APPRENDRE L'AUTONOMIE
APPRENDRE EN AUTONOMIE
QUATRE ANNÉES DE PRATIQUE
EN LANGUES VIVANTES AVEC " SPEAKER "
Jacques QUÉMÉNEUR
A) APPRENDRE EN AUTONOMIE Le lycée dans lequel je travaille n'est pas un établissement à risques. Le public est néanmoins bien hétérogène et, face à la difficulté d'apprendre, à la demande grandissante d'attention personnalisée de la part des adolescents, j'ai cherché une voie dans les TICE. La création d'un vaste espace multimédia m'en a donné l'occasion. Les termes " autonomie ", " individualisation des parcours " sont à la mode dans le secondaire. J'ai essayé de les faire devenir réalité. 1) Des outils pour l'apprentissage SPEAKER AUTEUR est un logiciel puissant qui, pour un investissement raisonnable en temps et en savoir-faire, permet de créer ses propres leçons multimédia. L'ergonomie de l'interface, la facilité de la prise en main, la diversité des outils ouvrent un champ très vaste à l'imagination et à la créativité. Les nombreux protocoles d'exercices sont l'atout du logiciel : On peut travailler l'écrit comme l'oral, l'expression et la compréhension. Une mise en œuvre judicieuse offre une grande variété de situations d'apprentissage à l'intérieur d'une même leçon. La facilité pour développer des arborescences (" protocole hyperdocument ") rend aisée la navigation. On peut ainsi proposer divers exercices, et plusieurs niveaux de difficulté à l'intérieur d'un même exercice :
En intégrant d'autres paramètres (choix entre deux débits de parole par exemple, ou bien entre plusieurs accents allemands : bavarois, rhénan...) on pourrait faire varier à l'infini les difficultés ou les parcours. Ainsi se créent les conditions d'apprentissages individualisés. Des possibilités variées d'aide sur exercice ou d'aide sur leçon font qu'à aucun moment l'apprenant ne doit se trouver dans l'inconnu ou dans le flou. Pour ces mêmes raisons aucun élève, si faible soit-il, ne restera sur le bord du chemin. Chacun peut progresser à son rythme. Les parcours d'apprentissage que je crée viennent s'insérer dans la progression globale de mes classes. Chaque unité pédagogique prévoit un passage en salle multimédia :
2) Quelle place pour le professeur lors d'une séance de travail en salle multimédia ? Le rôle du professeur ne se limite pas à celui d'un simple dépanneur de micros plantés ou en conseiller technique. Certes il lui faut de temps à autre intervenir (rapidement si possible !) pour la bonne marche du matériel et le bon déroulement des activités. Doit-il pour le reste être considéré comme en dehors du groupe de travail ? Si le rôle du professeur est périphérique, il n'en est pas moins essentiel. Un dispositif informatique permettant la visualisation discrète des écrans élèves, l'écoute des productions sonores et l'intercommunication, a été pour moi une source remarquable d'observations et m'a donné la conviction que les outils de l'autonomie ne suffisent pas à un apprentissage réussi en autonomie. B) APPRENDRE L'AUTONOMIE Apprendre, c'est avoir un projet. L'adulte qui apprend les langues vivantes à l'aide de cédéroms le fait le plus souvent pour raisons professionnelles. La motivation jointe à la maturité intellectuelle sont généralement la garantie d'un bon rendement. Chez des adolescents, la fascination de l'ordinateur n'entraîne pas nécessairement une disponibilité énorme pour l'apprentissage du jour. Apprendre, c'est fatigant ! Même sur ordinateur ! Par ailleurs, le professeur devra rectifier ou anticiper des comportements erronés en salle multimédia. 1) Observations qui témoignent de la difficulté d'être efficace L'excitation lors de la première séance et la tentation du " zapping ". On voudrait découvrir tout l'environnement informatique et toutes les leçons du cédérom. Une fiche méthodologique (" savoir être en salle multimédia ") distribuée lors de la seconde séance y met aisément un terme. Car en l'absence de consignes claires, une heure de travail peut être très peu productive. Cette tentation du " zapping " peut induire une autre dérive : l'élève va d'écran en écran, choisit l'exercice facile et saute celui qui représente un obstacle sans recourir à l'aide qui lui permettrait de résoudre le problème. Ceci est favorisé chez certains par des habitudes de progression en groupe héritées du cours traditionnel : on surveille les écrans des camarades afin de s'assurer qu'on est bien dans le rythme. Vite, boucler la leçon A parce que le voisin en est déjà à la leçon B ! L'obsession mal comprise du rendement s'oppose à la navigation à un rythme personnel. Le rejet du document écrit dans un environnement où dominent le son et les images. Ce texte est le plus souvent un écran d'aide grammaticale, un écran expliquant le but de l'exercice ou donnant des conseils méthodologiques. L'irruption d'un texte peut être ressentie comme importune ; la durée de consultation, généralement brève, risque d'hypothéquer le succès de la séance de travail. La réticence à revenir sur une leçon qui a été " faite " précédemment et qui, ne présentant plus de nouveauté, ne peut apparemment plus rien apporter. La notion d'entraînement sur un même parcours n'est pas toujours facilement intégrée. Le non-recours à l'aide quand on ne peut surmonter la difficulté ; le refus de consulter un écran explicatif après une réponse correcte donnée parfois au hasard. 2) Remédier à ces problèmes Face à ces risques, il y a pour le professeur la nécessité de définir les règles du jeu avant chaque parcours en autonomie. L'objectif pédagogique de la séance doit être clairement annoncé. J'accompagne généralement cela d'une découverte collective du début de la leçon (écran professeur envoyé sur les écrans élèves) ; les écrans-textes affichant conseils ou consignes sont au besoin lus collectivement. Chaque début de séance est l'occasion de souligner le caractère individuel de l'apprentissage en salle multimédia, d'insister sur la notion de rythme personnel de progression, de distinguer entraînement et évaluation, d'encourager systématiquement les élèves à ne pas céder à la tentation (forte avec le logiciel SPEAKER !) de la facilité. Ensuite, les élèves se lancent dans la bataille ! Le professeur peut observer, entrer en communication avec un élève dont il voit l'écran de travail, définir, à l'intérieur d'un objectif collectif, des objectifs individuels qui optimiseront le rendement de l'apprenant. Est-ce du voyeurisme, du dirigisme de la part de celui qui prône l'autonomie de l'élève ? Des débats passionnés ont eu lieu entre spécialistes sur la place du professeur lors d'une séance en multimédia. Je ne passe pas des heures entières l'œil rivé sur l'écran de contrôle du poste-professeur ; cela pourrait créer un malaise, car j'ai bien senti que les élèves établissent avec l'ordinateur un rapport qui fait d'une telle séance un moment d'apprentissage stimulant et déconnecté de l'environnement scolaire. J'ai constaté parfois qu'une intervention auprès d'un élève très engagé dans son travail pouvait être ressentie comme importune ; le charme était rompu par le représentant de l'institution. Soyons donc discrets ! Mais qu'il me soit permis malgré tout de souligner la richesse des observations que l'on peut faire à regarder et entendre des élèves au travail : la souris qui se promène sur l'écran, trace visible des hésitations, des choix, des tentations du cerveau ; l'élève qui sent le piège tendu dans un exercice ; le sursaut de fierté d'un autre, mécontent de sa prestation orale, et qui choisit de refaire le parcours ; l'opiniâtreté d'une jeune fille acharnée a saisir le sens du message oral, et qui, par refus de la facilité, n'aura recours qu'en tout dernier lieu à la forme écrite du message. CONCLUSION Quatre années de pratique en salle multimédia m'ont montré qu'une attitude autonome n'est pas une donnée de départ. L'autonomie s'acquiert, elle est le fruit d'une démarche volontariste. Mais force m'est de constater qu'elle s'acquiert vite ! Et au fur et à mesure qu'elle s'acquiert, l'intérêt pour les activités s'accroît. L'ordinateur-gadget du début d'année est oublié. L'outil, banalisé par une utilisation régulière, se trouve valorisé comme auxiliaire d'apprentissage. Les conseils méthodologiques, intégrés au fil des séances, deviennent les garants d'une bonne productivité. L'excitation des premières séances fait place à la concentration ; l'énergie est bien canalisée. Le bilan nettement positif que je tire de ces quatre années ne doit pas occulter les limites de l'expérience et les doutes qui subsistent : peut-on parler d'autonomie d'apprentissage quand les élèves sont en liberté surveillée ? La technologie permet certes de mieux répondre aux besoins individuels ; mais est-il bien sûr que l'EAO offre actuellement un avantage décisif sur les pratiques traditionnelles ? En l'absence de réponses définitives, et faute d'outils fiables d'analyse, il m'est difficile de comprendre les processus d'apprentissage chez mes élèves que je vois pratiquer, souvent avec enthousiasme, la langue de Goethe. Jacques QUÉMÉNEUR Speaker est une création de la Société NEUROCONCEPT Cet article est paru dans la Revue de l'EPI n° 92, décembre 1998. |