L'utilisation de l'outil informatique me paraît riche d'enseignements. Il permet de mettre en oeuvre des démarches fondamentales des mathématiques (l'expérimentation, l'observation, la conjecture, la déduction, la démonstration, l'organisation et la traduction de données sous diverses représentations graphiques). Le déroulement linéaire de l'enseignement des mathématiques donne l'impression que la discipline est une science figée ; elle limite l'initiative des élèves, éteint leur imagination, réprime leur curiosité. L'outil informatique renouvelle les activités mathématiques parce qu'il permet d'aborder des problèmes que les enseignants n'ont pas les moyens de résoudre ou qu'ils n'ont pas le temps de mettre en oeuvre.
I - LA SALLE IMAGICIELLE
L'enseignant n'a pas toujours une salle d'informatique à sa disposition (parfois inexistante ou utilisée régulièrement par les professeurs d'autres disciplines). En attendant de pouvoir obtenir cet investissement de coût élevé (au moins 14-15 ordinateurs avec une imprimante pour deux postes), la solution est la salle imagicielle. Cette salle consiste à disposer d'un ordinateur que l'on relie soit à une plaquette rétroprojetable posée sur un bon rétroprojecteur, soit à une ou deux télévisions par l'intermédiaire d'une prise péritel. Si plusieurs professeurs de mathématiques sont intéressés par cet outil, le matériel peut être posé sur une table roulante, enfermé dans un petit local avec porte blindée quand il n'est pas utilisé, et ces mêmes personnes peuvent demander à travailler dans le même secteur, au même étage.
II - DES LOGICIELS PéDAGOGIQUES
Il en existe actuellement assez bien adaptés pour une utilisation imagicielle. Ils permettent d'intégrer à sa progression des activités mathématiques qui loin de retarder le cours l'illustrent de manière dynamique.
Je conseillerais trois logiciels qui couvrent assez bien toute la géométrie du collège :
- En géométrie plane, GEOPLAN version 2 et CALQUES GEOMETRIQUES,
- En géométrie analytique, GEOPLAN 2
- En géométrie dans l'espace, GEOSPACE
Ces trois logiciels permettent de tracer et de modifier des figures géométriques mais avec chacun leurs particularités.
a) GEOPLAN Version 2 - Irem de Poitiers
Il utilise les objets géométriques de base (point, droite, cercle,...) mais aussi les objets numériques (constante, variable, fonction) afin de construire des objets géométrique plus complexes, de tracer des courbe représentatives de fonctions ou de lieux de points, mesurer ou de calculer des grandeurs géométriques ou algébriques. Certains objets pouvant être variables, les figures se modifient et s'animent au gré de l'utilisateur.
Plusieurs améliorations ont été apportées à cette nouvelle version de géoplan, en particularité :
- la possibilité d'adapter le logiciel à un exercice en supprimant certaines options à l'aide du fichier OPTIGEOP.
- la possibilité de préserver une partie initiale de la figure pour la rendre indestructible aux élèves,
- apport d'autres objets comme le point de coordonnées entières, les arc de cercles, les polygones,.
- meilleure ergonomie grâce à l'apport d'un zoom, d'un quadrillage qui s'ajoute au repère de base,.
La possibilité de créer des commandes pour construire un objet géométrique ou analytique ou pour afficher une grandeur obtenue soit par mesure soit par calcul, permet au professeur d'être assez libre de ses mouvements pour un exposé collectif ou de ne pas perdre l'élève dans des manipulations complexes et peu pédagogiques pour la discipline.
Plusieurs modes sont disponibles à l'utilisateur :
- Voir (mode qui permet de visualiser la construction sous différents angles à l'aide des flèches de direction),
- Mouvoir (mode qui permet de faire varier un élément de la construction en l'ayant préalablement définit comme mobile ou variable),
- Créer (mode qui permet de faire la construction, d'ajouter des commandes etc.).
b) CALQUES GEOMETRIQUES - Edition Topiques
L'originalité du logiciel réside dans sa comparaison à un "cahier de transparents " pour rétroprojecteur. A l'aide des touches de fonctions, neuf feuilles se superposent les unes aux autres pour réaliser des constructions intermédiaires. Ce qui permet de visualiser qu'une partie d'une figure complexe pour aider un raisonnement.
Des menus déroulants offrent des outils graphiques pour construire des figures ou pour les modifier sous l'effet de transformations géométriques sur tout ou partie de la figure. Il trace aussi des lieux géométriques ou des courbes par lissage...
c) GEOSPACE - Irem de Poitiers.
Outil de construction géométrique dans l'espace, il réalise, déplace et modifie des figures et affiche les calculs liés à leurs mesures. Ainsi il est possible de suivre l'évolution d'une ou plusieurs grandeurs due à l'animation de la figure.
Son ergonomie se présente à peu près comme celle de géoplan avec quelques modifications dans les menus déroulants (apport du menu plan) et dans les mesures et calculs à effectuer (calcul de volume). Il propose des figures de base ; vide, repère de l'espace, cube, tétraèdre,...
La création de commande facilite aussi le travail du professeur pour une utilisation imagiciel devant toute une classe ou celui de l'élève pour résoudre seul un problème.
III - Exemples de séances pédagogiques
Les activités sont nombreuses. Voici trois d'entre elles :
1) Démonstration de la propriété de Pythagore avec CALQUES GEOMETRIQUES
Objectif de la séance
Etablir la théorème de Pythagore par la preuve originelle d'Euclide (dit Pont-aux-ânes en France) pour une classe de quatrième.
Déroulement
J'ai commencé le chapitre sur la propriété de pythagore en avril après avoir abordé les rotations. Les élèves ont pu découvrir que l'image d'une figure géométrique F par une rotation est une figure géométrique F' parfaitement superposable, c'est à dire que les rotations conservaient les aires.
La veille de cette séance, ils devaient avoir fait le puzzle de Pythagore, expliqué dans leur manuel scolaire, mettant ainsi en évidence la propriété. Pour faciliter leur compréhension, je leur avais distribué un document qui visualisait trois parties de la démonstration (calques 6, 7, et 8). Ils ont pu établir que les aires des triangles ABF et AGF étaient égales. Je leur avais demandé alors de me rédiger sur feuille la preuve que les triangles JAB et JAC avaient la même aire (calque 6) pour le lendemain.
Le jour même, le portable connecté avec un téléviseur, je me préparais à aborder avec toute la classe l'enchaînement complet de la démonstration à l'aide du logiciel Calques Géométriques et du fichier créé PYTHAGEO.
Les élèves ont commencé à faire entièrement la construction :
- Construire un triangle ABC rectangle en B (calque 1)
- Construire les carrés JABL, ACDF et BCEH (calque 2)
- Tracer la perpendiculaire à la droite (AF) passant par B,
- Appeler I l'intersection de cette perpendiculaire et de la droite (FD) et G l'intersection de cette perpendiculaire et de la droite (AC).
- Tracer les segments [JB] et [GF] (calque 3)
- Tracer les segments [JC] et[[BF] (calque 4)
La figure étant terminée, je leur ai visualisé la partie où toute la démonstration se déroulait (calque 5). Puis j'ai fait apparaître le calque 6. Ayant déjà détailler la preuve sur feuille, ils ont écrit :
Les triangles JAB et JAC ont la même base [JA] et des hauteurs associées de même longueur. Donc aire (JAB) = aire(JAC).
J'ai de nouveau visualisé la figure complète (calque 4) pour leur montrer ce qu'ils venaient de prouver. Je leur ai alors demandé de regarder les triangles JAC et ABF . En utilisant le calque 9, ils ont pu voir le triangle JAC s'animer et pivoter par la rotation de centre A d'angle 90 pour se superposer sur le triangle ABF. Après cette animation, je leur ai fait écrire :
Considérons la rotation r de centre A et d'angle 90.
r(A) =A r(C) = F r(J) = B.
L'image du triangle JAC est le triangle BAC par la rotation r.
Donc aire(JAC) = aire(BAF).
Puis ils ont regardé les triangles ABF et AGF (calque 8). Ayant fait auparavant la démonstration détaillée, ils ont simplement écrit :
Les triangles ABF et AGF ayant la même base [AF] et des hauteurs associées de même longueur, aire (ABF) = aire (AGF).
Afin de conclure la démonstration, j'ai fait apparaître le calque 4. Ce qui a permis de rédiger la suite du raisonnement :
aire (AGF) = aire (JAB)
d'où aire (ABLJ) = aire (AGIF)
On prouve de la même façon que aire (IDCG) = aire (BCEH).
On en déduit que AB²+BC² = AC².
Commentaire
Cette séance avec le logiciel Calques Géométriques a permis de décomposer visuellement cette démonstration difficile. Les apparitions successives des parties de la figure sont illustrées soit par l'introduction d'objets géométriques facilitant l'argumentation (par exemple les droites parallèles (JA) et (BC) dans le calque 6), soit par une animation dû à une transformation d'une partie de la figure ( par exemple rotation de centre A d'angle 90 dans le calque 7).
Le fichier se réalise facilement :
- commencer par construire un triangle rectangle sur le calque 1.
- Recopier le sur le calque 2, continuer la figure sur le calque 2 en ajoutant les carrés.
- Et ainsi de suite...
2) Exercice sur le tétraèdre avec GEOSPACE
Objectif de la séance
Donné en troisième, il est multiple :
- Visualiser dans l'espace,
- Revoir l'application de la propriété de Pythagore,
- Calculer le volume d'un tétraèdre.
Déroulement
Cet exercice a été donné sous forme de TP en salle d'informatique. Les élèves ont reçu une feuille polycopiée donnant l'énoncé et la figure. Après une heure de travail en binôme, ils ont rendu leur copie qui devait être notée. J'ai fait la correction en classe entière en utilisant un ordinateur relié à une télévision.
Voici l'énoncé de l'exercice :
La figure ci-contre représente un cube ABCDEFGH dont la longueur des arêtes est 7cm.
1) Choisir dans le menu FIGURE DEJA CREE, le fichier CUB1.
Taper C (menu CREER). A l'aide des flèches de direction, sélectionner le menu déroulant LIGNE pour tracer les diagonales [AF], [FC], [AC], [FD].
Comment appelle-t-on le solide DAFC ?
2) Déterminer la nature du triangle ADC. Pour cela, taper V (menu VOIR) puis sur la touche F2 afin d'examiner le plan ADC.
Calculer la longueur de la diagonale [AC]. En déduire les longueurs des autres diagonales [AF] et [FC]. (Touche CTRL-B pour vérifier le calcul de [AC]).
Appuyer sur ECHAP.
3) Quel est la nature du triangle AFC (Touche F2 pour examiner le plan AFC) et calculer son périmètre. Appuyer sur ECHAP.
4) Vérifier l'orthogonalité des droites (FC) et (DC) d'une part et des droites (FA) et (AD) d'autre part en examinant les plans DFC et AFD. Pouvait-on prévoir la réponse ? Justifier.
5) Calculer le volume du solide DAFC. (Touches CTRL-T pour vérifier votre calcul).
Réalisation et commentaire
L'exercice est semé de touches de commande soit pour les aider à visualiser dans l'espace en leur donnant la figure qui se trouve dans un plan de coupe, soit pour leur donner le résultat des calculs qui doivent être effectués.
Le fichier nommé CUB1 est réalisé à partir de la figure de base du cube auquel j'ai rajouté des commandes de deux types :
- Faire un calcul (longueur d'un segment et volume d'un tétraèdre)
- tracer des segments. (commande utilisée lors de la correction pour afficher rapidement les diagonales [AF], [FC], [AC] et [FD].)
Pour que l'ordinateur puisse faire les calculs, il est nécessaire de lui donner une longueur unité. Pour cela, j'ai placé un point I "rendu invisible" sur le segment [AC] tel que AI=1/7 AC, les côtés du cube mesurant 7 cm.
J'ai utilisé Géospace en tant qu'imagiciel pour la correction de l'exercice, mais j'aurais pu aussi l'utiliser pour résoudre le problème avec toute la classe.
3) Activités préliminaires pour le cours sur les équations de droite avec GEOPLAN 2
Objectif de la séance : conjecturer les propriétés sur les droites et leurs équations à l'aide d'une animation à l'écran.
Déroulement : j'ai créé trois fichiers dans Geoplan2 concernant des activités différentes. Dans chacun d'eux, j'ai fait apparaître le repère (Ox, Oy) en appuyant sur la touche F2 puis le quadrillage en appuyant une seconde fois sur F2 ;
A) Etablir l'équation d'une droite ne passant pas par l'origine et non parallèle à l'axe des ordonnées.
Dans le fichier appelé équat1, Je trace la droite d d'équation y = 2x et je place le point B(0, 1). En cours, je pose les questions suivantes et j'écris les réponses au tableau.
a) Quelle est l'image de la droite d par la translation t de vecteur " " ? Pourquoi ? On nomme d' la droite image de la droite d par la translation t car une translation transforme une droite en une droite parallèle.
b) On place un point P mobile sur d, puis son image par la translation t. On constate sur l'écran que la translation t de vecteur transforme un point en un point dont l'ordonnée a augmenté de 1.
Quelle sont les coordonnées du point M si on note x l'abscisse de P ?
P a pour coordonnées ( x , 2x ), donc M ( x , 2x + 1 ).
Ainsi y = 2x + 1 est un critère d'appartenance d'un point M à la droite d. y = 2x + 1 est l'équation de la droite d' dans le repère (Ox, Oy)
c) Chercher les coordonnées de points de d' et les coordonnées de points non situés sur d'.
On vérifiera en faisant placer ces points par le logiciel.
Commentaire : je fais apparaître la figure progressivement car j'ai créé une commande qui me donne la construction par étapes. J'affiche l'équation de la droite d' à la fin de l'exercice par une commande (option : calcul, équation de droite) et je fais déplacer le point P sur la droite d en mode Mouvoir pour montrer le déplacement de M et la valeur de son ordonnée.
B) Etablir les différents types d'équation de droite
Dans le deuxième fichier équat2, je trace la droite (AM) sachant que A(-2, 1) et M est un point mobile à coordonnées entières. Je crée une commande qui me donne l'équation de la droite (AM).
Durant la séance avec les élèves, je lance le fichier équat2. Puis en mode MOUVOIR, je déplace le point M dans le plan et je demande aux élèves qu'ils regardent les effets sur l'équation de droite. Ils établissent ainsi les différents cas possibles :
Lorsque l'abscisse de M est -2, on constate que la droite est alors parallèle à l'axe des ordonnées et a pour équation x = -2. Sinon la droite (AM) n'étant pas parallèle à l'axe des ordonnées, son équation s'écrit sous la forme y = ax + b où a et b sont des fractions simples.
Lorsque l'ordonnée de M est 1, on constate que la droite est parallèle
à l'axe des abscisses et a pour équation y = 1. Dans ce cas,
a = 0 et
b = 1.
Par ailleurs quand l'abscisse de M est un multiple de -2 mais différente de -2. La droite (AM) passe par l'origine o du repère et a pour équation . On en déduit que et b = 0 .
C) Etablir les propriétés de droites parallèles ou perpendiculaires
Dans le dernier fichier équat3, je définis a variable entière, a' et a" variables réelles non bouclées, appartenant toutes à l'intervalle [-10 , 10]
Dans le repère (Ox, Oy), je trace la droite d passant par un point A et de coefficient directeur a, d' celle passant par un point P mobile à coordonnées entières et de coefficients directeur a', enfin d" celle passant par P et de coefficient directeur a".
Devant la classe, dans un premier temps , dans le mode Mouvoir je fais varier a' de façon à rendre d et d' parallèles. Les élèves se rendent compte alors qu'on y parvient lorsque les coefficients a et a' sont très approchés. Pour être certain de la conjecture, je redéfinis d' comme droite parallèle à d passant par P. Ils constatent alors que les coefficients directeurs sont égaux.
Dans un second temps, je refais le même type d'expérience mais avec a" de telle sorte que d et d" deviennent perpendiculaires. Les élèves peuvent alors remarquer que le produit est très proche de -1. Je redéfinis aussi d" comme droite perpendiculaire à d passant par P. Par le calcul, ils vérifient que le produit des coefficients directeurs est bien égal à -1.
Commentaire : pour la réalisation du fichier équat3, je crée deux commandes de dessin par étapes :
- l'une pour traiter le problème où d et d' sont parallèles. Dans ce cas, on dessine dans l'ordre A, d, P enfin d'.
- l'autre pour traiter le problème où d et d" sont perpendiculaires. Dans l'ordre sont tracés les éléments A, d, P enfin d".
Je crée deux commandes de calcul pour afficher en même temps les coefficients directeurs des droites d et d' et ceux des droites d et d". Pour se rapprocher au maximum de la situation désirée, d//d' par exemple, on peut diminuer le pas de la variation en appuyant sur la touche. On prendra soin aussi à bien régler l'affichage de l'écran afin que les angles droits le soient.
Ces expériences permettent de mettre en évidence les deux sens des propriétés : le théorème et sa réciproque. Après redéfinition des droites d' et d", on peut aussi faire remarquer que les déplacements du point P dans le plan n'ont aucun effet sur les équations des droites.
CONCLUSION
Les séances pédagogiques avec l'outil informatique s'intègrent facilement dans une progression sans la retarder. Cependant, elles ne doivent pas remplacer totalement le travail des élèves, même s'il y a risque d'erreurs. Le crayon et la gomme leur permettent de se rendre compte par eux-mêmes d'une construction et de la difficulté d'un problème.
Chaque séance demande une longue préparation qui diminue au fur et à mesure qu'on maîtrise le logiciel. Mais elle procure beaucoup de satisfaction puisqu'elle stimule notre propre créativité. De plus, les animations à l'écran comportent toujours un aspect ludique qui séduit autant les élèves que nous-mêmes.
Si vous souhaitez utiliser des imagiciels dans votre enseignement, un stage est organisé par la MAFPEN : Mathématiques et imagiciels, N° 445M11, destiné à des professeurs de lycée ou de collège.
Isabelle BOUCHE
Professeur de mathématiques
au collège Bel Air à Franconville
Formatrice à la MAFPEN
article paru dans la Revue de l'EPI n° 79 septembre 1995