EDITORIAL

 

Une récente enquête de la SOFRES fait apparaître que 12% des foyers français sont équipés d'un micro-ordinateur (environ 2,5 millions de machines) et que 12% seraient prêts à en acquérir un à court terme.

Si l'on rapproche ces chiffres des quelques centaines de milliers équipant les établissements scolaires (selon l'enquête du MEN évoquée dans le numéro 78 de la Revue de l'EPI, sur les 350 000 appareils recensés dans les lycées et collèges 164 000 appartiennent aux premières générations et sont incompatibles avec les nouveaux produits) force est de constater qu'un fossé se creuse entre l'ordinateur à l'Ecole et à la maison. Les éditeurs l'ont bien compris comme en témoigne leur politique grand public. Comment leur reprocher ?

Nous réservons nos reproches au Ministère de l'Education Nationale qui laisse se développer cet état de fait lourd de menaces pour l'avenir du système éducatif. C'est d'autant plus navrant que les réalisations remarquables d'un " noyau dur " que l'on peut voir à l'oeuvre dans la plupart des Académies montrent à l'évidence les apports positifs de l'informatique et des technologies nouvelles associées à l'acte d'enseigner et à celui d'apprendre (voir par exemple en pages 16-17 les comptes rendus des journées Multimédias de Versailles ou de Créteil..). Ce noyau dur correctement formé, le plus souvent bien équipé, sollicité pour toutes les manifestations-vitrines, ne ménage pas ses efforts tant il est dans le sens de l'Histoire.

Malheureusement, trop de facteurs lui échappent totalement. Il ne décide ni des formations initiales et continues, ni de la politique des logiciels, ni de l'évolution des programmes d'enseignement. De surcroît les moyens attribués ont régulièrement diminué ces dernières années entraînant la réduction du volume des stages de formation voire la fermeture de centres.

Les actions de ce noyau dur aussi importantes et nécessaires qu'elles soient ne peuvent à elles seules créer les conditions d'une généralisation indispensable et urgente. Celle-ci nécessite une politique globale du MEN que nous attendons toujours en dépit de nos demandes.

Faut-il baisser les bras en attendant le ministre qui prendra la mesure des enjeux ?

Evidemment non, mais toute autosatisfaction nous paraît illusoire et dangereuse car elle tend à faire croire que, pierre après pierre, on construit patiemment l'édifice.

Or l'édifice est en train de se construire beaucoup plus vite ailleurs.

Même si la SOFRES ne nous le dit pas on devine facilement que les 2,5 millions d'ordinateurs ne se trouvent pas dans les foyers défavorisés, ce que confirme l'étude réalisée par l'institut GFK (voir page 18). Les enseignants connaissent bien les difficultés financières de trop de familles.

Doit-on accepter que seuls les enfants des milieux aisés établissent très tôt, chez eux, une connivence avec l'ordinateur et ses satellites ? Chez eux ou dans des structures privées comme en témoigne une information parue dans la revue Science et Vie Micro de mars 1996.

La société américaine Futurekids, qui a ouvert depuis 1994 six centres de formation à l'informatique (au tarif de 125 F de l'heure) pour les enfants dès l'âge de 3 ans, se prépare avec ses partenaires Compaq et Microsoft, à en ouvrir une centaine à l'horizon de l'an 2000.

Est-il besoin de rappeler que pour nous c'est à l'Ecole, service public, d'assurer la formation de tous les élèves à l'utilisation raisonnée de l'ordinateur et des technologies associées. C'est au système éducatif de compenser les inégalités et en particulier en matière d'alphabétisation informatique, car ces inégalités génèrent de nouvelles formes d'exclusion. Nous ne sommes pas les seuls à le penser et surtout à le dire :

" Priver les jeunes aujourd'hui de cet instrument, c'est comme si on les avait privés de livres autrefois. C'est leur imposer un obstacle culturel, leur infliger une discrimination inacceptable. Veut-on une société où seuls les enfants des classes aisées disposeraient d'un ordinateur à la maison ? Si nous n'enseignons pas à tous les jeunes à se servir de cet instrument, et très vite, alors la fracture sociale deviendra irrattrapable " déclarait récemment Edith Cresson (commissaire européen en charge de l'éducation et de la formation) lors d'un entretien accordé au Nouvel Observateur (voir extraits en pages 10-11).

Il n'est donc pas étonnant de lire dans l'éditorial du Monde en date du 6 mars 1996 que " le corps enseignant a une vision sombre d'une institution scolaire qui ne contribue pas à réduire les inégalités sociales et ne s'adapte que difficilement aux nouvelles exigences... qu'il apparaît comme arc-bouté sur quelques principes qui ne favorisent guère les innovations " et que " Paradoxalement, les nouvelles générations apparaissent comme les moins préparées à développer de nouvelles pratiques avec les élèves ". Il est toutefois rassurant de noter plus loin " les enseignants s'ils expriment un malaise n'ont pas pour autant baissé les bras ".

Un gouvernement s'honorerait en prenant en compte les nouvelles réalités et en permettant les évolutions indispensables en matière de formation des enseignants et d'équipement logiciel et matériel.

Est-il permis de rêver ou d'espérer ?

Jean-Bernard VIAUD

Président de l'EPI
Paris, le 21 mars 1996

 

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