Apports de l'Informatique Victor Marbeau Le système scolaire évolue en fonction de l'environnement social et technologique. La prise en compte des mutations auxquelles nous assistons est indispensable pour assurer une adéquation suffisante entre les besoins de la société et la formation dispensée dans les établissements d'enseignement. Peut on considérer que sur le plan de l'informatique et des technologies de la communication un effort suffisant a été accompli ? Certes, dans l'enseignement à vocation professionnelle et technique les réalisations sont spectaculaires mais tous les élèves et étudiants, quelle que soit l'orientation de leurs études, ont besoin de se familiariser avec des outils qui envahissent les pratiques de la vie quotidienne. Dans ce registre de formation, force est de constater qu'un grave déficit subsiste. Malgré tous les efforts consentis, et qui ne sont pas négligeables, on est amené à conclure que la prise en compte des technologies de notre temps est insuffisante, surtout au niveau des enseignements dits généraux. Le présent article propose d'établir un bilan des possibilités offertes par ces technologies en matière d'éducation et essaie de dégager des perspectives d'avenir à des conditions acceptables par toutes les parties concernées. 1. LES PERSPECTIVES OFFERTES PAR L'INFORMATIQUE ET LES TECHNOLOGIES DE LA COMMUNICATION Les utilisations de ces outils ont été développées dans les numéros de l'EPI et dans deux ouvrages récents [1] et [2]. Nous insisterons cependant sur certains aspects essentiels de cette relation avec l'enseignement secondaire. Les applications pédagogiques de l'informatique ne sont possibles que si le logiciel peut opérer sur les structures syntaxiques. Or accéder au sens à travers la seule syntaxe est impossible, la machine étant incapable de donner un sens à une structure. Ceci explique les limites auxquelles se heurte l'enseignement assisté par ordinateur. L'exercice à trous, les questionnaires à choix multiples, la démarche guidée par des réponses fermées sont des exercices privilégiés, les logiciels étant incapables d'interpréter des réponses ouvertes. Néanmoins, on peut utiliser très valablement les capacités syntaxiques de l'ordinateur. C'est ainsi qu'en lettres et en langues, l'étude de la morphologie et de la syntaxe sont des applications constantes. L'ordinateur est, en lettres, particulièrement adapté à l'approche lexicologique qui permet de faire éclater le texte et provoque ainsi une relecture du document brut. Le logiciel oblige l'élève à porter aux mots une attention plus grande ; il l'oblige aussi à une lecture sans connotation. La modélisation est également chargée d'applications pédagogiques. On appelle modèle « toute représentation d'un système réel par un ensemble de symboles où les interdépendances entre les divers éléments constituant le système sont explicitées » Th. Hatt [3]. La recherche d'un modèle est donc une activité typiquement informatique « puisqu'elle est caractérisée par le passage progressif de la réalité perçue à sa représentation par des symboles, c'est à dire à la réduction de la sémantique à la syntaxe » (Th. Hatt). Que permet l'ordinateur dans ce procès intellectuel ? Il assure la mise en oeuvre du modèle, ce que l'on nomme la simulation. Cette notion a été très utilisée en démographie (simulation de croissance de la population), en biologie (règles de nutrition, calorimétrie, glycémie...), en économie, en géographie régionale, en physique... L'intérêt pédagogique de la simulation n'est plus à démontrer et de nombreux logiciels en sont la preuve [4]. Outre sa capacité syntaxique, l'ordinateur actuel est une machine très rapide ; ainsi l'AT3, compatible IBM-PC fort répandu dans les lycées et pourtant déjà très dépassé, peut effectuer pendant la durée de 20 secondes plus de 500 000 multiplications. Quels sont les aspects de la pédagogie où cette vitesse peut être mise à profit ? L'interactivité est une des caractéristiques des logiciels actuels sur micro-ordinateur. Grâce à sa vitesse la machine est interactive et conversationnelle, c'est un des meilleurs arguments de l'EAO. Aucune pédagogie de groupe ne garantit une correction complète, individuelle, immédiate, en libérant l'enseignant pour les tâches de suivi et d'évaluation individuels ; chaque élève à son rythme propre peut avancer dans le cours en bénéficiant d'une correction instantanée. La rapidité de réaction de l'ordinateur peut aussi être mise à profit pour accumuler des mesures très nombreuses dans un temps très court. La détermination d'une loi physique ou biologique dépend de la valeur mais aussi du nombre des mesures effectuées et de la qualité de l'échantillonnage. La connexion de la machine à un capteur facilite la réalisation d'expériences en permettant, par exemple, la saisie de mesures de position en fonction du temps pour l'étude de la chute d'un corps... Le groupe Evariste du CNAM a montré les possibilités de l'ExAO (expérimentation assistée par ordinateur). Les calculs mathématiques, statistiques ou simplement arithmétiques représentent des obstacles dans tout une série de situations pédagogiques. Nous trouvons un exemple d'utilisation de méthodes statistiques très exigeantes en volume de calcul dans ce que l'on appelle « l'analyse de données ». Ces méthodes sont banalisées depuis plusieurs années ; c'est ainsi que Th. Hatt a appliqué le logiciel « SESAM » à l'analyse de données en géographie au Lycée. En sciences économiques et sociales, le logiciel « SECOS » apporte une série d'outils de traitement, en particulier de séries chronologiques, taux de croissance, indices, moyennes glissantes. L'ordinateur est également une machine à produire textes et graphiques. C'est ainsi que l'outil informatique peut être mis à profit, en particulier en histoire et géographie, pour mettre au point un véritable cursus graphique des élèves en premier et second cycle : graphiques chronologiques, graphiques démographiques, pluviothermiques etc. Par ailleurs, les enseignants d'histoire et de géographie, comme ceux de biologie-géologie sont des consommateurs de cartes. L'informatique leur permet de devenir producteurs. Les logiciels de cartographie se multiplient actuellement ; comme se développe également l'utilisation de l'imagerie satellitaire en géographie ou biologie-géologie. Les logiciels graphiques permettent également de développer ce que les expérimentateurs ont appelé en mathématiques les imagiciels, « des images programmées, animées par un jeu de paramètres éventuellement commandables et susceptibles de s'insérer dans une séquence didactique précise ou un processus éducatif largement ouvert ». Le traitement de texte procède des mêmes possibilités graphiques. Il est en premier lieu une « machine à écrire » perfectionnée permettant de travailler un texte aussi souvent et aussi longtemps que l'on veut. C'est ensuite un logiciel permettant d'effacer, de couper du texte, de le réintroduire ailleurs. Il crée ainsi un espace ouvert, il invite à organiser, désorganiser et .réorganiser tout énoncé discursif. Il peut ainsi jouer un rôle important dans la didactique des langues et du français. Dernier avantage de l'ordinateur, il est une machine à mémoire capable de stocker massivement l'information. Il faut considérer deux types de mémoire : d'une part la mémoire centrale ou mémoire vive, c'est celle où doit obligatoirement se placer le programme pour s'exécuter et d'autre part les mémoires externes ou mémoires de masse. En relation avec l'évolution des microprocesseurs, des progrès énormes ont été réalisés dans les mémoires vives. Les microprocesseurs doublent de puissance tous les 18 mois, de même les mémoires. Les mémoires de masse connaissent la même révolution. Il existe deux types de mémoire de masse : celles qui sont « réinscriptibles » par l'utilisateur et celles qui ne le sont pas. Les disquettes souples et les disques durs sont dans la première catégorie les vidéodisques et disques compacts informatiques (CD-ROM) dans la seconde. Pour les mémoires réinscriptibles, on est passé de l'étroitesse à l'aisance. La taille physique des disquettes a diminué (3 pouces 1/2), la capacité informatique a augmenté, 780 Ko et 1.44 Mo (mégaoctets). Or une disquette de 1.44 Mo supporte aisément un logiciel complet de traitement d'images numériques de télédétection. De telles possibilité donnent des utilisations nombreuses, en biologie, lexicologie, histoire et géographie ou sciences économiques et sociales. Les mémoires non réinscriptibles ont également un très grand avenir pédagogique. Le vidéodisque et le CD-ROM sont des périphériques nouveaux à classer parmi les mémoires de masse externes. Tous deux sont connectables à un ordinateur et ouvrent à des prix abordables pour l'éducation des espaces de stockage impensables il y a peu d'années. Le vidéodisque dont la capacité est de 54 000 images analogiques par face peut être utilisé, piloté par une télécommande, mais il est très difficile à gérer un tel stock d'informations sans un ordinateur connecté. Seul ce dispositif permet en particulier de garantir une réelle interactivité avec l'image. Les applications pédagogiques sont nombreuses et ont fait l'objet de rapports détaillés dans les ouvrages et revues cités antérieurement, les domaines de l'histoire-géographie et des arts sont tout particulièrement concernés. Le CD-ROM apparu seulement en 1985, est un support informatique au format logique normalisé, ce qui le rend compatible avec toutes les machines. Les 650 Mo de capacité représentent plus de 200 000 pages imprimées (L'encyclopédie Universalis affichant 20 000 pages). Ainsi le CD-ROM multimédia « Le Monde, Histoire au jour le jour » est constitué à partir de la version papier des quatre volumes couvrant la période (1944-85). Le CD-ROM stocke des articles du journal Le Monde, mais aussi des chronologies, des cartes, des portraits de personnages, des documents sonores. Le logiciel de pilotage permet d'accéder au contenu qui peut à tout moment être sauvé sur disque après regroupement et tri. La banque de données, comme la banque d'images est susceptible des mêmes utilisations pédagogiques. Elle peut être support de pluridisciplinarité comme elle peut faciliter une démarche plus autonome des élèves et, ce faisant, se prêter à la mise en oeuvre d'une pédagogie différenciée. Ainsi, dans le cas du CDROM « Le Monde au jour le jour » où se trouvent associées un grand nombre de données, le choix d'un corpus de documents d'inégale difficulté d'interprétation peut conduire à des exploitations en fonction des possibilités inégales des élèves (en petits groupes ou individuellement). Avec le CD-ROM ci dessus évoqué, le terme de multimédia a été avancé, il convient de revenir sur cette nouvelle technologie dont la mise en oeuvre devait entraîner de grands bouleversements pédagogiques. Le multimédia, selon la définition qu'en donne J.-B. Touchard [5], « c'est la convergence des textes, des images, des sons et de interactivité vers une seule et même technologie, l'informatique ». Le codage numérique qui unifie totalement la représentation de ces données simplifie la manipulation sur des appareils dérivés des ordinateurs que ceux ci soient utilisés de manière locale (multimédia off line) ou collectés en réseaux (multimédia on line). Le multimédia est aujourd'hui une réalité technologique qui est à même de doter les machines d'autres moyens de dialoguer que les simples affichage et saisie de texte. Du seul point de vue de l'informatique, il est aujourd'hui possible d'exploiter des sons et des images fixes de qualité sur des machine de base éventuellement équipées de dispositifs complémentaires de prix modique comme un lecteur de CD-ROM ou une carte sonore. La commercialisation d'équipements grand public comme le lecteur de CDI (compact disque interactif) et de Photo CD permettent d'utiliser sur un simple téléviseur des produits interactifs dotés d'images et de sons de qualité avec, notamment de considérables possibilités d'accès direct [6]. Les activités pédagogiques liées à l'utilisation de ces nouveaux outils sont nombreuses et fascinantes. Selon des estimations américaines, l'individu retiendrait 10 % de ce qu'il voit, 20 % de ce qu'il entend, 50 % de ce qu'il lit et entend et 80 % de ce qu'il voit, entend et fait. Le succès potentiel du multimédia se trouve résumé dans cette estimation. Le multimédia est en premier lieu un instrument privilégié d'autoformation car l'apprenant peut bénéficier d'une séquence personnalisée guidée par le programme lui-même via les techniques hypertexte. Cette pratique peut grandement aider l'individualisation des apprentissages et partant le travail personnel des élèves ; elle permet également des activités de soutien adaptées. L'utilisation d'outils d'autoformation à l'occasion des séances de travaux dirigés ou de travaux pratiques constitue également une piste intéressante pour le travail individuel et autonome. En France, le rapport de l'Inspection Générale concernant les élèves en difficulté mentionnait cette modalité d'utilisation comme une piste pour les activités de soutien. Hors de la classe, l'autoformation s'impose. L'élève peut acquérir ainsi des notions nouvelles ou procéder à des révisions. Cette activité suppose la volonté d'apprendre et la disponibilité de multimédias en libre service au niveau de l'établissement ou en usages familiaux avec tout le statut du téléviseur domestique qui se trouvera mis en cause. La formation continue ou initiale des enseignants peut aussi bénéficier de ces outils dans le cadre des possibilités autoformation individuelle en alternance avec des activités de groupe. Le progrès des communications et notamment l'avènement de la télévision interactive et l'amélioration des techniques de vidéoconférence permettent d'envisager aujourd'hui des actions de formation à distance qui sont autre chose que la simple diffusion d'une émission TV. Les élèves peuvent évidemment bénéficier de cette formation à distance (cf. vidéoconférence du CNED à Poitiers). Les fameux autoroutes de l'information qui se profilent à l'horizon immédiat, deviendront des moyens d'accès à des masses considérables d'informations parmi lesquelles l'éducation pourra trouver son compte. Toutes ces possibilités ainsi offertes sont-elles exploitées de manière sérieuse au niveau des différents cycles d'enseignement ? Les enquêtes dont nous allons faire état montrent que la situation ne correspond pas aux espoirs entretenus et que de gros progrès restent à accomplir 2. LES INSUFFISANCES CONSTATÉES Deux problèmes se posent, celui des matériels existants dans les établissements, et celui de leur utilisation et des pratiques pédagogiques liées, en fonction des attitudes du corps enseignant [7]. - Les matériels. La note d'information du Ministère de l'Éducation nationale n° 95.13 de mars 1995 fait le recensement des matériels informatiques et audiovisuels pédagogiques dans les établissements du second degré. En 1994, les établissements publics et privés d'enseignement possèdent un parc de matériels informatiques et audiovisuel important. On dénombre 355 850 micro-ordinateurs, soit neuf fois plus qu'en 1987. Il y a en moyenne, tous établissements confondus, un ordinateur pour quinze élèves, un pour trente deux dans les collèges et un pour huit élèves dans les lycées professionnels. En ce qui concerne les ordinateurs, les établissements en possèdent donc une quantité non négligeable dont 68,6 % ont moins de cinq ans, par contre 150 000 sont munis d'un processeur de l'avant dernière génération. Les autres matériels informatiques recensés sont les réseaux et nanoréseaux. Les réseaux des établissements sont souvent anciens (plus de cinq ans) et ils ont une capacité de 38 556 postes de travail. Cette capacité est voisine de celle des nanoréseaux de 1987 qui était de 38 496 postes. Les modems sont moins implantés, globalement, 16 % des établissements possèdent au moins un modem. Dernier équipement lié à l'informatique, le CD-ROM. On dénombre 8 396 lecteurs de CD-ROM ET 30,8 % des établissements possèdent au moins un lecteur. Afin de situer le niveau de pénétration de ce genre d'appareillage, il convient de signaler que le taux d'équipement des foyers en France et de 0,3 % (1993). La situation des matériels audiovisuels est également inégale selon les types d'appareils. Depuis 1987, le parc des récepteurs de télévision a été multiplié par 3,6 %. Il est passé de 17 105 récepteurs à 61 507 appareils. Il y a en 1994 un récepteur pour 94 élèves et 96,2 % des établissements ont au moins un récepteur. Pour les magnétoscopes, au 1er Janvier 1994, la dotation était de 49 887 appareils et 93,9 % des établissements en possèdent au moins un. Les autres matériels audiovisuels (sauf les rétroprojecteurs de diapositives) sont sensiblement moins représentés, tout au moins en ce qui concerne les réseaux vidéo internes, les antennes paraboliques et les lecteurs de disque vidéo. En fonction de ces équipements que pouvons nous induire des pratiques des enseignants ? La répartition des ordinateurs, selon l'enquête précitée, est révélatrice des modalités de leur utilisation. On dénombre plus de 100 000 micro-ordinateurs dans les salles informatiques, 62 250 dans les salles de technologie, 43 312 dans les salles d'économie et de gestion, 7 433 dans les CDI ET 25 802 dans les autres salles, notamment les laboratoires. La conclusion est facile à tirer, mis à part l'enseignement de la technologie et de l'économie et gestion, l'utilisation de l'ordinateur est très limitée dans les salles consacrées aux enseignements généraux (laboratoires exclus...) et ne s'exerce, épisodiquement que dans la salle informatique. Autre limitation, bien que le nombre de micro-ordinateurs ait été multiplié par plus de neuf par rapport à 1987, les établissements possèdent encore un grand nombre de micros (164 000) appartenant aux deux premières générations. Or l'utilisation de nouveaux progiciels est incompatible avec ces derniers types de micro-ordinateurs. Malgré la croissance du nombre des ordinateurs, la capacité d'utilisation de ces appareils par les élèves demeure limitée. En moyenne, les établissements peuvent mettre au moins un micro-ordinateur à la disposition de quinze élèves à titre de support pédagogique. Ce chiffre ne signifie pas grand chose dans la réalité car on constate de fortes disparités dans les établissements (en collège, en moyenne un micro-ordinateur pour trente deux élèves) mais il montre les limites ainsi apportées à la mise en oeuvre d'une pédagogie centrée sur l'utilisation de ce type d'appareil, d'autant que la disponibilité du matériel ne garantit pas son utilisation systématique. Nous savons que dans nombre d'établissements, les ordinateurs restent fréquemment au « placard ». Par delà les équipements mis en place, l'essentiel des blocages se situe au niveau des comportements des enseignants. Selon la note d'information de Mars 1995, deux études récentes réalisées à la demande du ministère permettent de mieux cerner la réalité des pratiques en matière d'audiovisuel et d'informatique [8]. Ces deux enquêtes démontrent que l'audiovisuel bénéficie d'une meilleure image de marque et d'une pratique plus satisfaisante que l'informatique. L'audiovisuel classique correspond davantage aux mentalités actuelles du corps enseignant pour lequel cette technologie favorise principalement l'intérêt et la compréhension des élèves sans rupture trop brutale avec les formations initiales. Pour ce que sont néanmoins les pratiques informatiques, la deuxième enquête insiste sur les disciplines technologiques, avec toutefois une percée du français et des mathématiques. En dehors de conclusions extraites de ce dossier, les insuffisances des pratiques informatiques ont été souvent soulignées par la commission « Informatique et technologies de la communication » de l'Inspection Générale et par la revue EPI. C'est d'ailleurs dans cette revue que René Mayer, expert auprès de la Communauté Économique Européenne, examine « la vraie nature du retard européen » [9]. Ce retard par rapport aux États-Unis ne tient pas aux différences d'équipement des entreprises mais à leur utilisation. L'utilisation individuelle des équipements est en effet quatre fois plus importante aux États-Unis qu'en Europe. Le retard européen ne tient pas à une insuffisance des infrastructures mais plutôt à des freins liés à l'évolution des mentalités. Parmi les raisons culturelles évoquées, l'auteur retient plus particulièrement les problèmes de formation et d'information liés à l'école et pour ce qui est de la France, il affirme « ... ou faut il rechercher l'explication dans le relatif échec des actions de formation et d'éducation pratiquées en France, par exemple d'une manière relativement désordonnée entre 1981 et 1986, et en régression depuis 1987, en raison du conservatisme du système éducatif français ? ». Cette situation pourrait conduire à terme à de nouvelles formes de dépendance et de sous développement économique et culturel. Que convient il de faire pour rétablir une situation plus conforme aux devoirs et ambitions de notre système éducatif ? 3. COMMENT FAIRE ÉMERGER UNE VÉRITABLE CULTURE DE L'INFORMATIQUE ET DES TECHNOLOGIES DE LA COMMUNICATION ? Les actions à conduire sont multiples, elles tiennent à l'équipement des établissements, à la mise en oeuvre d'une véritable politique de formations initiale et continue, à la définition d'une didactique des disciplines incluant de manière obligatoire l'utilisation des nouveaux matériels dans une démarche pédagogique cohérente. Le problème des matériels disponibles doit être résolu en priorité, tout au moins en relation très étroite avec la formation des enseignants et les objectifs pédagogiques recherchés. Malgré les efforts consentis, nous avons vu que le nombre des ordinateurs à disposition n'est pas suffisant pour assurer à tous les élèves une pratique systématique de l'informatique dans tous les enseignements dispensés. Ce constat d'insuffisance est encore plus grave pour les nouveaux matériels multimédias. L'idéal à atteindre est celui d'une station multimédia par salle de classe qui pourrait être utilisée pour consulter des programmes, accéder à des informations ou simplement afficher une image sélectionnée à l'avance. Une connexion avec le réseau permettrait aux enseignants de consulter et de saisir des données liées à la vie scolaire et à la gestion pédagogique mais aussi de permettre aux élèves d'accéder aux données documentaires du CDI ou encore de consulter des documents ou des encyclopédies multimédias. Ce type de station n'est certainement pas accessible aujourd'hui, mais dans l'immédiat, il convient de conjuguer l'utilisation de l'ordinateur et du téléviseur avec les accompagnements complémentaires. Ainsi à Poitiers [10], un professeur de musique expérimente, depuis bientôt un an, une station multimédia comme outil pédagogique dans sa classe. L'originalité de son système réside dans le fait qu'une seule station (ordinateur, CD-ROM, carte son, logiciels etc.) suffit pour faire travailler toute une classe, car l'image de son moniteur est affiché sur un téléviseur grand écran visible par tous les élèves. La présence d'une souris sans fil (à infra rouge) permet aux élèves d'utiliser l'ordinateur du centre de la classe (ex : CD-ROM) en suivant l'image sur le téléviseur. La diffusion du multimédia au niveau de toutes les salles de classe ne pourra se faire que très progressivement et si on peut toujours imaginer des bouleversements de l'organisation de la classe, il faut reconnaître que les situations pédagogiques que chacun a appris à maîtriser sont celles qui correspondent à des dispositions classiques. La salle informatique a toujours la faveur de nombreux enseignants. Elle est généralement organisée pour recevoir des demi-classes, souvent avec une machine pour deux élèves. On peut sur cette base imaginer des équipements et des formes d'utilisation intéressantes. La salle audiovisuelle est également fréquente. Elle est souvent dotée d'un téléviseur, d'un ou plusieurs magnétoscopes et éventuellement d'autres équipements (vidéodisque, accès au câble, vidéoprojecteur). L'équipement peut être aisément complété par des matériels multimédias (lecteurs CDI ou Photo CD). Sans chercher des matériels très sophistiqués, un ordinateur équipé d'une interface permettant l'affichage sur le téléviseur est susceptible d'effectuer des présentations. L'utilisation en libre service jouit d'une faveur certaine car elle développe l'autonomie des élèves. La localisation des matériels doit permettre l'accès le plus facile possible, tout en assurant leur sécurité. La constitution de salles spécialisées pose le problème de l'encadrement des élèves et des moyens humains disponibles. Dans bien des cas, c'est le centre de documentation qui est appelé à jouer ce rôle et cela conduit à modifier largement les missions et les compétences des documentalistes. Comment assurer l'utilisation rationnelle des matériels dans le contexte d'une véritable démarche didactique ? Les programmes et instructions ont de manière inégale intégré la pratique informatique dans leurs recommandations, il serait fastidieux de dresser un constat du dit et du non dit en la matière. Nous pouvons cependant avancer l'idée que si les formulations sont parfois incitatrices, elles manquent le plus souvent de précision quant à l'insertion des pratiques dans les grandes composantes d'un programme. Comment organiser le cheminement dans les différentes parties en fonction d'un choix didactique incluant les technologies de l'informatique et de la communication ? Pour ne pas laisser les enseignants désemparés devant des propositions trop vagues, il convient d'introduire en annexe des indications détaillées concernant les diverses possibilités offertes par les matériels et adaptées aux grandes séquences de déroulement d'un programme. La formulation des programmes ne doit plus se limiter au simple recensement des connaissances nécessaires mais doit inclure la présentation des objectifs généraux et des compétences à acquérir, des points de passage obligés à respecter, du rappel des relations nécessaires à établir avec d'autres disciplines. La plus grande flexibilité ainsi acquise facilitera la mise en oeuvre de schémas didactiques novateurs. Le bon usage des technologies de l'information et de la communication suppose de dégager un temps disponible suffisant et par conséquent il convient d'équilibrer au niveau des horaires impartis les séquences d'enseignement de type magistral et les séquences supposant l'utilisation des techniques informatiques et audiovisuelles. Il est incontestable que des programmes moins ambitieux sur le plan quantitatif permettent de mieux dégager les plages de liberté pour travailler autrement. Quelles que soient les incitations résultant des instructions officielles, rien ne peut se faire sans l'engagement du corps enseignant. Après plus de trente années d'expérimentation et un foisonnement de pratiques qui ne sont encore que le fait d'un « noyau dur » d'enseignants engagés, il convient de passer à la généralisation. Pour ce faire, il faut assurer une diffusion de l'information concernant les pratiques novatrices. La commission de l'Inspection Générale considère que « ces actions semblent en général méconnues, elles devraient faire l'objet de recensements systématiques et leurs résultats devraient être diffusés ». Il serait souhaitable d'encourager des stages académiques de « colportage pédagogique » et les corps d'inspection devraient participer activement à cette diffusion. Il convient également, cette action est tout à fait prioritaire, de préparer les enseignants à être des initiateurs à l'emploi réfléchi et maîtrisé de ces technologies et cette formation doit être aussi bien initiale que continue. A ce propos, les propositions de la commission de l'Inspection Générale peuvent être reprises. La formation doit permettre aux enseignants de communiquer (quelle que soit la distance), d'accéder à toutes les sources d'information (en ligne ou en stock dans les bases de données), de traiter toutes sortes de documents (images fixes ou animées, sons, textes etc.) ou de données. La familiarité avec les outils indispensables doit pour ce faire être développée : micro-ordinateurs et logiciels grand public, en particulier les logiciels intégrés qui permettent l'apprentissage de différentes possibilités, modems, réseaux de micro-ordinateurs interconnecté... La « navigation » dans les hypermédias, l'utilisation des supports de stockage divers, les possibilités liées à la numérisation et à la compression doivent progressivement entrer dans la culture des enseignants. La connaissance des possibilités offertes par l'outil permettra une intégration dans le cadre disciplinaire qui pourra se nourrir des résultats des expérimentations déjà conduites. Cette mise en oeuvre s'appuyant de surcroît sur un travail en équipe des enseignants et une prise en compte des pratiques par les conseils d'établissement se fondera dans un premier temps sur l'utilisation d'objets multimédias simples qui peuvent s'intégrer facilement dans la pratique éducative quotidienne. Par exemple, les séries de diapos encore fréquemment utilisées pourront être avantageusement remplacées par des images numériques enregistrées sur disque qui permettent une sélection plus rapide, une manipulation à l'écran pour illustrer une modélisation scientifique ou, associées au son, pour réaliser une séquence de présentation. C'est par la conjonction de tous ces efforts que le système éducatif pourra rester en phase avec son temps, c'est à dire avec le développement impétueux des technologies modernes centrées sur l'ordinateur et les multimédias qui deviennent de plus en plus des auxiliaires indispensables pour la plupart des activités intellectuelles. Cependant l'éducation n'échappera pas à une interrogation majeure , celle de la place qui doit être assignée à ces outils nouveaux par rapport à l'objectif essentiel « fixé » au système éducatif, la formation de l'esprit de l'élève. Les facilités d'accès à toutes les facettes de l'information font courir le risque d'une immersion non contrôlée dans une masse de données et ceci au détriment de l'aptitude au raisonnement et au développement de l'esprit critique. L'outil merveilleux progressivement mis à notre disposition doit conserver une place subordonnée, celle qui est justement dévolue à l'outil dans un processus cohérent d'éducation. Victor Marbeau - IGEN honoraire Paru dans la Revue de l'EPI n° 79 de septembre 1995. NOTES [1] Passé, Présent et Futur des Technologies nouvelles en Éducation. CRDP de Poitou Charentes 1992. [2] Utilisation de l'ordinateur dans l'enseignement secondaire. CNDP, Hachette éducation 1993. [3] in 1 déjà cité. [4] L'intégration de l'informatique dans l'enseignement et la formation des enseignants, G.-L. Baron et J. Baudé - Coédition INRP-EPI - 1992, voir le chapitre « Modélisation et simulation ». [5] J.-B Touchard, Multimédia interactif, Édition et production Microsoft, Pressed. [6] Les dossiers de l'ingénierie éducative, CNDP, Québec, 1995. Multimédia. [7] Revue de l'EPI n° 78, p. 35 à 39. [8] cf. rubrique « Documents » de ce numéro EPI. [9] René Meyer. « La vraie nature du retard européen », Revue de l'EPI n° 76, décembre 1994. [10] Mission Académique aux Technologies nouvelles - Académie de Poitiers - n° 9 Fév. 95. ___________________ |