État d'urgence
La France manque d'informaticiens . C'est d'autant plus
inquiétant pour l'avenir de notre pays que ce déficit,
de l'ordre de 10 000 aujourd'hui, devrait atteindre les
150 000 à court terme avec d'une part, les besoins
résultant des adaptations des systèmes
informatisés au passage en l'an 2000 (puis à l'EURO en
2002), et d'autre part la nécessité de pourvoir les
nouveaux emplois créés par le développement des
Technologies de l'Information et de la Communication.
Cette situation est due non seulement à des structures et
à un système de formation qui ne se sont pas
adaptés aux évolutions du monde moderne, mais aussi
à la fuite de nos cerveaux émigrant principalement aux
États-Unis : d'abord pour y poursuivre des études
dans de meilleures conditions puis, pour un grand nombre, afin d'y
créer des entreprises dans le domaine de l'ingénierie
informatique en particulier. Actuellement, environ 42 000 de nos
compatriotes, contre 10 000 en 1990, sont établis dans la
Silicon Walley et autour de 100 000 autres à Londres,
attirés entre autres par des charges sociales moins
élevées (10 % contre 48 % chez nous), des
impôts plus faibles et surtout un accès facilité
au capital risque.
Pour y remédier, Claude Allègre vient de proposer
des mesures visant notamment à faciliter et valoriser la
recherche. Si cette initiative pour enrayer l'exode va dans le bon
sens, elle ne suffira pas pour autant à assurer
l'émergence de cette main-d'uvre hautement
qualifiée dont nous manquons. C'est en amont qu'il est
également urgent d'agir. On le voit bien avec l'exemple des
États-Unis où déjà, en dépit d'une
augmentation de 43 % du nombre d'étudiants en
informatique, 300 000 emplois non pourvus dans cette branche
d'activité particulièrement porteuse obligent les
dirigeants à recruter à l'étranger les
spécialistes qui leur font défaut. Le Vice
Président Al Gore a annoncé que 425 millions de dollars
seraient consacrés à la formation des étudiants
et des professeurs aux Nouvelles Technologies.
Certes nos responsables politiques ont pris conscience de notre
retard et clairement exprimé leur volonté de faire de
la France " un acteur de premier plan dans la bataille de
l'innovation " . Pour l'Éducation nationale, un
plan ambitieux a été présenté. Nous
admettons qu'il faudra du temps pour mener à bien l'entreprise
mais pour assurer sa réussite, quitte à nous
répéter inlassablement, il est indispensable et
urgent de redéfinir les finalités et les objectifs
de notre système éducatif, de lever les freins et les
obstacles institutionnels : contenus disciplinaires, formation
des enseignants, équipement, promotion et développement
de produits adaptés , rôle et attributions de la
hiérarchie.
Par ailleurs, la fusion des IUFM et des MAFPEN continue de
susciter un certain nombre d'interrogations, voire
d'inquiétudes, quant à savoir, hormis le recrutement de
1 000 docteurs, qui y enseignera, quoi et comment ? Par
exemple, dans le cadre des protocoles d'accord passés entre
l'Éducation nationale et des multinationales du secteur de
l'informatique et des communications, une société
commerciale américaine annonce qu'elle offre gratuitement
à 800 futurs enseignants (sur environ 42 000
annuellement...) une formation de 2 journées pour apprendre
à naviguer sur Internet et à créer un site
Web ! Sans tarder, faisons donc bénéficier de
cette recette aussi magique que rapide les 850 000 enseignants
du terrain pour le plus grand bien des quelques douze millions et
demi d'élèves dont ils ont la charge.
Nous nous étions réjouis de noter, qu'enfin, les
nouvelles technologies seraient intégrées au cursus de
la formation initiale, mais tout en craignant que ce ne soit par un
transfert au détriment de la formation continue qui se ferait
sur le "tas". Malheureusement, pour l'instant, ces craintes sont
confirmées par les nombreux témoignages que nous
recevons quotidiennement : suppressions de stages, même
remplacés, incertitude quant à l'avenir des formateurs
MAFPEN. Espérons que la table ronde que Claude Allègre
vient d'ouvrir avec les syndicats pour débattre de la
formation des différentes catégories de personnels de
l'Éducation nationale, permettra de mettre en place rapidement
des solutions adaptées, d'autant plus que le Ministre
lui-même affirme " les nouvelles technologies seront la
priorité absolue " et estime que la formation
continue est " un devoir autant qu'un droit ".
Parallèlement, deux constantes se dégagent du
dépouillement du questionnaire " Quels savoirs
enseigner au lycée ? " : le désir
des lycéens de travailler en équipe et une demande
très forte d'un enseignement en phase avec la
société dans laquelle ils vivent en utilisant,
notamment, les nouvelles technologies. Ces revendications confirment
les conclusions de l'enquête menée en 1997 par la FSU
auprès des jeunes. C'est pourquoi nous dénonçons
l'absence de l'informatique et des Nouvelles Technologies dans
les programmes des journées thématiques, disciplinaires
ou les colloques chargés de finaliser l'exploitation des
résultats, alors que dans le même temps Edgar Morin,
Président du Comité Scientifique souhaite :
" que le lycée s'adapte à l'avancée
foudroyante des nouvelles technologies ".
Pour l'instant au-delà des déclarations, nous
constatons que globalement sur le terrain, excepté ça
et là les habituelles initiatives locales ou
" vitrines " dont on nous rebat les oreilles, la situation
n'évolue guère et le peu d'empressement pour la mise en
uvre des nouvelles mesures est tout aussi remarquable :
insuffisance, diminutions voire suppressions des dotations horaires
pour l'option informatique, de postes de technologie en
collège, quand ce n'est pas un inspecteur interdisant à
une collègue d'utiliser avec ses élèves le
logiciel qu'elle a réalisé ! La
désignation des personnes-ressources (joliment appelées
" Ambassadeurs des TICE " dans l'Académie
d'Orléans-Tours), qui était prévue pour fin
mars, a pris du retard et reste souvent à l'état de
projet quand elle n'est pas ignorée de la communauté
éducative par manque d'informations.
Nous ne voulons pas croire, Monsieur le Ministre, au
prétexte qu'il ne faut rien brusquer, que l'Institution,
ignorant les réalités du terrain ou s'en accommodant,
sacrifie la génération actuelle en attendant que notre
système éducatif ait accompli sa mutation et le
renouvellement de ses enseignants.
Alors, c'est urgent, encore un effort !
Jean Bernard VIAUD
Président de l'EPI
Paris, mars 1998
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