Cet article est paru dans la revue Éducation et informatique n° 3 (septembre-octobre 1980). Cette revue pédagogique des éditions Nathan était exclusivement consacrée à l'EAO. Elle avait comme rédacteur en chef Wladimir Mercouroff et comme rédacteur en chef adjoint Christian Lafond. Voir par ailleurs la présentation du dossier Simulation par Jacques Hebenstreit.


SIMULATION ET ENSEIGNEMENT DES SCIENCES NATURELLES

Jacques Baudé, Christian Bravard, Jean-Yves Dupont

 
     Nous livrons ici un ensemble de réflexions générales sur les apports de la simulation à la pédagogie des sciences naturelles, sans référence à un niveau d'enseignement particulier. Ces réflexions concernent néanmoins plus spécialement l'enseignement secondaire.

     Nous voudrions montrer par quelques exemples empruntés à la bibliothèque de programmes de l'I.N.R.P. que la simulation permet un certain nombre d'activités impossibles ou très difficiles à mettre en oeuvre par d'autres méthodes et qu'elle apporte donc, de ce fait, quelque chose de plus.

SIMULATION EN BIOLOGIE ET EN GÉOLOGIE

     La définition passe par la notion de modèle. En effet même si la modélisation est une démarche beaucoup plus générale qui n'implique pas forcément la simulation, la réciproque n'est pas vraie, toute simulation se faisant obligatoirement à partir d'un modèle.

Le modèle

     Le phénomène (biologique ou géologique) est appréhendé par l'observation de faits. Il s'agit de comprendre le phénomène en recherchant la cause des faits observés.

     La recherche de la causalité se fait par l'ensemble « observation, analyse, hypothèse, expérience, conclusion ». On met en évidence que « tel facteur est à l'origine ou conditionne tout ou partie du ou des faits ». On conçoit ainsi l'existence de relations entre facteurs et faits. Le résultat peut être concrétisé par un diagramme.

     Le diagramme est une représentation conceptuelle de ce que l'on sait (ou croit savoir) d'un phénomène ; c'est une forme de modèle. Il sera plus ou moins complexe selon que l'on aura pris en considération un nombre plus ou moins grand de facteurs et que l'analyse des faits aura été plus ou moins poussée.

     Voici deux exemples de cette démarche.

1) - Fait : l'ablation de l'hypophyse entraîne une hypothyroïdie (partie du modèle utilisé dans le programme BIOL cité en exemple).

- Diagramme :
hypophyse --> fonctionnement de la thyroïde
   (facteur)             (fait)

2) - Fait : l'hydrolyse enzymatique de l'amidon a lieu à 37 °C, elle est faible ou nulle à 0 °C.

- Diagramme :
température --> hydrolyse
   (facteur)             (fait)

     Une analyse plus poussée met en relief la complexité du phénomène et nécessite une quantification.

     La quantification permet de vérifier si les relations mises en évidence par le diagramme sont toujours vraies et dans quelles limites. Dans le deuxième exemple, cela sera fait par la mesure du nombre de molécules d'amidon transformées par unité de temps en fonction de la température.

     En conséquence, les relations mises en évidence au niveau du diagramme deviennent des relations quantitatives, donc mathématiques (les facteurs deviennent des paramètres). Il est évident que ce modèle mathématique pourra être partiel (s'il n'intègre que certains paramètres) ou plus complet.

     En conclusion, les modèles qui seront utilisés en biologie et géologie pourront être simplement causaux (ex : celui du programme BIOL) ou mathématiques (ex : celui de NUTRIT ou PKAI2). Leur complexité sera fonction du niveau des concepts à faire acquérir par l'élève.

La simulation

     Il s'agit d'utiliser le modèle de manière à obtenir des faits une représentation dynamique (dans l'espace ou dans le temps). On demande à l'ordinateur de restituer successivement plusieurs états du phénomène ainsi reproduit compte tenu

  • du modèle,

  • de l'état initial (défini dans le modèle ou par certaines valeurs affectées aux paramètres),

  • de facteurs que l'on applique ou de nouvelles valeurs affectées à certains paramètres.

     Nous présentons ici quelques paramètres, qui n'épuisent pas le sujet, mais font apparaître quelques directions de recherche.

     Nous voudrions montrer que pour l'élève l'intérêt pédagogique se situe à deux niveaux l'acquisition d'un savoir, l'acquisition d'un savoir-faire c'est-à-dire d'une méthodologie.

     Le classement que nous proposons n'est en aucune façon hiérarchique ; il présente simplement divers types d'activités pouvant s'insérer dans diverses démarches pédagogiques. En effet le programme utilisé n'est qu'un noyau autour duquel l'enseignant, restant maître de sa pédagogie, organisera une séance adaptée à sa personnalité et à ses élèves.

     Le modèle est une loi ou un mécanisme ; il n'a pas été élaboré à des fins de simulation ; il fait partie des connaissances acquises ou à acquérir.

Découverte de la loi ou du mécanisme

     Le travail en « conversationnel » sur la console permet à l'élève de « jouer » sur les différents facteurs ou paramètres du modèle. L'élève est placé en situation de recherche. En voici quelques exemples.

Programme NUTRIT : Études des besoins alimentaires de l'homme.

     Après avoir déterminé le métabolisme de base et la ration calorique d'un individu dont il donne les caractéristiques (âge, poids, taille, sexe...) et les activités quotidiennes, l'élève, en faisant varier à volonté les différents paramètres, pourra appréhender les relations simples ayant présidé à l'élaboration du modèle.

     Ce type de programme, en dehors du fait qu'il permet d'aborder la diététique de façon originale et motivante, oblige l'élève à une grande rigueur dans le travail (rigueur formelle, variation d'un seul paramètre à la fois, précision des conditions expérimentales...) .

     Il présente un autre avantage important : débarrassé de calculs longs et fastidieux, l'élève peut travailler sur un plus grand nombre de résultats, il peut donc appréhender les phénomènes d'une manière plus précise et arriver à une modélisation satisfaisante. L'élève peut naturellement critiquer le modèle, sousjacent et éventuellement même en proposer l'amélioration.

Programme PAVLOV : Mise en évidence du mécanisme de conditionnement d'un animal.

     Le travail d'analyse préalable est fait à partir de textes empruntés à Pavlov. Ainsi seront définies les caractéristiques essentielles du réflexe absolu inné et du réflexe conditionnel acquis.

     Cette analyse permettra également de situer

  • le but à atteindre. Le réflexe utilisé est le réflexe de sécrétion salivaire. L'animal salive si l'on introduit de la nourriture dans la bouche. Le but du conditionnement est d'obtenir une salivation de l'animal lorsqu'il entend un bruit de métronome ;

  • les éléments de l'expérimentation, c'est-à-dire en fait les facteurs (nature des excitants) ;

  • les conditions de l'expérimentation (animal isolé du milieu ambiant, de l'opérateur, etc.).

Pour construire le processus expérimental, l'élève, disposant d'un certain nombre de données dégagées par l'analyse, doit concevoir :

  • l'expérimentation visant à atteindre le but fixé, c'est-à-dire le conditionnement de l'animal il fixera ainsi la nature des excitants à appliquer, l'ordre d'application, l'intervalle, la répétition,

  • la méthode permettant de vérifier si le réflexe conditionnel est acquis (application de l'excitant conditionnel seul, essai-test).

     L'application du processus expérimental est constituée par la séquence informatisée : l'élève applique la démarche qu'il a conçue. Parallèlement il devra noter les essais qu'il effectue et les résultats qu'il obtient.

     Il vérifiera par des essais-tests si « l'animal est bien conditionné ».

     La formulation du mécanisme consiste, lorsque le but est atteint, c'est-à-dire lorsque le modèle a été redécouvert, à exprimer clairement la méthode utilisée.
« Nous avons agi sur un chien à plusieurs reprises au moyen de battements de métronome, et nous lui avons donné immédiatement à manger, c'est-à-dire que nous déclenchions le réflexe alimentaire inné ; après plusieurs répétitions, le métronome seul provoquait la salivation et les mouvements correspondants. »

     Une expérience réelle est soumise à trop de paramètres incontrôlables ; elle est difficilement réalisable. L'expérience simulée est plus rapide que l'expérimentation réelle et permet d'élargir le champ d'investigation.

     Dans ce type d'exercice, l'élève voit rapidement la conséquence de ses choix ; la recherche est active, méthodique. L'aspect ludique est stimulant. Il pourra ainsi acquérir à la fois connaissances et méthode.

Mise en œuvre d'une méthode et contrôle d'un acquis méthodologique

     Dans le cas du programme BIOL, l'élève est placé devant un problème biologique à sa portée mais suffisamment à la lisière des programmes officiels pour que les réponses ne soient pas connues a priori. Il s'agit, dans le programme cité en exemple, d'étudier le déterminisme de la métamorphose du tétard de grenouille (cas normal et cas pathologiques).

     L'élève est mis en situation de recherche. Des documents précis posent le problème de façon suffisamment claire et apportent certaines connaissances nécessaires à la réflexion.

     L'élève doit mettre au point sa propre méthode de recherche. Il a le libre choix des expériences en fonction des hypothèses émises par lui. A tout moment, il peut refaire une expérience déjà réalisée ou en proposer de nouvelles. L'erreur est toujours permise et non sanctionnée. La méthode des réponses « libres » permet une grande souplesse dans le dialogue. De plus l'ordinateur permet, en stockant l'ensemble de la démarche suivie par l'élève, de contrôler le degré de maîtrise de la méthode, de recenser les types d'erreur et les blocages.

     Le programme BIOL, et un certain nombre de programmes du même type en cours de mise au point, obligent l'élève à affronter une situation nouvelle pour lui. Il doit décider un certain nombre d'actions et examiner très rigoureusement leurs conséquences. La mise au point d'une stratégie expérimentale (formulation d'hypothèses, conception et réalisation d'expériences, interprétation, conclusion) prend le pas sur l'acquisition de connaissances qui ont été néanmoins acquises et incorporées dans un ensemble structuré.

     Le modèle n'a pas été érigé en loi ; il a été partiellement ou totalement élaboré à des fins de simulation : le modèle en lui-même ne fait pas partie des connaissances à acquérir par l'élève.

• Programme PKAI2 : Simulation d'une biocénose

     Le logiciel simule le fonctionnement d'un système écologique : on considère les relations entre prédateurs-cerfs - prairie. Le modèle mathématique a été établi par l'enseignant à partir de données réelles (Arizona 1900-1940). A travers sa complexité, il cherche à donner une bonne image des interactions entre les différentes variables du système.

     La simulation permet d'obtenir sous forme de tableaux de chiffres ou de graphiques l'évolution du système compte tenu de valeurs initiales affectées par l'utilisateur à certaines variables (par exemple : surface du domaine considéré, ration nécessaire à chaque cerf, nombre initial de cerfs, taux de chasse de l'homme sur les prédateurs, etc.)

     Après étude sur documents de la situation réelle, les élèves élaborent avec l'aide du professeur, un modèle interactif simple du système. Au cours de la séance sur l'ordinateur, les élèves manipulent un modèle plus complexe ; ils peuvent ainsi : 1) obtenir une simulation sur les conditions réelles, et vérifier l'adéquation du modèle (comparaison des données réelles avec les résultats de la simulation) ; 2) obtenir une simulation sur des conditions différentes du réel et discerner dans quels cas l'équilibre du système peut être maintenu (ou détruit) : le modèle peut ainsi servir à des fins prospectives.

     Sur le plan pédagogique, cette étude permet aux élèves de mieux percevoir la complexité des interactions entre les êtres vivants. De plus, ils sont contraints de développer une démarche scientifique : phase inductive --> élaboration d'un modèle, phase déductive --> lors de la simulation, l'élève met en œuvre une stratégie expérimentale.

     Au cours de cette séquence, l'élève est totalement libre dans le choix des paramètres à manipuler. La possibilité d'intervention sur le système simulé et la difficulté de prévision des résultats en dehors de la simulation motivent l'utilisateur. Ce logiciel, intégré de façon harmonieuse dans le déroulement d'un cours permet à l'élève d'élaborer et/ou de consolider les « outils méthodologiques ».

Simulation à partir d'un modèle élaboré par les élèves

     On peut envisager la programmation du modèle par les élèves eux-mêmes ; cependant il convient de libérer l'élève des tâches de programmation proprement dites, de façon à ce que son travail se réduise à taper au clavier les équations du modèle. Cette contingence réclame l'élaboration de logiciels très complexes, dont certains existent depuis quelques années (système DYNAMO). Le groupe de recherche en informatique et sciences naturelles de l'I.N.R.P. a déjà commencé à exploiter cette voie et espère pouvoir l'approfondir.

Apports pédagogiques de la simulation

     La simulation permet d'aborder de façon très concrète et motivante des problèmes hors de portée de l'expérimentation. La simulation perd une grande partie de son intérêt quand il s'agit de manipuler des modèles trop simples qui, tout spécialement en sciences naturelles, risquent de dénaturer totalement la perception du réel, toujours complexe.

     L'élève est amené à développer une démarche très rigoureuse : Quelle expérience réaliser ? Quel paramètre faire varier ? Quel doit être l'enchaînement logique des expériences ?... etc.

     La mise en œuvre de cette démarche est individuelle et les possibilités de mémorisation de la machine permettent le contrôle individuel de la méthodologie.

     La simulation présente par ailleurs un ensemble d'originalités : l'élève voit rapidement les conséquences de ses choix ; les erreurs-exemples ne viennent pas compromettre la démarche logique (à moins qu'on les simule !) ; l'élève peut tâtonner, réaliser des exemples « pour voir » autant de fois qu'il le désire ; l'approche dynamique des phénomènes est particulièrement aisée.

     Ainsi les connaissances (savoir) seront intégrées dans une méthodologie (savoir-faire), l'élève participant très activement à son propre enseignement.

     La simulation permet non seulement une approche opératoire de la notion de modèle mais permet également à l'élève de développer tout un ensemble de démarches qui sont très difficiles à mettre en œuvre dans le cadre de la pédagogie traditionnelle. Mais bien évidemment la simulation ne doit pas conduire à rejeter l'expérience réelle, c'est même le contraire qui doit se produire, l'élève prenant conscience de la nécessité du retour à l'expérience de laboratoire. Abuser de ce procédé risquerait d'introduire une vue trop abstraite des phénomènes de la vie.

     L'utilisation de l'ordinateur en pédagogie est d'abord un problème de pédagogie. Il ne s'agit pas de pratiquer la simulation pour utiliser l'ordinateur... Il nous semble que l'ordinateur a, dans ce domaine, une utilisation particulièrement justifiée et spécifique.

Jacques Baudé, Christian Bravard, Jean-Yves Dupont

 
Jacques Baudé
Professeur agrégé de sciences naturelles au lycée P. Corneille (La Celle Saint-Cloud). Responsable du Centre Informatique de 1972 à 1977. Stage « lourd » en I973-74. Participe aux travaux du groupe « Informatique et Sciences Naturelles » de l'I.N.R.P. depuis I972. Secrétaire de l'E.P.I. (Association Enseignement Public et Informatique ».

Christian Bravard
Professeur agrégé de sciences naturelles au lycée Champollion (Grenoble). Stage « lourd » en 1974-75. Participe aux travaux du groupe « Informatique et Sciences Naturelles » de l'I.N.R.P. depuis 78. Membre de l'E.P.I.

Jean-Yves Dupont
Professeur agrégé de sciences naturelles au lycée Rabelais (Chinon). Participe aux travaux du groupe « Informatique et Sciences Naturelles » de l'I.N.R.P. depuis 1976. Membre de l'équipe animatrice du centre informatique du lycée Rabelais. Membre de l'E.P.I.

QUELQUES RÉFÉRENCES UTILES

  • Fiches pédagogiques INRP (NUTRIT SN10 - PAVLOV SN32 - BIOL SN36 - PKAI2, à paraître).

  • Bulletins APBG n° 3 et 4 -1978 - et n° 4 - 1979.

  • Fascicule du CRDP de Toulouse : « Informatique et Biologie », novembre 79.

  • Bulletins de liaison de l'I.N.R.P.

 
(NDLR : EPI-site EPI (2003) : les illustrations n'ont pas été reproduites).

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Association EPI
10 février 2003

 

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