Pascal RUTAR
L'école de Pinay est connectée depuis deux ans et demi à l'Internet. Cela laisse suffisamment de recul pour une réflexion sur cette pratique. Il convient pour commencer de se demander quels étaient à l'origine les attentes de l'enseignant et quel projet soutenait l'action. Dans un deuxième temps nous pourrons alors voir quelles activités ont été mises en place pour ensuite en faire le bilan. A - LES ATTENTES ET LE PROJETLa connexion à l'Internet s'inscrivait dans une démarche qui voulait faire des nouvelles technologies un outil systématique, dans le sens où toutes les activités peuvent être orientées vers l'ordinateur, et familier de la pédagogie du maître. L'année avait commencé par une classe multimédia, l'objectif était de familiariser les enfants avec les outils du multimédia, à savoir la vidéo, les appareils numériques et bien sûr les ordinateurs. A l'époque la classe avait pour projet la diffusion d'un journal à destination du village, l'outil ordinateur était donc d'un usage quotidien dans la classe. Le maître poursuivait d'un autre côté un projet d'écriture multimédia et cela donnait lieu à l'élaboration d'un jeu portant sur le village incluant la vidéo et l'écrit. Internet en était à ce moment à ces balbutiements en ce qui concerne le grand public, néanmoins des expériences tentées par des classes donnaient envie d'aller y regarder de plus près. Internet permettait une ouverture intéressante sur le monde extérieur et, pour une classe rurale, de nombreuses perspectives voyaient le jour. Pour y voir plus clair il convient de s'interroger sur les différents domaines de travail de l'Internet. 1. La communication Internet permet de relier rapidement des personnes éloignées ou proches et de faire transiter une masse d'informations beaucoup plus rapidement que par les voies classiques. On voulait y voir à l'époque une possibilité de mener des correspondances renouvelées, d'entrer en contact avec des enfants du monde entier et de découvrir d'autres cultures, d'autres modes de vie. Le projet d'école portant sur l'ouverture au monde, c'était là une opportunité à ne pas négliger. Nous verrons par la suite quelles activités ont eu lieu. 2. La recherche documentaire Internet est souvent présenté comme une immense bibliothèque, c'est en grande partie vrai. On peut tout y trouver à condition de ne rien avoir à chercher. On peut en effet y découvrir pleins de choses passionnantes lors de « surf » sur le Web, mais si on a besoin de renseignements précis, il vaut mieux alors s'armer de patience et d'un bon thesaurus car la recherche y est très difficile voire dans certains cas impossible à mener, il n'est pas rare lors de l'interrogation sur un mot d'avoir plus de 10 000 réponses, qui bien sûr ne répondent pas toutes à votre demande précise. On s'aperçoit de ce problème une fois connecté et l'idée d'ouvrir aux enfants la plus grande bibliothèque du monde s'efface très vite devant celle d'aller chercher dans notre encyclopédie de classe, d'ailleurs multimédia, la réponse à notre question. 3. La création d'un site Web Une des pistes les plus prometteuses est d'utiliser Internet à des fins d'écriture. Faire un journal planétaire en quelque sorte. On peut alors rêver d'une mise en ligne des exposés des enfants, des résultats de recherche en science ou en histoire. Se servir de l'intérêt des enfants pour le support informatique pour les amener à écrire régulièrement. Avec un projet d'école voulant ouvrir l'école sur le monde, Internet était donc un atout, se connecter devenait une évidence. Quelles activités allaient en naître ? B - LES ACTIVITÉSCelles-ci allaient s'inscrire dans les trois domaines évoqués ci-dessus avec une prédominance évidente de la première et de la dernière. En effet la deuxième activité fut très vite oubliée après quelques tentatives, le Web n'est pas encore adapté aux enfants en ce qui concerne la recherche documentaire. 1. La correspondance L'année commença très vite puisque rapidement des demandes de correspondance arrivèrent dans la boîte aux lettres électronique. Nous décidâmes de n'en garder que deux, une aux États-Unis, l'autre en Suisse. Des échanges commencèrent alors, assez semblables à ceux menés lors d'une correspondance classique, la rapidité des réponses en plus. Nous découvrions alors quelques différences culturelles, surtout avec les petits Américains. Au mois de janvier nous lancions l'idée d'un défi lecture entre nos classes dont les échanges se feraient par courrier électronique. L'idée fut retenue et ce fut une réelle réussite tant au niveau des instituteurs que des élèves qui n'avaient jamais été motivés de la sorte pour lire. Les espoirs du début se confirmaient. Cependant, cette année aucune correspondance n'existe, les élèves semblent s'en désintéresser et si quelques courriers ont été échangés cela a vite été oublié. La correspondance scolaire exige, à mon avis, un projet très structuré pour aboutir à un réel intérêt de la part des enfants. Correspondre avec le bout du monde peut les motiver quelque temps, mais pas plusieurs années. Peut-être la classe unique amplifie-t-elle le phénomène ? Une nouvelle orientation des échanges est sans doute à prévoir, nous en reparlerons par la suite. 2. Le site Web Les élèves ayant déjà de nombreux documents saisis sur l'ordinateur le site fut rapidement mis en place. Après quelques discussions nous décidions des différentes rubriques et les enfants devaient les gérer à leur rythme et dans le temps libre dont ils disposaient. Le site devint rapidement assez important. L'idée d'une banque de données émergeait, les enfants devaient gérer des dossiers et les mettre en ligne, ainsi une présentation du système solaire a-t-elle vu le jour. Le travail est cependant difficile et demande beaucoup de temps. Peut-on cependant affirmer que ce travail n'aurait pas vu le jour sans Internet ? Je ne le crois pas, il aurait eu une forme différente mais le travail des enfants sensiblement le même. Quel est donc le surplus d'intérêt pédagogique du site Web ? En quoi est-il plus intéressant qu'un journal scolaire ? Par son ouverture au monde ? Les enfants seraient-ils plus motivés en sachant que des enfants d'autres pays viennent les voir ? Les parents ne sont-ils pas déjà suffisants ? Ces interrogations ne sont pas encore, en ce qui me concerne, terminées. Je veux encore croire que le Web peut ouvrir des perspectives pédagogiques, il faut peut-être concevoir des projets reposant uniquement sur lui. Devant ces interrogations assez négatives revient notre problématique de départ : quels sont les intérêts d'une connexion à l'Internet ? Que peut-on en attendre et quelles sont les réussites remarquées par ailleurs ? C - BILANArrivé à ce point la première impression est de rejeter Internet, l'outil parait inadapté à l'école primaire et posséder peu d'intérêt pédagogique. Il faut nuancer ceci, quelques conditions sont nécessaires pour qu'Internet devienne un réel outil à l'école. 1. Un projet clair et défini Internet, comme tout outil utilisé à l'école, doit répondre à une demande associée à un projet pédagogique clairement défini. C'est bien parce que notre projet nécessite l'utilisation d'Internet que nous nous connecterons et non pas l'inverse. Quels sont alors les projets envisageables ? Plusieurs écoles ont, l'année dernière, mené un projet de création d'un CD-ROM sur l'eau. En passant par le biais d'Internet elles ont pu échanger les données nécessaires à son élaboration. C'est là un exemple concret et réalisable où Internet apporte un plus non négligeable. Bien sûr le projet aurait pu être mené dans une seule classe ou à plusieurs en utilisant les moyens classiques d'échange, mais ce qu'il faut retenir ici c'est la mise en réseau des écoles. 2. Une mise en réseau C'est à mon avis là que réside tout l'intérêt d'Internet. En Ardèche il existe par exemple les réseaux buissonniers qui relient entre elles les écoles rurales du département. Dans un secteur essentiellement rural c'est une réponse pratique à l'isolement des classes qui peuvent ainsi communiquer sur des projets communs, la classe se démultiplie et là où trois élèves ne peuvent gérer seuls un projet, vingt élèves en réseau y réussiront. On peut voir là une solution au problème de la ruralité de l'enseignement. Encore faut-il alors mettre en place une dynamique qui n'existe peu ou pas à l'heure actuelle. Cela suppose de nouvelles habitudes de travail, tant pour les enseignants que pour les élèves. L'amélioration des connections, en rapidité et en qualité, peut aussi faire imaginer des classes communiquant en temps réel, par vidéo. L'élève doit alors apprendre à communiquer ses résultats, une même activité de recherche pouvant être menée dans des classes dispersées, les conflits socio-cognitifs peuvent certainement y gagner. 3. Une adaptation du réseau Internet se développe sans réelle concertation, chacun y apporte sa contribution sans forcément se demander si celle-ci va intéresser d'autres personnes. De plus, si on y trouve de précieux renseignements ceux-ci sont souvent hors de portée des enfants du primaire. En réalité le Web n'est pas pour le moment adapté aux enfants, les contenus n'y sont pas suffisants et sont trop difficiles d'accès. C'est donc une véritable politique de création de contenu qu'il faut envisager pour faire d'Internet une source documentaire fiable pour l'utilisation en classe. Encore faut-il s'interroger sur l'intérêt d'une telle démarche à l'heure où les encyclopédies vont arriver sur des supports plus aisés à manipuler ? CONCLUSIONQue faut-il en conclure ? Internet est un média neuf, récent et encore largement anarchique dans son organisation. Pour autant des projets pédagogiques peuvent naître autour et bénéficier de certaines de ses qualités. La mise en réseau reste son principal attrait à l'école primaire, et encore faut-il vraisemblablement le limiter aux CM. Internet est donc une des modalités d'utilisation des technologies nouvelles, elle ne répond pas pour le moment à tous les espoirs qu'on y avait mis. Il nous reste donc encore à inventer quelles applications pédagogiques sauront lui donner une réelle place à l'école. Le projet pédagogique reste premier et Internet un outil encore mal dégrossi. CONCLUSION IILe texte précédent date d'environ six mois. Pendant ce temps ma réflexion s'est ouverte à d'autres idées et a également mûri. Je reste toujours très critique envers l'utilisation actuelle d'Internet dans les écoles en tant que vitrine de la classe. J'ai reçu un message me disant que notre site avait eu le mérite de faire connaître notre village et les enfants, mais en quoi cela est-il utile aux élèves ? Je ne suis pas, pour autant que je le sache, le responsable du syndicat d'initiative mais bien un enseignant dont le rôle est de faire progresser ses élèves. Je pense qu'il faudrait revenir à ce qui fait l'essence même d'Internet : la mise en réseau. Bien avant de devenir un vaste bazar commercial, Internet avait été pensé et conçu dans le but de permettre la communication entre personnes géographiquement distantes pour mener à bien des projets communs. Revenons-en à ce stade avec nos élèves : mettons nos écoles en réseau sur des projets clairement définis, aux objectifs précisément ciblés. C'est certainement moins médiatique qu'un site Web mais, j'en suis convaincu, plus efficace pédagogiquement parlant.
Pascal RUTAR
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