Naissance et développements de l'ingénierie éducative Giorgio Olimpo Nous reproduisons ici, avec l'aimable autorisation de l'auteur, un très large extrait de l'article « naissance et développements de l'ingénierie éducative » paru dans TD - Tecnologie Didattiche (1993). L'ingénierie éducative comme approche systématique aux problèmes de l'éducation On a déjà observé que l'ingénierie éducative a commencé à se développer suivant deux directions parallèles, pas toujours communicantes : 1) science des moyens (à l'époque surtout audiovisuel) utilisés dans la didactique ; 2) application à la didactique des principes de l'instruction programmée, et plus généralement des théories comportementalistes. Nous rapportons ici une brève synthèse des étapes du développement de ces deux lignes comme elle a été proposée dans Ferraris e Olimpo, 1985. L'ingénierie éducative, comme science des moyens, s'est concentrée dans un premier temps sur l'étude des caractéristiques et des possibilités des différents moyens audiovisuels. L'attention se focalisa d'abord sur l'audiovisuel entendu comme instrument (hardware), puis sur le matériel didactique qui y est relié (software) (Dale, 1969). S'en suivit un élargissement du champ d'étude avec les premières formulations des modèles de communication source-récepteur. L'attention qui était initialement concentrée sur la machine, ses caractéristiques, son impact sur les procédés de formation, le rapport entre l'instruction traditionnelle et celle technologique, s'étendit ainsi au processus de communication homme-machine (Berle, 1968). En un troisième stade de développement, il y eut un élargissement du champ et les modèles de communication développés commencèrent à être considérés comme des composants d'un vrai et propre système didactique (Hoban, 1974). La ligne relative au comportementalisme se développa au contraire sur deux fronts en même temps. D'un côté, il y eut une floraison de propositions méthodologiques connectées à la production de cours d'instruction programmée (objectifs comportementaux, analyses des tâches, tests par références standards, systèmes didactiques adaptatifs...). Et d'un autre côté, on s'engagea dans le développement des moyens permettant de gérer non seulement la présentation du matériel, mais aussi son renforcement. Ici, les machines à enseigner cédèrent bien vite le pas à ce qu'on a appelé l'instruction assistée par ordinateur (CAI : Computer Assisted Instruction) et la longue histoire, encore en cours, de la didactique interactive commença. Ces deux lignes commencèrent à converger vers la fin des années 60 quand apparurent les premiers modèles de création de cours entiers non orientés uniquement vers l'instruction programmée (Gagné e Briggs, 1979), (Merril, 1971). [...] Vers la fin des années 60, il y eut donc un premier ajustement du domaine de l'ingénierie éducative : non seulement science des moyens et instruction programmée, mais « application systématique de connaissances scientifiques (au moyen du champ de la psychologie, de la théorie de la communication...) aux devoirs pratiques de l'éducation » (Saettler, 1968). En 1970, le directeur de la Commission Instructional Technology, instituée par le gouvernement fédéral américain, écrivait dans son rapport au Congrès : « ...L'ingénierie éducative, l'approche systématique au projet, au développement, à l'évaluation des processus d'enseignement et d'apprentissage en terme d'objectifs spécifiques basé aussi bien sur les ressources humaines que technologiques, a pour but une instruction plus efficace ». Ce paradigme sera développé et enrichi les années suivantes sans toutefois subir de modifications substantielles. Il est intéressant de citer la définition de l'ingénierie éducative proposée au début des années 80 par l'Association for Educational Communication and Technology (USA) : « l'ingénierie éducative... a comme objet des procédés complexes et intégrés qui impliquent des personnes, des procédures, des idées, des moyens et de l'organisation pour l'analyse des problèmes relatifs à l'apprentissage et pour l'élaboration, la mise en pratique, l'évaluation et le contrôle de solutions à ces problèmes dans des situations dans lesquelles l'apprentissage est finalisé et contrôlé ». Cette attitude a conduit, en des temps assez récents, à la naissance d'une terminologie à saveur technologique (courseware engineering) (Ferraris, Midoro e Olimpo, 1984). Cette terminologie veut souligner le fait que l'approche au développement et à la gestion d'interventions formatives doit être orientée vers l'intégration et l'utilisation coordonnée de connaissances existantes. Elle doit être aussi basée sur la reconnaissance des diverses phases sur lesquelles s'articule le développement d'une intervention formative reconnue dans sa totalité. Il ne s'agit pas de vouloir réduire l'information à un pur fait technologique mais de souligner l'importance pour l'auteur-concepteur d'une structure conceptuelle de référence à l'intérieur de laquelle il faut organiser son travail et sa propre créativité. Aujourd'hui, dans le circuit international, l'ingénierie éducative, entendue comme une approche systématique et multidisciplinaire des problèmes de l'instruction, est un secteur disciplinaire d'importance stratégique pour le développement. Depuis de nombreuses années, dans de nombreux pays, on a mis en chantier des projets spécifiques sur les applications des technologies informatiques à l'éducation et créé des organismes nationaux qui coordonnent l'activité et les recherches dans ce secteur (par exemple : la Grande-Bretagne où est actif depuis le début des années 60 le Council for Education Technology). Il existe dans le monde plus de 50 revues internationales de haut niveau scientifique sur l'ingénierie éducative. La communauté européenne a mis en oeuvre depuis 1988 des programmes de recherche pluriannuels dans ce secteur (Comett, Delta). De nombreuses universités offrent des cours et des post-graduate curricula en Ingénierie éducative. Depuis 1987, à l'université d'Indiana, se déroule chaque année le symposium des professeurs de Instructional Design and Technology qui se réunissent dans le but de promouvoir l'optimalisation des programmes et de diriger la recherche dans ce secteur. L'Italie (dé)mérite une mention particulière pour le peu d'attention que l'ingénierie éducative a reçue et reçoit encore en termes de formation universitaire et de politique de la recherche. Il suffit de considérer que l'Italie est un des rares pays européens et l'unique parmi les pays industrialisés dans lequel, encore aujourd'hui, les universités n'offrent ni curricula ni cours de licence, mais même pas de simples cours en ingénierie éducative. Les technologies pour la didactique L'expression technologies pour la didactique est utilisée ici dans un sens très différent de celui du terme ingénierie éducative. Il se réfère en effet aux technologies utilisées et utilisables dans la didactique et a une connotation surtout technologique, tandis que le terme ingénierie éducative identifie un secteur interdisciplinaire centré sur les procédés didactiques. L'histoire des technologies pour la didactique est, à part une période initiale relativement brève, une histoire de technologie informatique. L'ordinateur a, en effet, remplacé les machines à enseigner en les rendant infiniment plus riches et flexibles. Après les premières tentatives d'intégration multimédia préinformatique (Sanna, Bozzo e Gemma, 1974) il a incorporé, ou il est en train d'incorporer, les moyens audiovisuels comme ses propres périphériques : le secteur de la télématique lui-même se présente de plus en plus comme un chapitre de l'informatique que comme une branche des télécommunications. Nous nous proposons d'exposer ici quelques considérations sur le sens de certains aspects technologiques de l'informatique qui, au fil des années, ont influencé l'ingénierie éducative. Les interfaces homme-machine : des terminaux alphanumériques à la réalité virtuelle Pendant de nombreuses années les interfaces ont été caractérisées par une modalité de type purement textuel, par des langages aux syntaxes rigides, par des éléments de nature technique pas du tout cachés à l'utilisateur. Graduellement, à travers tout une série de passages, on est arrivé aux interfaces modernes basées sur les fenêtres, menus déroulants et icônes évocatives. Aujourd'hui, les interfaces sont en train de devenir également multimédias. L'ordinateur devient ainsi naturel et amical. Il peut présenter également la réalité et non plus ses représentations symboliques ; l'utilisateur n'a plus besoin de connaître de langages élaborés de commandement ; les fonctionnements d'une application deviennent facilement accessibles même à ceux qui n'ont pas de compétences techniques. En plus de la nature des interfaces, les idées relatives aux rôles qu'elles jouent dans les applications didactiques se sont également modifiées. En particulier, la prise de conscience de l'importance des interfaces homme/machine dans la didactique interactive était devenue plus vive. Initialement, on retenait que l'objectif principal d'une bonne interface, était de ne pas contraindre l'élève à se concentrer sur des formats, sur des détails techniques de la communication avec l'ordinateur, mais sur les contenus de l'apprentissage. Une bonne interface pouvait en outre éviter la formation de barrières psychologiques quelquefois insurmontables et constituer un facteur utile de motivation. Aujourd'hui, toutes ces considérations restent valides, mais la fonction qui est attribuée à l'interface est beaucoup plus active. Elle peut et doit participer au processus d'apprentissage et de construction de la connaissance à travers une pluralité de mécanismes (Nicol, 1990) ; elle peut préfigurer et suggérer la structure du savoir dans des territoires encore inconnus de l'élève ; elle peut modeler et faciliter le processus de résolution de problèmes ; elle peut utiliser avec précision le mouvement et l'animation pour représenter des changements d'état ; elle peut faciliter la tâche du néophyte en mettant à sa disposition un patrimoine de connaissances dans le domaine des contenus sous forme d'un ensemble de default. L'interface, dans un milieu didactique interactif, ne peut donc pas être indépendante des contenus mais devient un élément central de l'élaboration de projets didactiques. Nous avons déjà fait allusion aux multimédias qui sont un aspect particulier des interfaces pour lesquelles il existe aujourd'hui un intérêt de plus en plus grand. Nous en parlons ici parce que les multimédias, au point de vue du fonctionnement offert à l'utilisateur, sont surtout une question d'interface. Le monde de l'ingénierie éducative était activement à la recherche des multimédias déjà bien avant que ces multimédias soient praticables du point de vue technologique. Il faut se rappeler qu'au début des années 60, IBM avait réalisé le système 1500, un élaborateur dédié à des applications didactiques, qui prévoyait un poste étudiant constitué par un terminal vidéo intégré à un projecteur d'images à accès facile contrôlé par ordinateur. Dans les mêmes années, Donald Bitzer à l'université d'Illinois, avait réalisé le système PLATO, le plus colossal projet de système d'élaboration dédié à la didactique dont on se souvienne. Ce système prévoyait un terminal multimédia « avant la lettre » basé sur l'utilisation de panneaux à plasma et de projecteurs de micro-fiches. Nombreux furent les projets et les propositions d'intégration de moyens audiovisuels à l'ordinateur, mais aucun n'eut un réel succès jusqu'à l'arrivée des mémoires optiques qui représentèrent un vrai tournant grâce à leur possibilité de réaliser des applications didactiques multimédias. Aujourd'hui que les multimédias s'apprêtent à devenir un standard, déjà on commence à parler de réalité virtuelle et de ses possibles applications didactiques. La réalité virtuelle peut être vue comme le développement extrême des concepts multimédias et d'interfaces amicales. La principale caractéristique du monde virtuel synthétisé par l'ordinateur est en effet de ne pouvoir être distingué, au moins en son principe, du monde réel, non seulement en ce qui concerne ses contenus, mais aussi quant à la richesse des possibilités et des modalités d'interactions. A la différence de ce qui se passe avec les multimédias, il n'est pas réaliste de penser que la réalité virtuelle puisse avoir des retombées didactiques significatives dans un proche avenir. Il est intéressant cependant d'observer que, dans les applications didactiques actuelles et potentielles, soit des multimédias, soit de la réalité virtuelle, on s'aperçoit qu'il y a un lien étroit, ou du moins une affinité, avec les principes du constructivisme relatifs à l'importance du contexte dans l'apprentissage, de sa richesse, de sa signification et de sa possibilité d'assimilation à un contexte réel. Intelligence artificielle : les promesses non tenues des ITS La première entrée de l'intelligence artificielle dans le secteur de la didactique remonte à 1970 avec un article de Carbonell (Carbonell, 1970) qui individualise certaines limites de la traditionnelle Instruction Assistée par Calculateur (CAI) et propose un nouveau type de CAI, appelé intelligent, et sans nul doute déjà orienté dans un sens cognitiviste. En ces vingt dernières années l'intelligence artificielle a beaucoup promis au monde didactique, mais d'un point de vue pratique, a peu tenu ses promesses, exactement comme dans d'autres secteurs d'application de l'Intelligence Artificielle (I.A.). Les deux héritiers de l'intelligence artificielle qui présentent un intérêt didactique sont les systèmes experts et surtout ce qu'on a appelé Systèmes de Tutorat Intelligent (ITS en anglais). Il a été démontré que les programmes didactiques basés sur les systèmes experts ne donnent pas de résultats particulièrement brillants (Alpay, 1989). En effet, ils tendent à adopter la perspective de l'expert et à reproposer, à celui qui apprend, le mode de raisonnement de l'expert. Ils devraient être plutôt considérés comme des auxiliaires de travail, c'est-à-dire comme des instruments de soutien à celui qui doit développer un devoir professionnel déterminé et comme tels ils peuvent être utilisés dans un milieu didactique ; il est clair que dans une logique constructiviste ils peuvent facilement se transformer en auxiliaires de travail et en auxiliaires d'apprentissage. Le débat sur les ITS est différent. Ils naissent d'un des mythes de l'ingénierie éducative les plus tenaces : celui de la machine qui devient précepteur personnel ; et ils naissent également du désir des chercheurs en intelligence artificielle de trouver des applications à leur propre discipline. Scholar, le premier ITS connu dans l'histoire, fut proposé par Carbonell en 1970 (Carbonell, 1970). Depuis lors, les ITS se sont installés solidement en une logique cognitiviste. En effet, déjà dans Scholar, un des modules principaux de l'ITS est le modèle de l'étudiant avec qui l'ITS communique de façon rigoureuse et formelle (même si pas toujours satisfaisante) pour modeler le processus d'apprentissage. Beaucoup d'ITS existants sont cependant des objets pré-constructivistes et se placent dans la logique (a priori pas totalement négative), de transférer une connaissance donnée à l'élève, de la transférer de la meilleure façon possible en respectant et assurant les modalités individuelles d'apprentissage, mais cependant de la transférer en imitant les rapports professeurs-étudiants. En utilisant la technologie d'une époque pré-technologique, ce concept d'ITS basé sur l'émulation imitatrice se ressent de ce qui est un des parcours naturels de l'innovation : les découvertes technologiques sont souvent utilisées en un premier temps pour automatiser ou rendre plus efficace un processus traditionnel visant à atteindre certains objectifs. De nouvelles façons artificielles d'atteindre ces objectifs n'émergent qu'ultérieurement, plus efficaces parce que mieux adaptées à la nature des technologies employées. Ainsi, peut être, tout le travail de recherche sur les ITS pourrait être seulement un premier pas dans la découverte de la potentialité de l'intelligence artificielle en didactique. En ce qui concerne les possibilités pratiques d'emploi des ITS, Romiszowsky écrivait en 1987 : « Les ITS étant super-complexes et super-spécialisés, sont également super-coûteux à développer. Ce fait seul les rendrait inaptes à une utilisation pratique dans le monde de l'éducation, mais en plus, il n'existe en littérature presque aucune évidence que les coûts élevés de développement se traduisent par un quelconque bénéfice. Des quinze ITS (environ) qui, selon la littérature, semblent avoir atteint un stade de développement complet, seulement cinq ont été utilisés régulièrement sur une échelle suffisamment ample et de ceux-ci, il semble que pas un n'ait été systématiquement évalué » (Romiszowsky, 1991). Il convient également de citer Cox : « bien que l'intelligence artificielle soit importante pour notre compréhension de la façon avec laquelle les élèves apprennent, elle est toutefois trop éloignée des curricula et des problèmes de l'école pour pouvoir être utilisée avant au moins une autre génération d'enseignants » (Cox, 1992). Si cette affirmation de Cox, d'un côté, établit la maigre portée pratique des ITS, au moins dans un proche futur, d'un autre côté elle reconnaît l'importance de tout le travail de recherche fait sur les ITS en relation avec l'amplification de nos connaissances. Intelligence artificielle et psychologie cognitive se sont efforcées pendant plus de vingt ans, et s'efforcent encore, de construire des modèles de l'étudiant et de la connaissance toujours plus évolués en relation avec diverses typologies de connaissance et dans divers contextes disciplinaires (Elsom Cook, 1989). Et cette extension de la connaissance aux secteurs des processus cognitifs constitue certainement la contribution la plus importante de l'intelligence artificielle à la didactique. Pour conclure sur ce point, il faut citer un domaine ultérieur d'application de l'intelligence artificielle à la didactique, sur lequel la recherche commence à se pencher. Il s'agit de l'automatisation du développement de matériel de cours par l'utilisation d'instruments intelligents (Spector, Gagné, Muraida e Dimitroff, 1992). La motivation de cette catégorie d'applications dérive des coûts élevés de développement du matériel didactique interactif et du manque de compétence, dans le secteur de l'élaboration de projets didactiques, de beaucoup d'experts en diverses disciplines, auteurs potentiels de matériel de cours. Beaucoup d'attention a été portée à la réalisation de systèmes experts qui incorporent des compétences dérivées de projets didactiques (Duchastel, 1990). La récente présentation d'un système expert pour aider dans le choix de l'instrument de création le mieux adapté aux besoins de l'élaborateur de projet (MacKenzie, 1990) mérite d'être signalée. La dimension hyper : de l'instruction programmée à la navigation dans la connaissance En 1968, furent créés dans les laboratoires de la Brown University, les premiers hypertextes par Andries van Dam. Cependant, pendant presque vingt ans, le terme hypertexte demeura inconnu pour la plupart. C'est seulement à partir de 1986-1987, quand Guide et Hypercard devinrent commercialement disponibles, que la notion d'hypertexte et des applications basées sur l'hypertexte commencèrent à se répandre rapidement. L'hypertexte est un concept de simplicité extrême. Il a eu néanmoins un impact très fort dans le champ de l'éducation et particulièrement de l'ingénierie éducative. Alors que dans le système éducatif très peu s'étaient aventurés à utiliser ce qu'on appelle les systèmes auteurs, peu de temps après l'apparition de l'hypertexte se sont multipliées les expériences d'érudits, d'étudiants et d'auteurs qui produisaient des hypertextes ou, appelant aussi le multimédia à la rescousse, des hypermédias. Ceci est certainement dû à la diffusion des systèmes hypertextes, les différents Hypercard, Guide, Toolbook..., qui sont des instruments à usage général, c'est-à-dire non orientés seulement vers la didactique. Ils ont été diffusés, standardisés et connus comme jamais aucun système auteur ne l'a été. Mais c'est également, ou peut-être surtout, dû à la logique de l'hypertexte profondément différente de celle du système auteur. Le système auteur permet à l'auteur de programmer le parcours de l'étudiant, qui peut en plus être finement ramifié et riche en possibilités. Mais l'étudiant ne peut choisir que seulement un des quelques parcours programmés par l'auteur. Dans la logique de l'hypertexte, au contraire, c'est l'étudiant qui construit le parcours, qui choisit où aller, quels domaines approfondir, où revenir. L'auteur, dans le cas de l'hypertexte, ne projette plus un ensemble de parcours mais projette un réseau de ressources pour l'apprentissage et c'est l'apprenti ou l'étudiant qui définit un parcours sur le réseau. Cette possibilité correspond exactement à la logique constructiviste de l'élaboration de sa propre connaissance. Les connaissances individuelles seront toutes un peu différentes parce que chacun se sera construit des parcours différents et aura visité des noeuds divers du réseau en faisant des expériences diverses dans un ordre différent. Quelques chercheurs, partisans d'un constructivisme-hypertextisme extrême, proposent un scénario entre suggestion et provocation, dans lequel, l'hypertexte s'étant affirmé et étant devenu l'instrument principal de l'apprentissage, disparaîtront programmes d'enseignement et curricula. Chacun naviguant d'hypertexte en hypertexte se construira sa propre éducation et préparation professionnelle selon ses propres intérêts, ses propres caractéristiques individuelles et ses propres besoins de connaissance. En réalité, il a été démontré qu'une logique purement hypertextuelle a pour limite d'abandonner à lui-même celui qui n'a pas de maturité suffisante, de connaissances disciplinaires suffisantes et de capacités cognitives suffisantes pour se construire une structure conceptuelle adéquate dans le cours du processus de navigation. (Frau, Midoro e Pedemonte, 1922). Pour confirmer ceci, il faut dire que quelques développements du constructivisme parmi les plus récents, comme la théorie de la flexibilité cognitive déjà citée, quand ils font référence au processus de construction de la connaissance à travers la navigation hypertextuelle, déclarent explicitement se référer à l'acquisition de connaissances avancées (« post introductory ») (Spiro, Feltovich, Jacobson e Coulson, 1991). La dimension télé : des systèmes en temps partagé aux réseaux de calculateurs La télématique, vue dans ses aspects d'accès aux informations et ressources lointaines et d'interactivité à distance, est considérée aujourd'hui comme un des secteurs technologiques potentiellement les plus significatifs en ce qui concerne les processus d'apprentissage. Alors qu'à l'époque on ne parlait pas encore de télématique, la dimension télématique fut une composante essentielle des premiers systèmes d'élaboration en temps partagé. Dans la seconde moitié des années 70, est apparu l'ordinateur personnel ; on reconnut tout l'intérêt pour l'apprenti d'être autonome dans la gestion de ses propres ressources de calcul et de ne pas avoir à recourir aux télécommunications, à l'époque considérées comme coûteuses et non fiables. Dans les années 80 enfin, éclata le phénomène de la télématique et des réseaux de calculateurs et, graduellement, on reconnut toute l'importance de faire partie d'un réseau local et géographique, pour partager les ressources, pour communiquer et pour collaborer. Ces dernières années, les principaux réseaux géographiques existants se sont développés jusqu'à pouvoir communiquer facilement entre eux et former désormais une trame capillaire sur laquelle est distribué et rendu accessible un formidable potentiel de ressources humaines et informatives. Toute une série de services télématiques d'intérêt didactique est rendue disponible : courrier électronique, catalogue, nouvelles, B.B.S., pour ne citer que les instruments d'utilisation non spécialisés. Étudiants et professeurs peuvent se livrer à des activités avec d'autres étudiants éloignés dans le même pays ou dans d'autres pays, faire des investigations sur des phénomènes globaux, obtenir et partager des informations et des ressources lointaines, construire leurs propres connaissances en une dimension non plus locale mais virtuellement planétaire et découvrir que certains problèmes peuvent être mieux résolus en travaillant ensemble. Apprentissage à distance, apprentissage ouvert, apprentissage collaboratif sont des concepts nés à des époques certainement pré-télématiques. Ils peuvent cependant trouver dans la télématique la base pour des enrichissements et développements de type nouveau liés à la possibilité d'avoir à leur disposition des ressources informatives et humaines éloignées et d'opérer dans le sein de groupes virtuels constitués d'individus, étudiants ou instructeurs, qui interagissent à distance. Les affinités et les liens entre ces possibilités technologiques et les aspects du constructivisme relatifs à l'apprentissage collaboratif sont évidents. Aujourd'hui, l'intérêt de la didactique pour la télématique est en fort accroissement. Les expérimentations se multiplient (Educational Technology Anthology Series, 1991) et la recherche est très active pour individualiser des paradigmes de coopération, évaluer des stratégies d'apprentissage coopératif, mettre en évidence les valeurs impliquées dans des expériences spécifiques et effectuer des comparaisons cognitives et socio-affectives (Riel, 1990). Le secteur caractérisé par une grande dynamique et par des innovations didactiques majeures est celui de la télématique dite pauvre, celle en effet qui demande seulement un ordinateur personnel et un modem, sans ambitions de transmission à larges bandes ou de multimédia interactive. Paradoxalement, en milieu international, la plupart des recherches technologiquement les plus exigeantes, basées sur des lignes à haute vélocité et utilisation de satellites, sont les plus pauvres au point de vue didactique. Conclusions Nous avons examiné, même si c'est d'une façon un peu sommaire et schématique, divers aspects de la dynamique temporelle de l'ingénierie éducative : l'évolution des modèles cognitifs depuis le comportementalisme jusqu'au constructivisme, l'importance accrue d'une conception de l'ingénierie éducative orientée dans un sens multidisciplinaire et systématique et la transformation du sens didactique de certains aspects des technologies informatiques. Cela vaut la peine, même brièvement, de se demander si tout cela est dans la pratique courante ou reste encore un discours académique. Quand, où, et par qui est pratiquée, ou non pratiquée, l'ingénierie éducative. Dans l'école italienne, nonobstant de tardifs et peu incisifs plans nationaux pour l'informatique à l'école et nonobstant certaines expériences limitées et assez peu généralisables, l'ingénierie éducative reste encore au niveau des débats théoriques (Ferraris, 1993). Ceci n'est d'ailleurs pas seulement un fait typiquement italien, même si en Italie il est particulièrement marqué. Dans tous les pays, dans des mesures différentes, il existe une forte séparation entre théorie et pratique. Malgré les recherches et les développements dans le secteur de l'ingénierie éducative, son utilisation effective à l'école ne connaît pas un processus correspondant d'accroissement pour différentes raisons (Hannafin, 1991) qui sont :
La formation dans les agences et dans les organismes publics, en Italie aussi, utilise de plus en plus l'ingénierie éducative. Cependant les changements effectifs conceptuels que l'on a pu observer dans les trente dernières années sont assez peu nombreux. En effet, alors que l'on a revisité des modèles et des méthodologies traditionnelles d'élaboration de projets de systèmes didactiques en utilisant les technologies modernes, on n'a pas remis en discussion les bases théoriques de ces modèles. Une partie de la recherche, pas toute heureusement, n'affronte pas les problèmes réels du monde de l'éducation et de la formation. Nous avons déjà cité le cas de l'Intelligence Artificielle qui, même dans l'intérêt scientifique de beaucoup de ses recherches, ne promet pas de résultats applicables à bref ou moyen terme en éducation. Quelquefois, le champ de l'ingénierie éducative est menacé par les visionnaires des technologies avancées qui proposent des scénarios enthousiasmants (ou inquiétants selon les points de vue), mais n'ont pas démontré qu'ils savent résoudre les problèmes d'apprentissage. Ici, il convient de citer également les projets de recherche communautaire, DELTA en premier lieu, qui nous proposent une recherche orientée dans un sens éminemment technologique, mais peu coopératif ou peu sensible à la dimension éducative. Le marché du logiciel éducatif, au moins dans certains pays, s'est déjà développé. Aux USA, il y a douze compagnies avec plus de mille adhérents qui développent des systèmes d'ordinateurs en réseau offrant des logiciels éducatifs complets pour différentes disciplines (lecture, mathématiques, langues étrangères, arts) et pour différents niveaux scolaires. En Italie, après la flambée d'enthousiasme (modéré) des éditeurs en 1985-86 et après la faillite substantielle du phénomène logiciel éducatif à l'école, le marché est pratiquement bloqué. Par an, il y a plus de symposia italiens sur les multimédias que de produits multimédias significatifs développés et commercialisés. On ne veut en aucune façon dédaigner les nombreuses réalisations qui existent aujourd'hui, quelques-unes extrêmement significatives. On veut au contraire souligner la distance, plus ou moins grande suivant les cas, entre la théorie et son application pratique, entre les solutions technologiques proposées et les problématiques éducatives existantes, entre les orientations de la recherche et les exigences réelles des différents contextes formatifs. C'est donc le moment de concentrer les efforts sur la concrétisation des problèmes didactiques et sur des projets qui tiennent compte de la totalité des situations d'apprentissage, le moment de donner des réponses spécifiques à des problèmes spécifiques de la didactique en utilisant le vaste patrimoine de savoir-faire technique et de technologies aujourd'hui disponibles. Giorgio Olimpo Paru dans la Revue de l'EPI n° 74 de juin 1994. ___________________ |