Texte publié dans la brochure « Enseignement et technologies nouvelles ». Supplément à l'US n° 110 du 26 avril 1985. Bibliothèque du SNES. Positions et Recherches. 1985. 142 pages.

Il reprend pour l'essentiel les éléments du discours prononcé par Monique Vuaillat à l'issue du colloque « Enseignement et nouvelles technologies », le 9 décembre 1984, et essaie d'intégrer les derniers éléments de réflexion que l'actualité nous suggère.


TECHNOLOGIES NOUVELLES ET INVESTISSEMENT ÉDUCATIF

Monique Vuaillat, Secrétaire générale du S.n.e.s.
 

     Le thème des technologies nouvelles et de leur place dans l'enseignement peut paraître un peu rebattu aujourd'hui. Pourtant, si on parle beaucoup de leur place dans la société ou à l'école, on se préoccupe plus rarement du rôle des enseignants dans le processus en cours. Nous affirmons une idée force : sur ce sujet comme sur d'autres, les enseignants doivent être davantage entendus lorsqu'il s'agit des problèmes de leur métier et des problèmes de la formation des jeunes plus généralement.

     Cette considération générale s'applique aussi à notre sujet pour définir les objectifs et les finalités de l'intégration des nouvelles technologies comme objet de formation pour mieux préciser ce qui est nécessaire pour en faire un nouveau moyen d'enseignement (équipements, formation des maîtres, etc.). Entendre les enseignants, cela ne peut pas être simplement constituer des groupes de réflexion auxquels certains d'entre eux participent en raison de leur compétence mais sans que soient connus et explicités les critères qui font que l'on fait appel à tel ou tel et non pas à tel autre. Il faut au moins la transparence. Entendre les enseignants, cela ne peut pas non plus se réduire au travail de quelques experts dont nous respectons la compétence. Leur apport est certes indispensable mais ne suffit pas. Nous n'hésitons d'ailleurs pas à y recourir nous-mêmes pour éclairer notre réflexion.

     Nous ne récusons donc aucune compétence mais nous demandons que soit faite une place plus grande à l'apport des organisations représentatives que les enseignants se sont données...

     Non pas par esprit de boutique, chacun le comprendra. Ni par une sorte de basisme s'appuyant sur l'idée, que nous en partageons pas, qu'il suffirait de mettre les gens en tas pour que la vérité et les bonnes solutions jaillissent.

     Nous sommes convaincus, au contraire, qu'il faut développer aujourd'hui des synthèses nouvelles entre les réflexions et les avancées des chercheurs et les enseignements tirés de la pratique quotidienne de nos collègues dans les établissements. Dans le domaine des technologies nouvelles comme dans celui plus général des contenus et des méthodes d'enseignement, ce sont les enseignants qui, en définitive, doivent résoudre les problèmes concrètement, qui vivent les difficultés du métier. Qui mieux que leurs organisations représentatives est à même de saisir les articulations diverses entre les problèmes posés, de les appréhender dans leur globalité ? D'inscrire la problématique de l'utilisation des technologies nouvelles dans la perspective de permettre à la masse des jeunes de réussir, d'acquérir une formation moderne de qualité ? Aux enseignants de mieux exercer leur métier, dans des conditions matérielles et morales améliorées ?

     Il ne suffit pas de dire, même s'il est important de le rappeler, que l'école doit permettre aux jeunes de s'approprier les connaissances de plus en plus complexes qui leur sont aujourd'hui nécessaires dans leur métier futur et dans la vie sociale. Il faut aussi s'interroger sur ces connaissances elles-mêmes et sur les problèmes nombreux que posent les divers apprentissages. C'est dire l'importance, aujourd'hui, de la réflexion pédagogique. Or, nous manquons cruellement de connaissances dans ce domaine et ce n'est pas un hasard si, dans cette brochure, il est beaucoup fait référence au besoin d'une recherche pédagogique sérieuse.

     Il faut bien mesurer le prix que nous attachons au développement de la recherche pédagogique et de la diffusion de ses résultats. Sans méconnaître les acquis bien réels dans ce domaine, qu'ils soient ceux de l'enseignement supérieur, des grands organismes de recherche en dehors du M.e.n. ou de l'I.n.r.p. nous constatons avec les chercheurs eux-mêmes que cela ne suffit pas au regard des problèmes de l'enseignement tels qu'ils se posent aujourd'hui. C'est la raison pour laquelle, avec d'autres organisations et avec les chercheurs eux-mêmes, nous considérons qu'il faut faire plus, beaucoup plus et tout d'abord mieux structurer la recherche en éducation sur le plan scientifique comme sur le plan administratif. Il faut lui donner les moyens importants que justifie précisément l'importance de ce que les enseignants attendent d'elle.

     C'est pourquoi nous continuerons à agir pour que l'on aille vite vers la création d'un grand institut national de la recherche en éducation doté d'un statut d'E.p.s.t., à l'image des organismes de recherche dans d'autres domaines.

     Dans cet institut, et compte tenu de la spécificité des problèmes de l'enseignement, les structures et statuts doivent être adaptés pour permettre une liaison étroite et constante avec le terrain ainsi que la participation des enseignants eux-mêmes à la recherche s'ils le souhaitent. Si comme je viens de le dire, nous attendons beaucoup de la recherche en éducation, nous ne pensons pas pour autant qu'il s'agit de trouver des recettes ou des techniques nouvelles et de les diffuser.

     Les problèmes de l'enseignement ne sont pas seulement en effet des problèmes de technique d'enseignement, il s'en faut même de beaucoup. Ce que nous demandons, c'est que la recherche contribue à éclairer la pratique. En retour, cela veut dire aussi qu'une de ses tâches est de mieux saisir les questions qui émergent à ce niveau. Dans ce domaine aussi, nous ne nous contentons pas d'affirmer des principes ou des revendications. Nous prenons des initiatives pour faciliter les rencontres, le débat, les convergences.

     Cette brochure et le colloque que nous avons organisé témoignent donc aussi de notre volonté de prendre toute notre place, concrètement, dans la réflexion pédagogique, d'apporter notre pierre grâce à la contribution de nos militants, de mieux connaître leurs points de vue et leur expérience, de les confronter avec celles des autres. Or, le temps presse et il faut absolument que, sans prendre plus de retard, les conditions soient réunies pour que des expérimentations soient menées, dans des conditions qui donnent toute garantie sur leur caractère scientifique. Il faut aussi que la matière grise investie par nos collègues ne se perde pas. Pour cela, il est nécessaire d'évaluer, de faire connaître, de diffuser. Il y a un grand besoin d'échanges, de réflexion sur les pratiques. Ce besoin doit être pris en compte.

     Nous sommes résolument pour l'introduction des technologies nouvelles dans les formations et les pratiques. Disant cela, nous ne cédons pas aux modes et ce n'est pas non plus une attitude de circonstance. Elle ne se fonde pas sur une croyance aveugle au progrès. Le lien entre l'histoire d'une société et les technologies est complexe, nous le savons. Nous avons d'ailleurs eu l'occasion de critiquer en d'autres lieux une vision réductionniste du développement social faisant de la découverte de techniques nouvelles le moteur de l'histoire, oubliant le tissu social et l'environnement économique dans lequel elles s'insèrent. L'histoire contemporaine nous a appris aussi à mieux percevoir les usages divers qui peuvent être faits du progrès technique.

     Nous ne pensons pas non plus que les technologies nouvelles suffiront pour régler les problèmes actuels de l'enseignement. Mal intégrées ou intégrées avec des objectifs autres que ceux que nous préconisons, elles peuvent même se révéler instruments supplémentaires de sélection et de ségrégation. Cela est souligné par quelques articles de cette brochure. Mais si elles s'inscrivent nettement dans le projet d'élever le niveau des formations des jeunes, nous pensons qu'elles peuvent constituer un moyen très important dans la lutte contre l'échec scolaire et pour permettre à chacun de réussir dans des formations de qualité. Elles peuvent permettre notamment une réelle individualisation de l'enseignement. Elles sont aussi un moyen de gagner du temps dans l'acquisition d'un certain nombre d'apprentissages. Elles représentent enfin un élément important d'ouverture de l'école à l'environnement social et culturel tel qu'il est aujourd'hui, tel que le connaissent les jeunes.

     Évidemment, cette affirmation suscite, comme on l'a vu, des interrogations. La réflexion sur les rapports entre les technologies nouvelles et la culture devrait essayer de mieux explorer des domaines où les questions et les incertitudes sont nombreuses.

     Va-t-on à travers la généralisation de l'utilisation des technologies nouvelles vers un enrichissement culturel ?

     Ou au contraire risque-t-on d'aboutir à un monde, parfois décrit, où les valeurs seraient réduites à ce que l'ordinateur peut en comprendre, où les relations entre les hommes deviendraient des relations médiatisées par le composant, où chacun se retirerait ou plutôt serait enfermé dans un scaphandre fait de claviers, d'écrans et d'interfaces ?

     S'agissant de l'école, notre position est claire : nous sommes résolument pour la résistance à l'appauvrissement des formations et de la culture qui lui sert de référence, pour la modernisation des contenus d'enseignement, pour que soient prises en compte toutes les dimensions de la culture contemporaine.

     C'est d'ailleurs pour cette raison que nous affirmons depuis longtemps que l'aspect technologique du monde doit trouver place aussi à l'école, quel que soit le niveau de la scolarité et la formation suivie.

     Nous avons passé de longues années à revendiquer, en conséquence, une place équilibrée pour les éléments dits classiques de la culture d'une part, pour ce qui relève de l'expression dans sa diversité (et je songe par exemple aux disciplines artistiques même si elles ne sont pas seules concernées) d'autre part. Mais aussi pour ce qui, en France du moins, a été et continue pour une part à rester marginal, c'est-à-dire la technologie. Nous avons la même attitude pour les technologies nouvelles. Mais nous ne sommes pas pour faire table rase de ce qui a existé. C'est pourquoi nous agissons, par exemple, pour que l'enseignement de la technologie dans les collèges intègre les acquis positifs de l'E.m.t. qu'il remplace. Ces acquis sont nombreux et nous n'accepterons pas en particulier que l'on renonce à tout ce que les activités manuelles peuvent apporter à la formation à ce niveau. Pour l'informatique, la télématique et l'audiovisuel, et peut-être très bientôt pour ce qui pourra résulter d'une meilleure intégration entre les trois, nous voyons bien tout ce que ces nouveaux moyens peuvent apporter à l'enseignement des diverses disciplines, à une plus grande efficacité dans l'exercice professionnel et, tout particulièrement à la lutte contre l'échec scolaire. Il faut pour cela que l'on sache bien les intégrer aux formations, en tirer toutes les conséquences au niveau de la conception même des formations, de leur évaluation. C'est vrai pour le technique mais aussi pour les formations qui ne débouchent pas immédiatement sur un métier.

     Cette intégration ne va pas de soi et, pour ce que nous en savons, n'est pas toujours bien réussie, ni même recherchée. Un exemple : cherche-t-on à former des utilisateurs avertis des technologies nouvelles ou des consommateurs d'informatique ou d'audiovisuel ? Je n'ai pas besoin de préciser que seule la première hypothèse nous intéresse. Mais on peut aller plus loin : si l'école se contentait de chercher à imiter ce qui se passe hors de l'école avec la télévision en particulier, elle serait perdante à coup sûr. L'audiovisuel scolaire serait rejeté, en premier lieu par ceux des élèves qui sont les plus friands consommateurs d'audiovisuel à l'extérieur de l'école! Si, au contraire, l'école vise autre chose et permet aux élèves de se mettre en position d'acteur, l'audiovisuel aura un autre visage et contribuera à la formation critique des jeunes.

     Mais intégrer l'apport des technologies nouvelles dans les formations sans appauvrir leurs objectifs est plus facile à dire qu'à faire. Les maîtres n'y sont pas préparés suffisamment aujourd'hui. Leur formation initiale et continue est fortement déficiente à cet égard.

     D'une certaine façon, on a pu dire que l'introduction des technologies nouvelles comme moyen de permettre une meilleure appropriation des connaissances a servi de révélateur aux grandes carences de la formation des maîtres en matière de didactique des disciplines.

     Quand elles deviennent objet même de l'enseignement, il faut relever le retard dans la formation initiale des maîtres, notamment des enseignants du technique, du secteur industriel et peut-être plus encore du secteur tertiaire. Ces insuffisances doivent être corrigées sans plus tarder et les enseignants doivent être préparés à la maîtrise des technologies nouvelles, à l'utilisation de l'image, à l'introduction de l'audiovisuel dans la didactique des disciplines etc. Dans l'immédiat, le rôle du C.p.r. et des années de formation en C.f.p.t. doit être encouragé dans ce sens.

     La formation continue doit être développée, nous le demandons. Nous sommes loin du compte. Quand elle existe, il y a beaucoup de choses à en dire. Elle ne tient qu'insuffisamment compte des besoins des enseignants. La formation aux technologies nouvelles ne doit pas être plaquée mais s'intégrer aux domaines qui relèvent de la responsabilité des enseignants. Par exemple, la formation de l'informatique doit être articulée pour les professeurs des secteurs industriel et tertiaire aux problématiques nouvelles des processus de fabrication et de gestion des entreprises. Les besoins sont grands. Il sont loin d'être satisfaits. Nous sommes donc confrontés à la nécessité de former en même temps de nouveaux formateurs dans des domaines où ils sont insuffisamment nombreux. Ceux des enseignants qui ont reçu des formations lourdes pour devenir formateurs doivent pouvoir être conseillés et aidés dans ces tâches. Ce n'est pas le cas actuellement. Il n'est pas non plus impensable de solliciter des formateurs parmi les salariés d'entreprises nationalisées et privées.

     Jusqu'à maintenant, on a avancé un peu à l'aveuglette et on continue à le faire.

     Nous proposons donc qu'un effort particulier soit fait pour impulser des recherches sur les problèmes posés par l'introduction des technologies nouvelles dans l'enseignement.

     Dès maintenant, il nous semble qu'il est grand temps de fixer, à travers une large consultation associant les personnels directement concernés, un cadre permettant que les technologies nouvelles ne soient pas plaquées sur ce qui existe mais intégrées aux formations, à celle des maîtres, à celle des élèves.

     On dit, ici ou là, et c'est un problème voisin de celui que je viens d'évoquer, que les nouvelles technologies permettraient, à la limite, de se passer des enseignants. Selon le point de vue, on le craint, on le déplore ou on s'en réjouit. L'expérience de ces dix ou quinze dernières années nous montre l'usage qui peut être fait de la thèse selon laquelle les coûts de l'éducation seraient trop élevés dans nos sociétés. Je développerai plus loin notre point de vue sur l'importance de l'investissement éducatif. Mais il est clair que les nouvelles technologies peuvent nourrir la tentation des gouvernements de peser sur les coûts, sinon en se passant des enseignants, du moins en trouvant des solutions plus économiques.

     Le développement du télé-enseignement doit, par exemple, être analysé aussi à travers cette problématique. Avec la télématique, il est clair que des possibilités inconnues jusqu'alors peuvent être, envisagées pour réduire le nombre d'enseignants ou recourir à des J personnels moins qualifiés. Des projets existent, nous le savons et nous nous y opposerons. Que l'enseignant reste et soit réduit au rôle de serveur de la machine ou qu'on cherche à s'en passer reviendrait en tout état de cause à enlever une dimension essentielle à la relation pédagogique et appauvrir le métier d'enseignant. Loin de permettre de combattre la ségrégation sociale, cette conception ne peut que contribuer à la renforcer. Nous nous y opposons car nous considérons qu'une des manières de sortir de la crise de l'école est, au contraire, d'enrichir les tâches de l'enseignant, de rendre son travail plus créateur et plus responsable.

     Rien dans l'introduction des technologies nouvelles n'est fatal de ce point de vue. Tout dépendra de l'orientation choisie. Soit on cherche à diminuer les coûts, coûte que coûte si l'on peut dire, on privilégie une conception appauvrie du métier de l'enseignant, on oublie que l'acte pédagogique est un acte social qui tire aussi sa richesse et son efficacité de la relation établie entre les élèves, et entre les élèves et le maître. Ces relations ne sont évidemment pas une fin en soi, elles rendent possible et facilitent pour les jeunes l'accès à une meilleure maîtrise des savoirs et des savoir-faire. Si on n'en tient pas compte, on débouche sur une conception appauvrie de la formation.

     Soit on considère que l'investissement éducatif vaut la peine, qu'il est nécessaire de former à un niveau toujours plus élevé les femmes et les hommes de demain en visant à développer toutes leurs potentialités et dans ce cas, la fonction de l'enseignant doit être enrichie.

     Au-delà des déclarations générales, on voit bien que ce choix fondamental passe aussi par une réflexion sur le type d'équipement retenu, la nature des logiciels développés, le contenu des formations proposées aux enseignants. Nous considérons que dans chacun de ces domaines, il faut privilégier non pas ce qui revient le moins cher dans l'immédiat mais ce qui permet l'intervention éclairée et responsable des enseignants. Cela suppose qu'ils soient consultés sur le choix de ce matériel qui ne peut être fait indépendamment des objectifs de formation et des finalités pédagogiques auxquels ils doivent contribuer. Or, à cet égard, plusieurs questions doivent être traitées d'urgence.

     Il faut une cohérence entre les équipements nationaux et ceux qui vont relever ou qui relèvent déjà des collectivités territoriales.

     Des aberrations commencent à se produire. Pour les formations technologiques, qui font appel à des équipements lourds et coûteux, doivent être trouvés les moyens de doter tous les établisse[lents d'équipements tenant compte des nécessités des apprentissages suivant les niveaux de formation considérés en même temps lue doivent être recherchés les moyens d'une collaboration avec les entreprises pour qu'elles facilitent elles aussi l'accès des élèves aux équipements les plus modernes et les plus performants. Des expériences sont en cours comme la constitution de centres de ressources. Il nous faut les suivre de près. Evidemment, se posent avec acuité les questions de financement de ces équipements, de l'achat de logiciels, de la maintenance qui ne peut être transférée comme c'est le cas à l'heure actuelle à la charge de l'établissement. Ici réside un frein à l'introduction des technologies nouvelles.

     Pour les logiciels, par exemple, les enseignants ont à jouer un rôle essentiel. Une nécessaire politique de développement de la production dans ce domaine ne peut se faire que si est clairement affirmé le principe de la maîtrise pédagogique des enseignants sur le choix de l'utilisation des produits. L'intervention active du service public dans la production et la diffusion doit être la règle. Les cahiers des charges qui en résultent doivent évidemment être respectés.

     Pour la télématique, de la même façon, la nature des bases de données, leur pluralité est le gage d'un enrichissement des formations. Dans l'un et l'autre cas, cela n'exclut aucune des compétences aujourd'hui disponibles mais dans le cadre d'une coopération dont les règles doivent être clairement établies.

     Je voudrais aborder un exemple concret, qui montre d'ailleurs que le Ministère ne procède pas, sur des questions difficiles au minimum de concertation indispensable. On nous annonce la création d'un groupement d'intérêt public, un G.i.p., pour la production et la diffusion de logiciels. La démarche utilisée et je tiens à le souligner, n'est pas bonne car ni les organisations syndicales, ni les personnels du C.n.d.p. directement concernés n'ont été consultés au cours de la phase d'élaboration des statuts. Cela a été directement à l'origine des difficultés, ce qui est regrettable, mais aussi de retards, ce qui est plus grave.

     Le groupement associerait le C.n.d.p., le C.n.a.m., des universités, le secteur privé avec des constructeurs de matériels et des éditeurs scolaires. L'objectif affirmé est de stimuler la production dans ce secteur. Il est vrai qu'il serait dommage que notre pays perde la place de choix qu'il occupe d'une part dans l'industrie du logiciel en général, d'autre part dans l'édition scolaire.

     Le pire serait assurément que faute d'initiative la place soit laissée en fait aux logiciels étrangers. Ce n'est pas seulement une question de production matérielle : comme on dit, le logiciel, c'est l'intelligence, c'est-à-dire aussi les valeurs et la place de la culture nationale.

     Ne faisons donc pas, pour les logiciels d'enseignement, ce que la télévision fait avec Dallas. Nous ne défendons pas ici une position étroite et ne sommes pas opposés, bien au contraire, à des échanges et à des symbioses. Mais faisons-le à partir d'une production nationale forte. Comment organiser cette production ?

     Je ferai une brève comparaison avec les manuels scolaires. Nous avons une approche pluraliste de cette question et n'avons jamais demandé, par exemple, la nationalisation de l'édition scolaire. Pour autant la situation actuelle ne nous satisfait pas : le pluralisme n'est d'abord pas si important qu'il y paraît, du fait des concentrations intervenues dans l'édition. Des affaires récentes à propos des manuels d'histoire de terminale ont montré que la droite avait une vision particulière de ce pluralisme : pour le commerce d'accord, mais pour les idées c'est non!

     Par ailleurs, le secteur public n'est pour ainsi dire pas représenté et des travaux intéressants sont peu ou pas diffusés si les auteurs refusent de passer par les éditeurs. De nombreux travaux des I.r.e.m., par exemple, sont ainsi restés en rade ou diffusés de façon confidentielle. Nous avons toujours demandé qu'il y ait davantage d'initiatives publiques et, notamment, que le C.n.d.p. joue un plus grand rôle. Cela n'a guère avancé, faute de moyens, faute aussi d'une adaptation et de structures. Si la création du G.i.p. doit signifier qu'on abandonne l'idée que le C.n.d.p. et le secteur public en général doivent jouer un rôle moteur dans la production et la diffusion de logiciels ou, pire encore, que ce qui existe actuellement et qui est souvent considérable est bradé au secteur privé, alors nous disons non!

     S'il s'agit au contraire de mieux utiliser les potentiels actuels, dans un esprit pluraliste et avec des objectifs de développement adaptés aux grands besoins actuels, alors nous demandons à voir.

     Il nous paraît essentiel, dans ce cas, d'assurer la qualité des produits, qualité pédagogique s'entend, ce qui suppose un large appel aux enseignants, des conditions matérielles améliorées, des liaisons étroites avec la recherche et le développement de celle-ci. De même la structure juridique retenue devra permettre des conditions de large diffusion des produits dans les établissements sans augmentation des coûts et la maîtrise pédagogique doit rester aux enseignants et non aux commerçants.

Le marché est considérable, chacun le sait, de même que l'enjeu industriel, économique mais aussi culturel, au plan national comme au plan international. Il ne suffit pas que le secteur public ait la majorité au sein du G.i.p., il faut aussi que se manifeste la volonté politique de promouvoir une production de qualité c'est-à-dire que l'engagement financier public soit à la hauteur des exigences.

     J'en reviens ainsi au problème de l'investissement éducatif. Il y a évidemment un rapport étroit entre cette question et le rôle que doit jouer le système éducatif dans l'accès à la qualification.

     En première approche, il s'agit toujours de maîtriser un nouvel outil. Pour les travailleurs déjà en exercice, il faut alors inventer des actions de formation permettant d'accéder à cette maîtrise. En formation initiale, la réponse du système de formation sera le développement privilégié de telle ou telle formation existante, la modernisation ou l'adaptation de telle autre, la création ex nihilo de formations nouvelles. Pour le S.n.e.s, une bonne prise en compte de ce qui se passe dans la production et les services constitue un support et un levier pour nos revendications relatives à la modernisation et au développement de l'enseignement technique et nous permet de justifier concrètement l'investissement éducatif.

     Mais il faut aussi aller plus loin. Les nouvelles technologies et plus généralement la révolution scientifique et technologique dont elles ne sont d'ailleurs qu'un aspect, ont une influence beaucoup plus profonde sur les qualifications, l'organisation du travail, l'organisation sociale dans son ensemble. Il se produit une poussée générale des qualifications avec l'apparition de nouvelles formes de maîtrise du réel, faisant davantage appel à l'abstraction.

     Le problème n'est plus seulement d'apprendre un métier mais d'amener la totalité des travailleurs à une meilleure appropriation de l'abstraction.

     C'est dire que les nouvelles technologies vont bouleverser les rapports anciens entre le général et le professionnel et que toutes les formations sont concernées et non plus seulement le technique

     Il est aussi nécessaire aujourd'hui dans la perspective de réaliser une meilleure adaptation des formations aux besoins de ce qui devrait être un développement économique et social fondé sur la croissance et la réduction des inégalités, d'intégrer de nouvelles dimensions aux formations pour permettre aux travailleurs de jouer un rôle actif et critique dans la gestion des entreprises, dans leur capacité à prendre en compte les besoins sociaux comme base de référence pour leur développement.

     C'est d'ailleurs par une collaboration plus étroite entre les organisations de travailleurs et les enseignants que nous réussirons à faire en sorte que l'élévation et l'enrichissement des formations pour tous les jeunes et pour les adultes puissent devenir un élément essentiel pour sortir de la crise.

     Or, c'est la démarche inverse qui préside encore aujourd'hui et qui nous fait courir le risque d'une adaptation passive des formations à la situation économique, à son évolution actuelle y compris dans sa dimension technologique.

     C'est en adoptant la démarche que nous préconisons que peuvent se développer sur une base positive les relations entre éducation et entreprise. Il faut que nous sachions ensemble, enseignants et travailleurs, exprimer ces besoins sociaux, faire des propositions pour concevoir des formations qui y répondent, savoir intégrer les évolutions technologiques, aller jusque dans la définition de propositions sur les objectifs de formation et de qualification à atteindre. Il y a beaucoup à faire et notamment pour développer les formations technologiques les plus qualifiantes comme celles qui débouchent sur les B.t.n. dans des secteurs où il n'en existe pas : les transports, le nucléaire, l'audiovisuel, l'installation et la maintenance des équipements. Est-ce bien dans cette voie que vont les propositions gouvernementales actuelles ?

     Notre point de vue commence à être connu. Nous avons les plus grandes inquiétudes à ce sujet et nous sommes amenés à dire que la politique qui est menée présente le risque d'organiser le système éducatif en considérant l'échec scolaire comme une donnée intangible et fatale. Si on va vers la création de voies de formation à plusieurs vitesses dans les collèges et dans les L.e.p., on revient à une conception ancienne qui vise à construire des voies de formations professionnelles affirmées comme telles dès la fin de 5ème. Les formations technologiques longues qui débouchent sur les B.t.n. sont alors menacées d'une déprofessionnalisation qui les tirerait vers des formations générales, les L.e.p. étant considérés comme les seuls établissements préparant à un métier à l'issue d'un second cycle.

     De telles décisions si elles n'étaient pas revues, seraient des freins aux évolutions du système éducatif, y compris à l'introduction des technologies nouvelles. Elles portent en germe des difficultés ultérieures prévisibles dès maintenant car toute action de reconversion liée à l'évolution des programmes est délicate comme le montre le passage de l'E.m.t. à la technologie dans les collèges, ou la maîtrise des technologies nouvelles par les enseignants.

     Nous sommes bien décidés à faire ce qu'il faudra pour être entendus et puisqu'il ne suffit pas de faire des propositions de qualité, de développer des argumentations que nos interlocuteurs ne peuvent réfuter tant ils sont en difficulté pour justifier les mesures médiocres qu'ils prennent, eh bien nous continuerons à tout faire pour que les personnels eux-mêmes, les parents, les travailleurs interviennent plus fortement dans les actions communes.

     Dans le même temps, les décisions prises pour la formation des maîtres sont cohérentes avec ces orientations et les enfants des milieux favorisés socialement et culturellement continueront à avoir les maîtres les plus qualifiés tandis que les enfants de travailleurs continueront à être enseignés par des maîtres dont on maintient le niveau de recrutement à des niveaux inférieurs à la licence universitaire qu'il s'agisse des P.e.g.c. ou des professeurs de L.e.p.

     Je ne suis pas éloignée de notre sujet en disant cela, chacun l'a bien compris. Car à quoi bon réfléchir à l'introduction des technologies nouvelles si dans les faits les ambitions de formation pour les jeunes restent ce qu'elles sont et comment envisager sérieusement que ces nouvelles technologies jouent un rôle positif si les maîtres n'y sont pas préparés par une solide formation. initiale et s'ils continuent à être si peu concernés par la formation continue, comment enfin se désintéresser des conditions d'enseignement ?

     Cette brochure se veut une contribution à ces grands débats. Elle s'appuie sur ce que font les enseignants, sur ce qu'ils vivent dans les établissements. Nous n'avons pas la prétention d'avoir fait un tour complet des problèmes mais nous avons, je crois, avancé. L'expérience accumulée est un matériau pour nourrir nos demandes immédiates et pour continuer une réflexion riche de la confrontation des points de vue des enseignants, des chercheurs et des travailleurs.

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