Une expérimentation de logiciels de lecture

Annie Besnard - Claire Maniez
René Dahlem - Pascal Kauffer
Jean-Marc Pierre
 

     Un nombre croissant d'enfants et d'adultes éprouvent de plus en plus de difficultés à appréhender l'écrit : les enseignants d'école primaire et de collège, les spécialistes en formation continue le constatent depuis plusieurs années. Ce n'est pas seulement le devenir scolaire d'un individu qui se trouve perturbé par ce problème, mais sa vie quotidienne, dans laquelle l'accomplissement des démarches les plus simples devient un parcours semé d'embûches lorsque le texte le plus élémentaire, panneau d'affichage, formulaire ou mode d'emploi, reste une énigme.

     Mais comment remédier de façon à la fois attrayante et efficace - car il s'agit d'un public en situation d'échec que rebute le caractère trop scolaire et fastidieux des exercices traditionnels - à des problèmes qui peuvent aller de l'incapacité à reconnaître un mot à la difficulté de comprendre un message écrit ? L'informatique semble un outil intéressant à exploiter : d'une part il renforce la motivation, en assimilant l'exercice à un jeu avec score ; d'autre part il propose ses ressources spécifiques : par exemple afficher des mots à une vitesse qui se règle sur les performances de l'apprenant, le mettant toujours en situation d'effort sans qu'il ait l'impression d'être dépassé.

     Ainsi sont conçus des didacticiels dont les plus connus sont l'oeuvre de l'A.F.L. : ELMO, ELMO 0, souvent imités par différents éditeurs. L'informatique se veut maintenant au service de la lecture, encore reste-t-il à vérifier son efficacité, c'est-à-dire sa capacité à améliorer le rapport des lecteurs en difficulté avec l'écrit tel qu'ils le rencontrent quotidiennement. C'est la tâche que s'est fixée le C.R.I.L. (L comme Lecture), sous-groupe du C.R.I. de l'Académie de Nancy-Metz.

ORGANISATION DE L'EXPÉRIMENTATION

     Le C.R.I.L. est composé de Formateurs Académiques en Informatique à temps plein ou enseignant à temps partiel le français, les langues vivantes ou la philosophie. Leur discipline d'origine et leurs activités de formation les conduisent donc à s'intéresser à la fois aux difficultés des lecteurs en situation d'échec et à l'utilisation des produits d'aide à la lecture. Circulant dans un grand nombre d'établissements, des collèges surtout, ils constatent l'intérêt croissant de leurs collègues pour ces didacticiels, accompagné souvent d'une interrogation sur l'efficacité des exercices proposés et d'hésitations quant à l'organisation des séances de travail avec les élèves de façon à tirer le meilleur parti possible de l'outil mis entre leurs mains. C'est de ces observations que naît l'idée d'un groupe d'étude qui réunirait des enseignants sur le terrain et des formateurs pour mettre sur pied une expérience qui permette d'étudier dans quelles conditions et éventuellement dans quelles limites l'utilisation des outils d'aide à la lecture peut avoir une influence positive sur les sujets en difficulté.

Mieux connaître les logiciels

     La première tâche consiste, pour l'équipe de formateurs, à recenser les logiciels les plus répandus et les plus dignes d'intérêt, et à faire plus ample connaissance avec eux. ELMO et ELMO 0 s'imposent puisqu'un grand nombre de collèges en font l'acquisition, et LUCIL représente un créneau différent, celui de l'illettrisme. LIRA, après avoir fait ses débuts sur les 8 bits, existe maintenant sur nanoréseau. LECTRA vient d'entrer dans le circuit et les exercices regroupés dans le volume LECTURE NANO ont l'avantage de tourner sur nanoréseau TO7-70. Le dernier n'est pas retenu pour l'expérimentation, mais fait l'objet, comme les autres, d'une présentation publiée dans le numéro de Fenêtre active intitulé « Atout lecture » [1], à la fois guide pratique des logiciels et tentative de synthèse des connaissances concernant l'acte lexique.

     L'observation des différents produits permet en effet de dégager quelques constantes quant aux capacités que l'on veut développer chez l'individu en difficulté. Dans chaque exercice, le travail est centré sur l'une d'entre elles : perception, mémorisation, vision utile, repérage, vitesse, anticipation, ou compréhension, ce qui n'exclut pas le retentissement de l'entraînement sur les autres aptitudes qui ne sont pas directement visées. La liaison avec l'écriture n'apparaît que dans ELMO 0.

Plan de travail pour une année scolaire

     L'expérimentation est progressivement mise sur pied en mai et juin 1987. Les cinq formateurs résident dans des secteurs géographiques différents, ce qui permet de disséminer les sites d'observation sur l'ensemble de l'Académie. Chacun d'entre eux prend en charge un ou plusieurs établissements scolaires ou de formation continue, qui ont choisi de participer au groupe de travail et qui ont déjà acquis les didacticiels ou en disposent par un système de prêt. 10 établissements, 21 enseignants et 558 élèves sont ainsi concernés par l'expérience.

     ELMO 0 est utilisé au niveau 6ème dans les collèges de Behren-les-Forbach, Blainville-sur-l'eau, Commercy et Frouard, en S.E.S. au collège Albert Camus à Jarville et en C.M.1 à l'école du 149ème R.I. à Epinal ; le niveau 6ème du collège d'Homécourt travaille avec ELMO ; LUCIL est expérimenté à Bar-le-Duc dans le cadre d'une formation 16-18 ans au GRETA et dans une C.P.P.N. du L.P. du Stade, et à Frouard au niveau 6ème ; les 6ème et 5ème du collège de Montiers-sur-Saulx se réservent LIRA. LECTRA, initialement prévu en complément sur certains sites, est peu à peu délaissé à cause de fréquents problèmes de fonctionnement.

     Le formateur joue auprès des sites dont il a la charge le rôle de personne ressource . Il lui faut d'abord familiariser les enseignants avec le produit dont ils ont la charge, puis les aider, pour ELMO 0 par exemple, à choisir et entrer des textes. La première séance de travail avec les élèves est parfois source d'appréhension pour qui n'a pas une bonne pratique du nanoréseau ; la présence du formateur est alors appréciée, ce qui ne le dispense pas de revenir pour des séquences ultérieures afin d'observer directement le comportement des élèves. Enfin quelques dysfonctionnements étant à déplorer dans certains produits, il peut conseiller sur la procédure de dépannage.

     Les réunions du C.R.I.L., c'est-à-dire de l'équipe qui gère les travaux du groupe de recherche, permettent d'organiser le déroulement de l'expérimentation sur l'année scolaire et de prévoir le contenu des journées qui réunissent deux fois par trimestre tantôt tous les enseignants utilisateurs tantôt un coordonnateur par établissement. Elles sont consacrées à des échanges d'informations entre sites, à la mise au point du déroulement de l'expérience et à la réflexion, enrichie par la pratique, sur les didacticiels choisis. C'est à cette occasion qu'ont été proposés des tests d'évaluation du niveau en lecture et une grille d'observation des élèves, tous deux élaborés par l'équipe des formateurs, afin d'aider les expérimentateurs dans leur travail sur le terrain. La réflexion sur les produits se concentre sur deux thèmes : la manière dont sont développées, à travers les différents exercices, les capacités entrant en jeu dans l'acte de lecture, et la présentation des bilans. Les problèmes posés plus généralement par le contact avec le texte ne sont pas perdus de vue : au mois de décembre est intervenu M. Deleu, responsable d'une université d'été centrée sur la lecture ; sa conférence a permis une approche différente de la question, incluant le facteur affectif et l'influence de l'environnement éducatif dans l'apprentissage ou l'amélioration de la lecture.

L'EXPÉRIMENTATION DANS LES SITES

     Utiliser l'informatique dans l'Éducation nationale alors qu'aucun établissement ne peut offrir une machine par élève pose des problèmes d'organisation. Excepté la formation 16-18 ans, et les classes de C.P.P.N. et de S.E.S., où les effectifs sont réduits, il n'était pas possible d'envisager un travail dans le cadre traditionnel de la classe. D'autre part, la situation d'expérimentation implique l'emploi d'un outil d'évaluation qui permette de valider ou non l'hypothèse, à savoir : le travail des élèves avec un didacticiel d'entraînement à la lecture leur permet d'améliorer leurs résultats dans ce domaine. L'utilisation de tests répond donc à la double exigence de trier les élèves, afin de constituer des groupes restreints, et de mesurer leurs performances pour mieux cerner leurs difficultés et rendre compte de leur évolution, globalement et par capacité.

Le choix des tests

     ELMO est le seul didacticiel à proposer un test interne, qui a surtout pour finalité d'adapter la vitesse à chaque sujet. Évaluer les performances de lecture sur support papier semblait d'ailleurs plus conforme à l'objectif poursuivi, puisque c'est le retentissement de l'utilisation du logiciel sur l'ensemble de la pratique de lecture qui doit être observé. Six tests ont donc été mis au point par l'équipe des formateurs, chacun évaluant une des capacités entrant en jeu dans l'acte de lecture. Seule la vitesse n'est pas l'objet d'un exercice caractérisé ; mais elle intervient dans chaque test puisqu'un temps maximum est imparti. La notation des six tests est équilibrée de façon à ce qu'aucune des capacités ne l'emporte sur les autres. Une première utilisation, avec une classe de 6ème témoin qui ne participe pas à l'expérimentation, a donné lieu à un réajustement du niveau et de la durée.

     Les tests sont adoptés par la plupart des sites, avec toutefois des modifications des textes de support pour la S.E.S. et le C.M.1. Dans les classes à faible effectif, ils servent uniquement à évaluer le niveau des élèves au début des séances de travail. Ailleurs, cette évaluation s'accompagne d'une fonction de tri : les sujets ayant obtenu les scores les plus faibles travailleront sur ordinateur ; les autres, qui seront également testés en fin de parcours, constitueront le groupe témoin.

     La fiabilité de ces tests, comme de tant d'autres, peut être mise en question. Ce n'est pas le fait que, en général, les résultats confirment ceux obtenus en français et dans l'ensemble des disciplines, qui peut assurer de leur validité. Il existe des exceptions, certainement dues en partie à l'émotivité des sujets, ou à leur désarroi face à des types d'exercices avec lesquels ils n'ont pas été familiarisés. Mais ce serait remettre en cause la pratique, en général, du test, ce qui n'est pas, pour l'instant, notre souci. Un prochain numéro de Fenêtre active, consacré au compte rendu détaillé de l'expérimentation, donnera les résultats de leur traitement, qui se fait actuellement avec l'aide d'un logiciel de statistiques.

Quelques exemples d'organisation

     Le travail avec les élèves débute effectivement au commencement du mois de novembre 1987. A cette époque, chaque enseignant a mis sur pied l'organisation la mieux adaptée aux possibilités de son établissement. Répertorier tous les cas de figure serait fastidieux, mais quelques exemples types résumeront les stratégies adoptées.

     L'atelier ELMO 0 du collège de Frouard, géré par 2 enseignants, compte 12 élèves qui disposent d'un nanoréseau de 6 MO5. Chaque enfant passe une demi-heure sur la machine, ce qui est suffisant pour effectuer une série de 2 exercices associés proposés par le didacticiel ; l'autre demi-heure est consacrée, dans la même salle, à la lecture silencieuse d'un conte. Il est évident que le groupe qui ne travaille pas sur ELMO 0 est parfois distrait, mais prévoir un déménagement dans une autre salle occasionnerait une perte de temps, et l'assistance aux élèves sur ordinateur mobilise parfois les deux enseignants, alors que l'autre groupe ne nécessite aucune intervention extérieure. A la fin de chaque séance, les bilans sont imprimés et distribués aux élèves qui les rangent chacun dans une chemise prévue à cet effet.

     Au collège d'Homécourt, ELMO fonctionne pour les élèves en dehors de leurs heures de cours et sous la responsabilité du documentaliste. Le passage devant la machine est complété par une exploration du C.D.I. et surtout par une découverte avec l'enfant des stratégies de lecture et une prise de conscience progressive de ses lacunes. A Frouard comme à Homécourt, une séance de travail devant l'écran n'excède pas une demi-heure, durée au-delà de laquelle la fatigue diminue l'efficacité de l'entraînement. Si à Homécourt les élèves bénéficient de 3 séances par semaine, les impératifs de l'emploi du temps ne permettent pas plus d'une séance hebdomadaire à Frouard.

     La S.E.S. de Jarville paraît, à ce point de vue, plus favorisée, l'organisation de ce type de section étant beaucoup plus souple. Huit ordinateurs sont mis à la disposition de quatorze élèves qui utilisent ELMO 0 une demi-heure par jour, et essentiellement dans les tranches horaires les plus favorables : 8-9 heures, 10-11 heures. Les enseignants ont choisi et entré eux-mêmes les textes, avec lesquels les élèves se familiarisent également sur papier en-dehors de la salle d'informatique. L'objectif fixé est non seulement d'améliorer les performances de lecture, mais aussi d'acquérir le vocabulaire le plus usité dans la vie quotidienne.

     Soulignons que, dans tous les cas, le rôle de l'enseignant ne se limite pas à mettre en route le nanoréseau et à clarifier les consignes affichées à l'écran. C'est lui qui, en cas d'hésitation de l'élève devant une réponse à donner, peut l'aider à surmonter sa difficulté et l'amener ainsi à une prise de conscience progressive des stratégies à mettre en oeuvre pour mieux lire.

POUR UN PROJET GLOBAL DE LECTURE

     Seul l'aspect informatique a été envisagé dans cet article. Or, si le B.O. du 30 juin 1987 recommande l'utilisation de « didacticiels de lecture silencieuse », il convient de préciser qu'il n'a jamais été question pour le C.R.I.L. de concevoir une politique d'amélioration de la lecture limitée à l'emploi de l'E.A.O. Les quelques exemples d'organisation qui ont été évoqués montrent que l'utilisation des didacticiels ne constitue qu'un élément d'un projet global de lecture, dans lequel entrent en jeu d'autres techniques de familiarisation avec le texte, d'autres supports de travail que l'écran et le clavier, et la découverte de situations de lecture qui ne se limitent pas à la recherche d'informations ou à l'apprentissage de vocabulaire, mais incluent aussi le plaisir de se plonger dans une histoire.

Annie Besnard, Claire Maniez,
René Dahlem, Pascal Kauffer,
Jean-Marc Pierre
Groupe Lecture du C.R.I.
Nancy-Metz

Paru dans la  Revue de l'EPI  n° 52 de décembre 1988.
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NOTES

[1] « Atout lecture », collection Fenêtre active, CRDP, 99 rue de Metz, 54014 NANCY cedex.

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