ÉDITORIAL

VOUS AVEZ DIT BREVETS LOGICIELS ?

 

Une polémique est née, il y a déjà plusieurs mois, à propos du système de brevets européens, elle s'amplifie à l'approche de la "conférence de révision" qui se tiendra du 20 au 29 novembre à Munich. Le secrétariat de l'EPI a été alerté par plusieurs collègues impliqués notamment dans la diffusion d'une pétition [1] . Nous y reviendrons.

De quoi s'agit-il ?

La loi européenne sur les brevets est définie par une convention ratifiée par 19 États européens. L'article 52 stipule que les brevets sur les logiciels, comme sur les théories scientifiques ou les méthodes intellectuelles en général, sont illégaux en Europe [2]. Ce qui n'empêche pas l'Office Européen des Brevets (OEB), soutenu par un certain nombre d'experts, d'accorder des brevets sur "des méthodes ou des appareils qui contiennent des programmes". Bref, la situation est plus que confuse.

Dans la liste des mesures annoncées pour la "conférence de révision" en vue de "rationaliser le système des brevets", les programmes informatiques rejoindraient les "inventions présentant une contribution technique brevetable". Pour prendre un exemple concret, "la feuille de style" pourrait faire l'objet d'un brevet, tout programmeur utilisant ce concept à l'intérieur d'un nouveau programme devant payer des royalties à l'entreprise (le plus souvent une multinationale, le plus souvent américaine) ayant déposé le brevet.

Pourquoi une telle modification de l'article 52 ? Ses promoteurs invoquent des raisons de "rationalisation", de "modernisation en douceur" [3] et "d'adaptation aux traités internationaux". Les détracteurs soulignent qu'il s'agit surtout pour l'OEB - mais aussi pour les experts et avocats - d'élargir leur champ d'influence. Beaucoup d'argent est en jeu. Les grosses entreprises - qui ont les moyens de se payer de grandes quantités de brevets - apprécieraient également de faire le vide autour d'elles. Elles fonctionnent, semble-t-il, comme des groupes de pression efficaces sur les instances européennes.

D'ailleurs, le problème des logiciels n'est pas isolé, il se développe dans un contexte beaucoup plus général. Ainsi, en Biologie [4], la directive européenne de 1998 sur la protection des inventions technologiques prévoit que - sous certaines conditions - les séquences génétiques peuvent faire l'objet de brevets. Devant les réserves de plusieurs États européens (qui n'ont pas encore transposé cette directive dans leur propre législation) l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a voté en juillet 2000 en faveur d'une renégociation. Là aussi, la situation actuelle est confuse, ce qui permet à l'Office Européen des Brevets (OBE) d'appliquer la directive de 1998 !

Pour ce qui concerne les logiciels informatiques, il nous semble que nous devons être sensibles - notamment dans le secteur Internet qui prospère grâce à des protocoles ouverts - à tout ce qui risque de créer un frein à la création. Tout renforcement des droits de la propriété intellectuelle au-delà du raisonnable (brevets sur la connaissance) est contraire, nous semble-t-il, à l'intérêt général. L'offensive sur les logiciels, omniprésents dans nos sociétés, risque d'introduire un précédent fâcheux.

Pour ce qui concerne les logiciels éducatifs nous avons connu, il y a une quinzaine d'années, le débat occulté sur leur protection. Une proposition de loi (n°1206, du 22 décembre 1987) "tendant à autoriser la duplication des logiciels à des fins pédagogiques" est rapidement passée à la trappe. Nous connaissons la suite.

Ne peut-on raisonnablement se demander si la Commission européenne n'aurait pas mieux à faire en promouvant un modèle qui concoure au développement des logiciels libres et à la philosophie qui l'accompagne, celle du caractère universel du savoir et de l'information ?

Ce sont effectivement les promoteurs des logiciels libres (mais aussi les petits et moyens éditeurs de logiciels en général) qui sont les premiers visés. Leurs organisations sont à l'avant-garde du mouvement de sensibilisation des responsables et de l'opinion publique.

EuroLinux a lancé dans plusieurs pays européens une pétition ayant reçu à ce jour de l'ordre de 50 000 signatures. Les responsables politiques commencent à s'émouvoir, la presse, bien silencieuse sur le sujet, devrait suivre. Il n'est pas déraisonnable de penser que le projet pourrait être amendé voire bloqué.

Au cœur d'enjeux importants, il nous semble qu'il y aurait tout intérêt pour le système éducatif à ce que les enseignants s'intéressent d'avantage à ce problème.

L'occasion leur est donnée par la Commission des Communautés Européennes (CCE) qui lance une consultation auprès du grand public et des milieux intéressés [5].

Jean-Bernard VIAUD
Président de l'EPI

Paru dans la Revue de l'EPI  n° 99 de Septembre 2000.

NOTES

[1]http://petition.eurolinux.org/reference

[2]. Interview de Stéphane Fermigier sur Internet-Actu du 28 août 2000

[3]http://www.european-patent-office.org/news/pressrel/2000_09_27_f.htm

[4]. F. Louis, "Brevet sur les gènes, la confusion européenne", La Recherche, octobre 2000.

[5]http://europa.eu.int/comm/internal_market/fr/intprop/docs/index.htm

___________________
(15 novembre 2000)