas sur ses balbutiements : répétiteur inlassable de leçons dont on tournait les pages comme dans un livre, moniteur répétitif et sans imagination, exerciseur calme et qui sanctionnait sans jugement moral et sans punition.

     En application évolutive de l'intelligence artificielle, l'ordinateur s'est fait expert au début des années 70. On avait ainsi recours à des programmes intelligents qui utilisaient des connaissances et des procédures déductives pour résoudre des problèmes dont la difficulté est suffisamment grande pour que leurs solutions fassent appel à une expertise humaine conséquente. Plusieurs systèmes possédant ces caractéristiques ont été développés, d'autres comportant moins d'expertises mais néanmoins un volume respectable de connaissances, ont été dénommées « systèmes à bases de connaissances ».

     L'ordinateur est devenu durant les années 80 tuteur intelligent en créant un modèle de l'élève et a cherché à optimaliser le traitement accordé à la décision du système sur ce qui était nécessaire à l'élève. Il se subdivise alors en trois grands modules :

  • le module expert contient les connaissances de la matière ;

  • le module tuteur possède les stratégies pédagogiques. Ce module choisit et planifie les activités à présenter à l'étudiant en lui fournissant des explications adaptées et en déterminant quand et où il faut intervenir ;

  • le modèle étudiant enfin représente l'état courant de l'étudiant ; ce modèle évolue et peut être consulté périodiquement par le tuteur et l'expert, mais rarement, sinon jamais, par l'élève.

     Le succès médiatique de cette tendance est tel qu'on peut la considérer comme une mode. En pratique pourtant, on rencontre d'énormes difficultés. Des expériences réalisées autant à partir de systèmes experts que de systèmes tutoriels ont montré que les systèmes experts dans leur forme actuelle ne peuvent être utilisés comme base pour des systèmes tutoriels. Leur forme initiale, destinée à des experts n'est utilisable à des fins tutorielles qu'au prix d'une restructuration complète des connaissances. De plus est-on assuré que ce modèle de l'élève (basé parfois sur une mauvaise pression d'une touche ou de la souris) soit toujours le bon et le vrai ? Et traiter l'élève comme un patient ignorant et le système comme un savant omniscient peut être à la fois méprisant et orgueilleux.

     Parallèlement à ces systèmes, l'ordinateur se mettait au service des médias pour rendre ceux-ci interactifs. Le multimédia interactif peut alors être défini comme « l'intégration du texte, du son, du graphique, de l'image immobile et de la vidéo dans un seul ensemble contrôlé par un ordinateur ».

     Mais qu'est-ce que cette interactivité apporte de plus, qu'est-ce que cette intégration a comme richesse, en quoi diffère tellement un ensemble de médias individuels et le multimédia intégré ? Pour répondre à cette question, il faut séparer l'ordinateur destiné à contrôler l'information de l'information elle-même. Le contrôle de l'information n'est pas l'information, c'est l'ordinateur.

     Emmagasiner les informations dans des livres (livres de mots ou livres d'images) dans des séries de diapositives d'images, de films , de bandes vidéo ou de vidéodisques revient en fait au même :

  • pour le son et l'image, animée ou non, en terme d'accès à l'information, le vidéodisque est semblable au livre : les images sont facilement accessibles grâce à l'index, il offre, par rapport au livre, l'avantage du son et de l'image animée et son accès est plus rapide que les bandes vidéo mais c'est tout ;

  • pour le texte, son enregistrement sur ordinateur a cependant étendu sa capacité d'accès, on remplace l'index du livre par la fonction de recherche.

     La puissance de la stratégie de l'apprentissage avec la puissance de l'animation rend le multimédia supérieur au livre mais ce n'est pas fondamentalement neuf comme stratégie de l'apprentissage.

     Ce qui est original, c'est d'incorporer les textes, sons et images dans un programme d'ordinateur expert, tutoriel ou non, et d'y adjoindre la simulation basée sur des modèles élaborés par l'enseignant ou par l'apprenant lui-même. L'animation par la vidéo est la réalité et cette réalité est importante mais l'environnement de la simulation offre des potentialités très riches pour une participation interactive de l'apprenant, aide la visualisation du concept et permet la comparaison avec la réalité.

     Dans un cas, on a accès à l'information et dans l'autre cas on peut interagir avec elle ; dans un cas, le contrôle d'accès est extrinsèque aux faits dont l'apprenant explore le contenu, comme dans une recherche alphabétique dans un index et dans l'autre cas il est intrinsèque aux faits que l'apprenant manipule. Le contrôle intrinsèque de l'interactivité a un plus grand potentiel. Le problème est de savoir jusqu'où aller et quand il est préférable d'employer la simulation plutôt que l'image réelle.

     Nous avons ainsi défini le multimédia, bourse d'informations multi-sensorielles gérée comme une source d'expertise par un ordinateur intelligent capable de s'adapter à l'évolution de l'élève habilité à simuler toutes les situations possibles pour les comparer à la réalité.

     Mais où est la liberté de l'apprenant ? Les enseignants ont en effet tendance à croire qu'ils doivent eux-mêmes assurer la structure et l'emballage de la connaissance en sélectionnant et en assemblant les ressources de l'apprentissage. Ils donnent à l'apprenant un itinéraire précis plutôt qu'une carte du terrain et un kit de survie. La philosophie linéaire de l'enseignement n'a somme toute pas fort changé même si ses techniques ont évolué.

Recherche de l'information

     Avant d'aller plus loin et de passer du multimédia à l'hypermédia, examinons rapidement l'évolution de la technique de la lecture, ou mieux de la technique de la recherche de l'information. Ne revenons pas sur les progrès dus à l'imprimerie et sur la banalisation du livre mais plutôt sur l'organisation du livre lui-même.

     Au début, et pendant de nombreux siècles, les livres se déroulaient, s'attendant à être lu du début à la fin. Ce n'est en fait pas avant le 17e siècle que certaines potentialités du livre se sont matérialisées (chapitre, titres, notes, tables de contenus, concordances, index,...), son accès pouvait devenir enfin non linéaire.

     Son enregistrement sur ordinateur a finalement étendu encore la capacité d'accès du texte. Et ainsi, si avec l'imprimerie, il y a eu accès à l'information, à notre époque, il y a une autre révolution : l'interactivité dans le texte électronique qui fait que la spécification d'une clé de recherche devient un acte de création d'information.

     On arrive ainsi tout doucement à la notion d'hypertexte et d'hypermédia ; on aborde ici le monde de l'apprentissage, sinon à n dimensions du moins à n nombre de chemins.

Hypertexte et hypermédia

     L'hypertexte, cité pour la première fois par Vannevar Bush en 1945 est un texte non séquentiel : un graphe où chaque noeud contient des informations et des références à d'autres informations. Chaque noeud est relié par différents chemins à d'autres noeuds ; les points de départ et d'arrivée d'un chemin entre deux noeuds s'appellent les ancrages.

     Il y a deux types de cheminements : l'hiérarchique et le « croisement de référence » ou « navigation » :

  • dans le premier l'information est organisée dans des classes hiérarchiques (livres, chapitres, paragraphes, etc.) et l'utilisateur passe d'une classe à l'autre. C'est le chemin habituel, inventé par l'auteur pour son lecteur ;

  • le deuxième type contient les relations logiques entre informations non structurées. Chaque noeud d'informations peut avoir plusieurs branchements. Lorsque l'utilisateur active l'ancrage, le contrôle permet la liaison connectée avec l'ancrage du noeud de destination. On dit habituellement qu'il navigue dans l'information.

     L'hypertexte permet aux utilisateurs d'explorer la connaissance dans une stratégie non linéaire, présentant une façon interactive avec des « unités » de connaissance et faisant le lien explicite entre une unité et une autre de telle façon que chaque utilisateur peut librement choisir différents chemins de navigation de la connaissance.

     Le mariage entre l'hypertexte et les technologies multimédia a donné naissance au concept du document hypermédia, un document qui est structuré comme une « toile d'araignée » de relations entre toutes les bases d'informations : éditeurs, sons, graphiques, dessins animés, textes, logiciel et le click de la souris. Typiquement dans un système hypermédia l'utilisateur peut explorer l'information selon son propre chemin entre des croisées d'informations.

     Quelques uns comparent l'hypermédia avec le multimédia interactif et ces termes sont souvent erronément considérés comme synonymes. En fait l'hypermédia est l'outil (le programme) qui permet l'usage des effets multimédia d'une façon non-linéaire, c'est le système de navigation. L'information est, quant à elle, stockée sous forme de noeuds (les concepts) et connectés par des associations (liens). Noeuds et associations peuvent être compris dans le système ou créés par le professeur.

     L'utilisateur peut maintenant sélectionner le matériel selon ses propres critères tels que ses goûts, sa curiosité, son intérêt personnel, son expérience, ses connaissances, sa nécessité d'informations, et les questions auxquelles il doit répondre.

     L'hypermédia est un environnement électronique pour faciliter l'exploration du savoir et parce que l'hypertexte est un système basé sur des structures sémantiques (en opposition aux systèmes d'accès séquentiels), l'hypermédia peut directement se confondre avec la structure de la connaissance.

     Ici l'apprenant est actif, il cherche lui-même ses informations par des chemins qui lui sont propres. Sa capacité d'emmagasiner et de retrouver l'information s'en trouve renforcée. Or la recherche personnelle est considérée généralement comme la méthode la plus efficace non seulement pour apprendre les sciences mais pour développer des mécanismes de raisonnement nécessaires à créer la science. Les élèves ne seront plus de simples récipients de faits et d'idées mais l'esprit de chacun lui dictera comment construire sa connaissance, lui donnant une perception du monde réel qui lui soit à la fois personnelle et individuelle.

     Autre avantage : lorsque l'élève bouge à travers les informations, le système peut garder la trace de son passage avec le double avantage que l'apprenant peut revenir à son point de départ directement ou en refaisant à l'envers les mêmes étapes et que le professeur peut examiner ses mouvements.

Hypermédia et systèmes tutoriels

     Mais information n'est pas nécessairement éducation et si les hypermédias sont des outils d'information ils ne sont pas en soi outils pédagogiques mais peuvent convenir comme systèmes d'apprentissage. À côté de cette structure flexible d'accès à l'information, il faut adjoindre la possibilité de prendre des notes, de sauver un résultat, d'avoir accès à des programmes de simulation, d'insérer de nouvelles données.. ET TOUJOURS IL FAUT UN SUPERVISEUR (automatique ou non) pour prévenir l'inexpérience, pour éviter de se perdre dans la jungle d'informations. Car c'est là le risque de l'hypermédia ; la liberté de l'apprenant a un revers, il peut se perdre dans hyperespace ou ne montrer aucune curiosité intellectuelle. L'hypermédia doit donc s'accompagner d'aides à la navigation (index, historique) et de consignes de l'enseignant, et de vérificateurs de connaissance.

     L'hypermédia associé aux systèmes tutoriels intelligents, par sa mémoire des chemins parcourus par l'élève permettra une meilleure élaboration du modèle de l'élève. Attention cependant, s'il est facile de conserver le voyage de l'élève il n'est pas aussi simple de l'interpréter. Combinés, ces systèmes (hypermédia et tutoriels) formeront une relation de synergie pour la réalisation de systèmes éducationnels plus effectifs.

     L'hypertexte enfin, ou l'hypermédia, gomme la distinction entre l'auteur et le lecteur puisque ce dernier peut établir de nouveaux liens entre les unités existantes. Les chemins de la connaissance n'aboutissent plus à l'élève, ils partent de l'élève. Il donne à l'apprenant plus d'autonomie, rend son apprentissage plus effectif, il l'encourage à être son propre maître ; il gratifie sa curiosité intellectuelle et offre une réponse à ses souhaits :

Raconte-moi

donne-moi les faits, sans fleurs

Informe-moi

donne-moi les faits et leur interprétation

Amuse-moi

fournis les connections ou les illustrations intéressantes

Confronte-moi

fais-moi trouver ou créer les liens

Guide-moi

suggère-moi les chemins mais laisse-moi compulser

Apprends-moi

donne-moi une guidance pas à pas.

Rôle du professeur

     Et le professeur dans tout cela. Que fait-il ?

     Plus rien pensent certains ; tout et enfin surtout tout ce qui est de ses véritables compétences disent d'autres.

     Analysant les réactions des pessimistes, on peut s'étonner du paradoxe entre le fait que dans le même temps où l'informatique était largement acceptée et même développée par les chimistes dans leur travail de recherche, son utilisation dans les méthodes et les pratiques de l'enseignement de la chimie restait faible. En fait on touche là un point sensible qui est relié au vécu par les enseignants de leur propre pratique et compétence par rapport à la pratique et à la compétence professionnelle du chimiste. La place de l'informatique dans le milieu professionnel est incontestable, dans l'enseignement, elle est beaucoup moins bien comprise. La même analyse se ferait pour tout ce qui touche aux moyens audio-visuels.

     Dans de nombreuses enquêtes faites auprès d'enseignants, il est de plus apparu que beaucoup d'entre eux sont mal à l'aise devant ces nouvelles techniques d'apprentissage, non seulement par la technicité de leur emploi mais par le changement radical de leur fonction d'enseignant.

     L'aspect psychologique est ici sans doute plus important.

     Quoiqu'il en soit des sentiments actuels des enseignants aujourd'hui, leur rôle va changer drastiquement ; ils devront modifier leur rôle et leurs procédures. L'introduction de ces nouvelles méthodes va conduire à une autre conception de la relation pédagogique :

  • la place prépondérante reviendra à l'activité de celui qui apprend ;

  • le professeur devra quant à lui savoir jouer le rôle de concepteur, d'animateur et d'évaluateur de situations d'apprentissage proposées à l'élève et utiliser tous les moyens mis à sa disposition pour favoriser aussi bien l'expression des étudiants en introduisant le débat entre eux et avec lui que leur auto-apprentissage. En fonction des objectifs poursuivis, l'enseignant doit rechercher quelles expériences, quelles activités, quels vécus sont susceptibles de favoriser les transformations souhaitées dans le savoir, les attitudes et le comportement des élèves. Les réponses ne seront probablement pas les mêmes pour tous et c'est là une justification de l'individualisation du travail des élèves (différent de l'isolement). Leur tâche, ne nous le cachons pas, sera difficile. Moins qu'un contenu, c'est une méthode qu'ils devront apprendre à leurs élèves.

     En résumé nous pouvons penser que la technologie est au point pour offrir à nos élèves des plates-formes multimédia parfaitement intégrées avec des logiciels d'exploitation souples, puissants, leur permettant une recherche d'informations adaptées à leurs aptitudes propres. Le gros avantage est que l'hyper-système donne la liberté de l'investigation et l'accommodation à ses propres schémas cognitifs à la découverte et à la compréhension. Il y a similarité entre le travail par hypermédia et le réseau sémantique qui facilite l'organisation des nouvelles informations dans le schéma cognitif de l'apprenant. Pour autant que l'enseignant les guide, leur mette les garde-fous et les outils d'évaluation indispensables, l'enseignement sera meilleur.

     Beaucoup de questions se posent cependant et la porte est ouverte pour une recherche didactique sérieuse pour répondre à nombre de questions auxquelles il nous faut répondre :

  • comment créer des sessions élèves ?

  • comment développer chez l'élève l'auto-discipline ?

  • quelles liaisons il faut créer ?

  • comment éviter à l'élève de se perdre ?

  • cet apprentissage est-il plus efficace que les moyens traditionnels ?

  • est-ce que l'aspect non structuré de l'apprentissage affecte celui-ci ?

  • est-ce que la possibilité qu'a l'élève de parcourir à travers le matériel d'une façon non-linéaire influence la qualité et la quantité de l'apprentissage ?

  • est-ce que tous les élèves (faibles et forts) réagissent de la même façon devant ce type d'enseignement ?

  • est-ce que le bénéfice de cet enseignement dépend du type d'étudiants ?

  • est-ce que toutes ces nouvelles technologies vont donner des nouvelles idées aux professeurs ?

  • est-ce que les hypermédias vont aider les élèves à interconnecter les disciplines ?

     Pour la chimie, autant et peut-être plus que pour beaucoup de disciplines, nous avons dans l'hypermédia une mine de promesses : la plupart des expériences déjà tentées le montrent.

     Ces expériences restent malheureusement trop ponctuelles. Même s'il y a des essais méritoires et intéressants, rien vraiment n'est encore développé. Trop peu de réalisations sinon dans l'apprentissage des langues peut-être, de l'histoire sans doute et surtout dans ce qui peut être commercialement rentable, la culture générale, mais dans ce que j'appellerai l'enseignement de base, « dur », pas grand chose. Pourquoi ?

     Nous avons besoin d'une immense imagination et d'une grande force créative, et d'outils de création pour exploiter de tels systèmes, mais nous avons aussi besoin de temps, d'argent et de reconnaissance académique. Tout cela manque cruellement.

     De plus l'enseignant aime offrir à ses élèves ce qu'il a lui-même préparé. Il refuse de se servir du tout fait. Je crois qu'en partie l'échec de la première génération de logiciels vient de là ; ils étaient :

  • trop difficiles à réaliser soi-même ;

  • si réalisés soi-même souvent de faibles qualité car assujettis aux compétences réduites de chacun ;

  • jamais parfaitement adaptés à nos souhaits.

     Il faut donc espérer que les outils de développement qui vont bientôt exister permettront à l'enseignant de préparer les sessions Élève aussi facilement qu'il pouvait préparer ses cours ex cathedra. Ce qu'il faudra lui fournir, ce sont les informations brutes qu'il « cuisinera » à sa façon. Pour créer ces banques de données, écrites, visuelles, sonores, il faut travailler par équipe car il est de plus en plus difficile de rassembler au sein d'une cellule universitaire les compétences nécessaires à des réalisations de qualité. C'est par un appel à la coopération universitaire que je terminerai : il nous faut réaliser ensemble de grandes banques de données largement accessibles dans lesquelles nous puiserons pour offrir un enseignement de qualité à nos élèves. Attention, il est prévu que d'ici le début du millénaire prochain, plus de 50% de l'enseignement passera par l'ordinateur ; l'enseignement se décentralisera, il se fera à distance ; soyons prêts.

Bernadette Wilmet
Professeur de Chimie
Université de Bruxelles

Paru dans la  Revue de l'EPI  n° 73 de mars 1994.
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NOTES

[1] Cet article s'inspire de la conférence plénière donnée lors des 6èmes journées sur les « Méthodes Informatiques dans l'Enseignement de la Chimie (MIEC) », Conservatoire National des Arts et Métiers, Paris (3 avril 1993).

[2] Professeur de chimie à l'Université de Bruxelles (CP 160/04, 50 avenue Fr. Roosevelt, 1050 Bruxelles).

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