Rapport 1993 de l'Inspection générale
de l'Éducation nationale
Conclusions générales du chapitre 9 :
les technologies nouvelles dans l'éducation
 

     Le but de cette étude était d'observer la mise en place dans les établissements secondaires de deux avancées technologiques - les réseaux locaux informatiques et audiovisuels et les lecteurs de CD-ROM - qui depuis 1990 sont venus enrichir le champ des applications potentielles des technologies de la communication et de l'information dans le domaine de l'éducation.

     Les observations faites permettent de formuler un certain nombre de remarques générales.

Les progrès accomplis

     Contrairement à ce que l'on entend parfois, il est excessif d'affirmer que l'utilisation de l'informatique et de l'audiovisuel dans l'enseignement secondaire est en recul. On peut certes déplorer que le développement de ces nouvelles technologies ne soit pas aussi rapide que ce qu'on avait espéré (on constate aussi, ça et là, des abandons regrettables) mais on ne peut nier, pour autant, les progrès accomplis globalement depuis sept ans.

· Le parc des micro-ordinateurs, des magnétoscopes et des téléviseurs, s'est considérablement accru. Nombre d'établissements possédant plusieurs dizaines de ces appareils, parfois plus d'une centaine et c'est justement l'une des raisons qui ont conduit à l'idée de réseau. Le matériel informatique est homogène (standard PC) et plus puissant. À ce sujet, il convient de rappeler le caractère significatif des calculs qui cherchent à établir des ratios « nombre d'appareils/nombre d'élèves » par établissement. Ce qui compte, ce n'est pas seulement le nombre d'ordinateurs ou de magnétoscopes que possède un établissement, c'est aussi et surtout l'usage qu'il en fait : fréquence et durée d'utilisation, nombre des utilisateurs (élèves et professeurs), qualité des applications, etc. De même, il paraît peu justifié de dénoncer les effets négatifs des mesures de déconcentration et de décentralisation. Un établissement qui présente un projet cohérent et convaincant d'utilisation pédagogique des nouvelles technologies reçoit l'appui de l'autorité académique et, très souvent, une aide en équipements de la collectivité territoriale dont il dépend. Il y a certes une grande diversité d'équipements d'un établissement à l'autre, mais ceux qui sont les mieux dotés sont ceux qui ont su montrer et démontrer leur intérêt dans ce domaine. L'équipement des établissements sur projet paraît, en tout état de cause, préférable aux dotations systématiques et égalitaires de tous les établissements (sauf lorsqu'il s'agit de lancer une opération et de créer un effet d'incitation) ou aux dotations exceptionnelles - quelles qu'en soient les raisons - d'établissements qui ne les ont pas demandées et qui ne sont pas prêts à en faire bon usage.

· Les logiciels disponibles sont plus nombreux et de meilleure qualité à la fois technique et pédagogique. Le système des licences mixtes a joué le rôle d'incitation qu'on en attendait. Le nombre des logiciels acquis sur les établissements selon ce système depuis 1987 témoigne à lui seul des progrès accomplis.

· La formation des enseignants, d'abord trop exclusivement centrée sur les techniques informatiques, s'est diversifiée et accorde désormais une place importante, avec l'appui et la participation des corps d'inspection, aux applications pédagogiques, discipline par discipline ou par champs disciplinaires. Il faut cependant regretter que les IUFM ne semblent pas avoir encore pu accorder une place significative aux technologies de l'information et de la communication dans la formation initiale des maîtres.

· Même si l'utilisation de l'informatique et de l'audiovisuel varie beaucoup d'une discipline à l'autre - ce qui est sans doute normal, toutes les disciplines n'ayant pas les mêmes besoins dans ce domaine - on constate, dans chaque discipline, l'apparition d'applications nouvelles et originales qui devraient connaître un bon développement pour peu qu'on mette en place des structures d'information et d'animation adaptées.

L'intérêt inégal des enseignants

     Les établissements qui fondent leur politique, dans le domaine des technologies éducatives, sur un projet cohérent font preuve de plus de dynamisme que les autres. On y observe des équipes homogènes qui développent, avec succès, des actions dignes d'intérêt. Plus inquiétante en revanche est la situation où, dans un établissement, des enseignants se consacrent avec conviction et dévouement à l'utilisation des nouvelles technologies mais dans un isolement et une absence d'intérêt de la part de leurs collègues et des chefs d'établissement tels qu'ils en viennent à être gagnés par le découragement et la tentation de l'abandon.

     Il y a, à cette situation, diverses causes :

- comme on l'a vu dans le chapitre consacré à l'usage des CD-ROM, le problème de la diffusion de l'information dans l'établissement et plus encore celui du manque d'intérêt et de curiosité des enseignants pour telle ou telle nouvelle technologie qui leur est présentée, sont des handicaps difficiles à surmonter. Dans bien des cas l'appropriation par les élèves d'une nouvelle technologie est plus rapide que celle des professeurs, ce qui crée une situation paradoxale où les élèves (du moins ceux qui ne se contentent pas de jouer) tentent seuls, ou avec l'aide du documentaliste, mais sans participation de l'enseignant, d'en tirer profit pour leur travail personnel ;

- un deuxième obstacle est l'idée couramment répandue que les technologies éducatives sont seulement des auxiliaires de l'enseignement, c'est-à-dire des aides ou des adjuvants dont on peut certes tirer profit, mais dont on peut aussi bien se passer. Leur usage serait facultatif en quelque sorte : s'en servir serait bien, ne pas s'en servir ne causerait aucun dommage réel. Avoir recours à elles pourrait aider mais ne changerait pas radicalement la nature de l'enseignement. Cette opinion est-elle fondée ? Déjà, il faut reconnaître que, dans certaines disciplines, l'amélioration des conditions de l'enseignement obtenue grâce au recours à ces technologies est telle qu'on ne saurait désormais s'en passer : peut-on imaginer des cours de langues vivantes sans l'utilisation du son, et des cours de biologie-géologie sans celle de l'image ? Les technologies permettent souvent, sinon toujours (ce qui est valable pour une discipline ne l'est pas forcément pour une autre) d'enseigner mieux. Mais elles permettent aussi d'enseigner autrement (par exemple, de mettre en oeuvre plus facilement une pédagogie différenciée ou des actions de remédiation) et autre chose (il y a des domaines du savoir que seul l'ordinateur permet d'aborder grâce à la possibilité qu'il offre de traiter un grand nombre de données ou de simuler des situations qui ne pouvaient être abordées en classe en grandeur réelle) ;

- un troisième obstacle, lié au précédent, est que le recours aux technologies éducatives apparaît souvent à l'enseignant comme un travail supplémentaire qui s'ajoute aux tâches traditionnelles, d'où la réticence à s'y engager ou la tentation d'abandonner après quelques essais. Certes, utiliser les technologies de l'information et de la communication exige un investissement personnel initial qui est incontournable, ce qui suppose, au demeurant, des actions de formation et d'aide à l'autoformation. Mais il serait dommage que se développe l'idée que ce supplément de travail doive perdurer. L'utilisation des nouvelles technologies doit conduire les enseignants à travailler autrement et à faire travailler leurs élèves autrement, avec pour objectif une plus grande efficacité, et non à ajouter des tâches supplémentaires à celles qui sont les leurs dans le cadre de l'enseignement traditionnel.

     En fait, la véritable question - et on l'a clairement évoquée à propos de l'utilisation des disques compacts à lecture optique - est de savoir dans quelle mesure le développement des techniques de l'information et de la communication ne va pas conduire à modifier les conditions de travail des enseignants et des élèves. L'organisation du savoir en banques de données facilement accessibles mais qu'il faut savoir consulter et utiliser à des fins déterminées, modifie les conditions d'apprentissage, comme elle modifie les conditions de travail dans la plupart des professions. Les élèves doivent apprendre à accéder aux sources de l'information que sont les CD-ROM (et leurs dérivés prochains) ou les banques de données, internes ou externes, et à exécuter, à partir de celles-ci, les tâches commandées. De même, l'existence de logiciels d'apprentissage (didacticiels) permet, dans le cadre d'une pédagogie différenciée, d'offrir aux élèves des exercices individualisés à des fins d'approfondissement, de soutien ou de remédiation. Cela suppose que, guidés et contrôlés par leurs professeurs, mais en situation de travail autonome, individuellement ou par petits groupes, les élèves aient accès à des postes de travail, dans l'établissement pendant le temps scolaire, et qu'ils disposent d'un temps suffisant pour accomplir les tâches demandées. Cela suppose aussi, en plus de l'existence en nombre des appareils nécessaires, une nouvelle organisation de l'espace et du temps, qui accorde plus de place et de temps au travail personnel de l'élève et moins sans doute à l'exposé magistral, et un renforcement du rôle et des missions du CDI. Ces considérations devraient être prises en compte dans la réflexion, actuellement en cours, sur la réforme des programmes d'étude.

Les stratégies de développement

     Toute organisation qui utilise un nombre élevé de micro-ordinateurs (au-delà de 50) est conduite à envisager la mise en réseaux de ces équipements pour faciliter la gestion des matériels et des logiciels, l'accès aux ressources informatiques, le partage de celles-ci et l'amélioration de la communication interne et externe. Mais un établissement scolaire est une organisation spécifique bien distincte d'une entreprise, ce qui induit pour le fonctionnement des réseaux des contraintes supplémentaires.

     L'installation et le fonctionnement d'un réseau local d'ordinateurs ou audiovisuel dans un établissement posent des problèmes particuliers et difficiles à résoudre, puisqu'il s'agit finalement de tenter d'organiser ce qui, par nature, est complexe et diversifié. De plus, en dehors de tout problème de moyens, l'« administration » d'un réseau à finalités pédagogiques se heurte à une difficulté supplémentaire : si le gestionnaire ou « administrateur » est un « technicien », il risque, au nom d'impératifs techniques, de faire écran à l'initiative pédagogique des enseignants. Il faut donc qu'il soit proche des enseignants, qu'il soit un facilitateur, un initiateur, que le technicien se double en lui d'un pédagogue ; qu'il soit, en un mot, proche des disciplines. Mais peut-il l'être de toutes ?

     Aussi, autant la logique conduit-elle à envisager avec sérieux l'hypothèse de la mise en place de réseaux locaux, autant la spécificité des établissements scolaires incite-t-elle à une certaine prudence, sinon quant aux chances finales de l'entreprise, du moins quant au rythme auquel il convient de l'étendre à d'autres établissements tant que toutes les leçons des essais actuels n'auront pas été recueillies et analysées.

     Les observations faites sur le terrain dans le cadre de cette étude, ne permettent pas, compte tenu du caractère récent et le plus souvent évolutif des installations, d'aboutir à ce sujet à des conclusions définitives, mais seulement à des remarques ponctuelles :

- là où des réseaux locaux, informatiques et/ou audiovisuels, fonctionnent effectivement, on a pu relever une mobilisation de la majorité des personnels pour l'utilisation des technologies éducatives et, ce qui est encore plus important, une modification sensible du climat, de la motivation des élèves, du rapport élèves-adultes et un développement du travail en équipe des enseignants. Même si on peut supposer que la motivation des personnels pour les technologies nouvelles préexistait au réseau et a permis sa réussite, l'effet réseau est cependant sensible et peut être jugé positif. Reste à savoir si cet effet résistera à l'usure du temps ;

- d'une façon générale, les fonctionnalités spécifiques que permet un réseau sont encore largement sous-exploitées (interactivité, partage de ressources, échange en temps réel ou différé de travaux ou de fichiers, etc.). Les utilisations les plus fréquentes sont celles que l'on pourrait développer sans le réseau en multipliant les équipements mobiles (micro-ordinateurs portables, micro-ordinateurs, magnétoscopes, téléviseurs sur chariots, etc.) et sans que cela soit nécessairement plus coûteux ;

- les grands réseaux (plus de 100 micro-ordinateurs) se heurtent à l'obstacle de leur gestion qui a été évoqué plus haut (compétence technique et pédagogique du gestionnaire et temps de travail nécessaire). Les petits réseaux limités à une ou quelques disciplines surmontent plus facilement cette difficulté ;

- si on ne peut se prononcer aujourd'hui sur les chances de réussite, eu égard à leur complexité et aux difficultés rencontrées, des grands réseaux, associant informatique et audiovisuel et s'étendant à l'ensemble de l'établissement, on peut, à tout le moins, affirmer dès maintenant la nécessité et la possibilité de partager un certain nombre de ressources. Il s'agit essentiellement de l'accès aux imprimantes, aux CD-ROM, au fonds documentaire, aux émissions de télévision (en direct ou enregistrées), aux vidéocassettes, au fichier des élèves pour la gestion pédagogique et les besoins de la vie scolaire.

     Une expérience n'a de chances de porter des fruits que si l'objectif visé est défini clairement, les étapes de la mise en place et le fonctionnement analysés méthodiquement, les éléments d'une stratégie ultérieure de développement identifiés.

     Sur le premier point, il serait opportun de faire un sort à l'émergence, tant dans les établissements que hors des établissements, d'idéologies « floues » qui tendent à survaloriser le « désir de réseau » et à inciter partenaires et acteurs à se lancer dans des initiatives hardies sans s'être assurés que toutes les conditions de la réussite étaient réunies. Dans ce domaine, les décideurs - autorités académiques et collectivités territoriales, chacune pour ce qui la concerne - et, plus encore, leurs conseillers et leurs experts ont un rôle important à jouer pour prévenir les effets de mode et d'affichage, résister aux pressions, canaliser les engouements et inviter les établissements volontaires à élaborer un projet réfléchi précis et réaliste, où les enjeux, les objectifs, les conditions de faisabilité soient clairement analysés et formulés : réseau audiovisuel et/ou informatique ? administratif et/ou pédagogique ? général ou réservé à un ou plusieurs champs disciplinaires ? etc.

     Une expérimentation « pour voir », sans protocole, sans grille d'objectifs, sans méthodologie d'évaluation, sans analyse complète des données de l'observation, atteint vite ses limites. Malgré l'engagement et le dévouement des acteurs sur le terrain et des équipes académiques d'appui, il ne semble pas que toutes ces conditions soient pleinement réunies pour le moment. Il faudrait que quelques expérimentations, choisies avec soin, fassent l'objet d'une observation systématique dans la durée. Des universitaires chercheurs pourraient être associés à cette évaluation.

     Les stratégies de développement ne peuvent se réduire à des actions d'information et de formation. Tout d'abord parce qu'il ne peut y avoir de formation sans l'existence préalable d'un « corpus de formation ». Si on ne veut pas en effet que la formation se réduise à la maîtrise des problèmes techniques, mais qu'au contraire elle ait véritablement un objectif pédagogique, puisqu'il s'agit de former des enseignants qui auront à utiliser de nouvelles technologies pour le « bénéfice » de leurs élèves, il faut que les premières applications pédagogiques mises au point soient identifiées, validées, puis rassemblées pour constituer un premier « corpus » à partir duquel la formation puisse être organisée. De plus, en aval des stages de formation qui, s'ils sont nécessaires, sont toujours trop courts pour, à eux seuls, initier de nouvelles pratiques et conforter les changements d'attitude qu'elles supposent, il convient de mettre en place des groupes de travail, véritables structures d'animation, où, avec l'appui des corps d'inspection et des formateurs, les enseignants volontaires puissent se rencontrer régulièrement, échanger leurs expériences, faire le point de leurs travaux.

     Enfin, pour écarter tout à fait le risque d'isolement des enseignants les plus actifs et les plus inventifs, source de découragement et infructueux en terme de développement, il faut veiller à ce que leurs activités innovantes dans le domaine des technologies éducatives soient intégrées dans le projet d'établissement, et qu'à ce titre, elles fassent l'objet d'une information interne.

Extrait du rapport de l'Inspection générale de l'Éducation nationale - 1993 - Documentation française - 680 pages - 250 FF TTC.

Paru dans la  Revue de l'EPI  n° 71 de septembre 1993.
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