Informatique et autonomie dans
l'apprentissage des langues étrangères

 
Conférence tenue au congrès national de l'association LEND (Lingua E Nuova Didattica)

« Per un'autonomia nell'apprendimento linguistico »

(Montecatini, Italie, octobre 1992)

François Mangenot
 

     Le concept d'autonomie sera pris ici dans quatre acceptions différentes :

  • l'autonomie physique (possibilité pour l'élève d'apprendre suivant d'autres modèles que la classique interaction professeur/apprenant),

  • l'autonomie sociale (apprendre en interaction avec un groupe),

  • l'autonomie linguistique (apprendre la langue pour faire autre chose avec),

  • l'autonomie cognitive (apprendre à apprendre).

     Ces différentes formes d'autonomie ne sont naturellement pas antagonistes : on aura l'occasion de voir qu'une même activité peut parfois impliquer un travail de groupe sur une tâche transdisciplinaire de haut niveau cognitif.

1. INFORMATIQUE ET AUTONOMIE PHYSIQUE

     Il s'agit là de la définition minimale de l'autonomie : l'étudiant travaille hors de la présence de l'enseignant, ou du moins suivant un modèle d'interaction qui n'est pas du type élèves/professeur.

     À première vue, c'est dans ce domaine que l'ordinateur devrait apporter le plus :

  • le temps à la disposition de la classe de langue est multiplié par le nombre d'ordinateurs : au lieu d'une interaction entre le professeur et les 4 ou 5 élèves actifs d'une classe, on aura x interactions ;

  • il permet aux élèves de travailler à leur rythme, indépendamment des autres, tous étant actifs grâce aux sollicitations de la machine ;

  • on observe souvent une grande motivation (due sans doute à la dédramatisation de l'erreur et à la modification du rapport enseignant/élèves plutôt qu'à l'attrait du média nouveau) ;

  • on peut même imaginer que soient respectés les différents styles d'apprentissage (à la double condition de disposer d'un enseignant capable de repérer ces styles chez les élèves et d'une palette suffisamment variée d'outils logiciels) ;

  • dans le cas d'un libre accès hors de la présence du professeur, les étudiants se voient « offrir » des heures en plus par rapport au contrat d'apprentissage (ces heures étant placées au moment où l'élève le souhaite : il s'agit bien là d'une forme d'autonomie).

     Cependant, ce qui peut sembler être le nec plus ultra de la non-directivité se retourne parfois en son contraire. Dans le cas des logiciels tutoriels, le professeur, absent physiquement ou à l'autre bout de la classe, est en fait présent dans la machine (sans la finesse de l'analyse de réponse humaine). Si toute la classe est occupée au même moment à faire le même exercice, l'avantage par rapport au traditionnel cahier d'exercices est inexistant.

     Certains logiciels sont bien utilisables dans ce contexte où l'on cherche surtout à ce que l'apprenant travaille par lui-même : les closures et les manipulations de textes (remise en ordre de mots, de phrases, de paragraphes) ; ces activités obligent les élèves à se livrer à des hypothèses sur le sens, à observer la langue ; de plus, ces produits sont en général ouverts, l'enseignant pouvant y mettre les textes de son choix, adaptés à ses élèves. Le logiciel Elmo International [1] et certains produits des Eurocentres appartiennent à cette famille. Un petit logiciel fermé, D'un proverbe à l'autre [2], fait travailler sur un corpus de proverbes français.

     Dans tous ces exercices, une analyse de réponse de type vrai/faux est acceptable, étant donné qu'il s'agit de retrouver un texte authentique caché ou mélangé, et non de répondre à des questions.

     D'autres logiciels, utilisant une carte vocale, se différencient des tutoriels en ce qu'ils se contentent généralement d'offrir une série d'outils à l'apprenant : écoute d'un texte de 2 à 3 mn guidée par une grille d'écoute dans le cas du logiciel Écholangues, gestion du son et de l'image dans le cas de Labo [3].

     Voici une description sommaire de ce dernier produit qui, à première vue, pourrait faire penser aux laboratoires de langue tombés en désuétude, mais qui, en fait, est plus souple et plus communicatif : l'élève écoute tout d'abord un dialogue d'une trentaine de secondes ; il a une image fixe sous les yeux (sur l'écran de l'ordinateur), ce qui lui permet de bien repérer la situation de communication. Il peut réécouter le dialogue autant de fois qu'il le veut et en lire la transcription, tout cela en cliquant avec la souris. Il se voit ensuite proposer une gamme d'exercices, qu'il peut exécuter dans l'ordre qui lui plaît.

     Les exercices consistent en une phrase de départ que l'élève écoute et sur laquelle il doit réagir ; cela peut être une question, une transformation à effectuer ou même une simple répétition. L'élève enregistre sa réponse à l'aide d'un microphone et se trouve ensuite devant une espèce de tableau de commandes lui permettant, en « cliquant » simplement, de réécouter la phrase de départ, de réécouter sa réponse, d'écouter la réponse correcte, de voir la transcription de la phrase de départ et de la réponse correcte, d'écouter et/ou de voir une aide (qui peut être d'ordre grammatical, lexical ou civilisationnel) et enfin de recommencer son enregistrement autant de fois qu'il le souhaite [4].

     Chacune de ces actions est banale en soi, c'est le fait de pouvoir jongler avec toutes ces possibilités dans n'importe quel ordre et avec un résultat immédiat qui donne son autonomie à l'apprenant : le « type visuel » qui n'aura pas bien compris la question demandera à la visualiser, le « type auditif » la réécoutera plusieurs fois de suite, le « perfectionniste » reprendra dix fois son enregistrement, jusqu'à ce qu'il lui semble proche de celui du locuteur natif. Les élèves les plus faibles pourront bénéficier du soutien de l'enseignant, tandis que les autres se débrouilleront tout seuls.

     En conclusion sur cette première forme d'autonomie, je dirai qu'une salle informatique, aussi bien équipée soit-elle, ne peut pas garantir un apprentissage linguistique. Le rôle de l'enseignant, qui choisit les logiciels, qui les intègre à sa pédagogie (c'est à dire qui prépare la séance sur ordinateurs et qui en assure le suivi), qui donne les consignes et qui évalue le travail final, demeure fondamental.

2. INFORMATIQUE ET AUTONOMIE SOCIALE

     Gilbert Dalgalian constate que « le travail de groupe contraint les élèves à organiser eux-mêmes leur travail [...] sur des tâches à court terme et favorise ainsi l'apprentissage de l'autonomie ». De plus « chaque membre du groupe est personne ressource pour tous les autres, y compris au plan de la production et de la correction orales et écrites, ce qui représente une bonne façon d'amener les élèves à recourir à d'autres formes de savoir que le professeur de langue » [5].

     Or, dans la situation la plus courante qui se présente au niveau de l'enseignement secondaire, une séance sur ordinateurs implique un travail par groupes de 2 ou 3, le nombre de machines étant inférieur au nombre d'élèves. Si l'on utilise des logiciels tutoriels, il s'agit plutôt d'un inconvénient : un élève aura fini de lire l'écran d'information et devra attendre ses camarades plus lents que lui, ce seront toujours les mêmes élèves qui trouveront les réponses attendues par la machine.

     Mais ne peut-on pas, en choisissant d'autres types de tâches, retourner cet inconvénient en avantage ? Essayons de donner des exemples :

  • un des intérêts que tout le monde reconnaît au traitement de texte est justement de permettre une écriture collective : le texte peut facilement être lu par deux ou trois élèves à la fois, il apparaît comme une matière plastique sujette à toutes les révisions, toutes les réécritures [6]. L'affichage sur un écran, d'autre part, permet une prise de distance par rapport à ce qu'on écrit, ce qui est attesté par de nombreuses publications [7]. Un dernier avantage du traitement de texte est qu'il permet, grâce à l'impression ou même au transfert de fichiers, une socialisation des écrits : une écriture à vide, destinée au seul professeur, est tellement frustrante pour les enfants !

  • au delà du traitement de texte, mais utilisant certaines de ses fonctions, existent quelques logiciels dans lesquels un groupe d'élèves construit une simulation destinée à d'autres groupes : on peut citer Saga, ou encore Pour Écrire un Mot [8].

  • Écritures Automatiques, dont j'ai déjà rendu compte dans d'autres articles [9], est un logiciel de simulation linguistique, dans lequel la collaboration joue également un grand rôle. J'ajouterai simplement un point concernant le travail de groupe et la correction collective des erreurs : imaginons qu'un verbe ait été mal classé ou mal orthographié : « pensent », par exemple, a été mis dans les verbes au singulier. À un moment ou à un autre, apparaîtra une erreur, un sujet singulier avec un verbe pluriel, comme *cet homme pensent aux jeunes femmes allongées. Sur les 2 ou 3 élèves présents devant l'ordinateur, il y en aura probablement au moins un qui remarquera cette erreur. L'ordinateur ne pouvant pas se tromper (sur un plan morphosyntaxique), la cause devra être recherchée en allant regarder le lexique structuré. On a là un exemple de résolution de problème effectuée de façon collective.

3. L'AUTONOMIE LINGUISTIQUE OU LA TRANSDISCIPLINARITÉ

     C'est encore Gilbert Dalgalian qui définit ce terme comme « l'usage de la langue non maternelle hors du cours de langue. [...] C'est faire quelque chose avec cette langue, c'est à dire ne pas l'étudier pour elle-même : c'est réaliser grâce à elle des activités cognitives » [10]. Selon Dalgalian, si on utilise la langue étudiée pour avoir accès à d'autres savoirs (histoire, par exemple), « la langue devient alors plus un instrument d'autonomie qu'un instrument de travail ».

     Or peut-être l'ordinateur pourrait-il servir de « trait d'union entre les disciplines », selon une formule empruntée à une enseignante de technologie de Pavie, Franca Bottaro, qui, lors d'une table ronde que j'avais organisée à Expolingue, à Milan [11], nous a fait part de ses pratiques, en « co-présence » avec les enseignants de français, d'anglais, d'italien et de dessin, à partir de logiciels français.

     J'imaginerais pour ma part très bien l'utilisation d'un logiciel d'histoire, J'ai vécu au dix-huitième siècle, édité par le CNDP, avec des élèves d'un bon niveau linguistique. Il s'agit pour l'élève de s'identifier avec un personnage de cette époque, de le définir, de décrire sa vie, en se basant sur une banque de 1 000 documents, certains d'époque, d'autres écrits par des historiens contemporains. Le logiciel fournit automatiquement la liste des documents pertinents quant à tel ou tel aspect de la vie du personnage et quant à sa position sociale. L'élève peut prendre des phrases dans ces documents et les intégrer à son propre texte : il s'agit de lire pour écrire.

     Un autre emploi transdisciplinaire consisterait à utiliser, dans un lycée technique, des logiciels français de simulation économique ; je pense, par exemple, au Roi des pommes, toujours du CNDP, utilisé en France pour l'initiation à l'économie. Les élèves doivent acheter fruits et légumes au marché de gros pour ensuite les revendre au détail en dégageant les meilleures marges bénéficiaires possibles. L'ordinateur permet à tout moment de voir le résultat des décisions prises et de le comparer au meilleur résultat possible.

     Pourquoi les professeurs d'histoire et d'économie n'utiliseraient-ils pas ces deux outils, réalisant le double objectif de faire réfléchir sur leur matière, bien sûr, mais aussi de faire pratiquer le français dans une situation de recherche ? Les élèves pourraient traduire ce que le professeur ne comprendrait pas (linguistiquement), ce qui ne manquerait pas de leur être profitable suivant le principe, dont je parlais tout à l'heure, que l'on apprend en enseignant.

4. L'AUTONOMIE COGNITIVE OU LA CONSTRUCTION DES SAVOIRS

     J'ai gardé ce type d'autonomie pour la bonne fin, car c'est le plus complexe, c'est là aussi que l'ordinateur peut être capable du meilleur comme du pire.

     Le paradoxe s'énonce : « comment apprendre à penser avec des machines qui ne pensent pas ? » comme l'écrit Monique Linard, professeur en sciences de l'éducation [12].

     L'ordinateur traite essentiellement l'écrit : or l'écrit en soi possède des vertus cognitives que n'a pas l'oral, et c'est sans doute une des raisons pour lesquelles il est en train de faire un retour en force dans la Didactique des Langues.

     Je citerai à ce sujet un Inspecteur Général d'anglais, M. Dieuzaide :

« Quand j'examine les logiciels destinés aux classes de langues, je suis étonné de voir qu'il n'y figure que très peu de jeux linguistiques. Pour bien assimiler une langue, il faut la manoeuvrer dans tous les sens, la manipuler, la malaxer. » [13]

     Écritures Automatiques, déjà cité, fait partie de ces jeux permettant de prendre conscience de certains phénomènes linguistiques. Je me contenterai d'un simple exemple : ce logiciel classe les verbes en transitifs et intransitifs ; le verbe « siffler » avait été mis dans la première catégorie par des étudiants non francophones. Survient la phrase : « un lapin siffle une fondue savoyarde » ; fallait-il la rejeter comme dénuée de sens ? Avait-on inventé un nouveau genre musical ? Ou bien pouvait-on prendre « siffler » dans son acception familière (que mes étudiants ne connaissaient pas) signifiant « avaler d'un trait » ?

     Plus sérieusement, certaines équipes, comme celle du CREDIF, se sont penchés sur les outils informatiques de lecture : le Lecticiel a pour objectif de faciliter l'approche de textes longs de français de spécialité. Ses auteurs, Lehmann, de Margerie et Pelfrêne, constatent, à la suite de beaucoup d'autres, que lire, c'est construire du sens. Je les cite :

« Ce sens, où le prendre ? À n'en pas douter, dans l'environnement proche des mots, dans leur enchaînement [...] en somme dans une quête d'indices et de combinatoires possibles. De ce point de vue, la lecture est bien plus affaire d'anticipations, de va-et-vient, d'hypothèses, de reconstruction, de calculs, de recherche d'indices que de consommation linéaire du texte. »

     Et à propos de la lecture en langue étrangère :

« Là, plus qu'ailleurs, on peut mesurer combien une lecture linéaire peut vite devenir paralysante. Un lecteur, débutant ou faux-débutant, court le risque d'accumuler dès les premières lignes une telle quantité de difficultés linguistiques, qu'il sera bien en peine de faire la moindre hypothèse sur la signification de ce qu'il est en train de lire. [...]
« Il est entendu que cette sorte de compréhension globale ne peut être une fin en soi. Mais outre le fait qu'elle peut aussi correspondre à de véritables objectifs sociaux de lecture, elle est un moyen privilégié de développer des stratégies autonomisantes (et rassurantes) dans l'apprentissage de la lecture en Langue étrangère. »
 [14]

     Avec le Lecticiel, l'étudiant part donc de la recherche d'indices, il peut visualiser le découpage du texte sous forme graphique, en voir le plan suivant différents niveaux de profondeur, obtenir immédiatement un index hiérarchique des formes, etc.

     Je vais prendre l'exemple d'un texte intitulé « Réveiller l'administration ». Le plan en est très clair : deux parties, « Moderniser l'état : plus qu'une obligation, une ambition » et « un projet pour une ambition ». Si j'observe le début des trois premières sous-parties, l'objectif de ce texte m'apparaît clairement, à la lumière des moyens rhétoriques employés :

  • Six raisons qui obligent l'administration à se rénover

  • Trois atouts pour moderniser

  • Cinq clés pour réussir.

     Grâce à l'index hiérarchique des formes, je repère que le mot « acteurs » revient six fois : parle-t-on de théâtre ?

     La fonction Contextes d'un mot m'indique tout de suite qu'il n'en est rien :

« le jeu de ses acteurs économiques et sociaux »
« distribuer les rôles entre acteurs publics et privés »
« qui fait des États les acteurs mêmes de la compétition économique »
« une responsabilité accrue des acteurs de la Fonction Publique »
« à des acteurs de statut privé à but lucratif »
« aux acteurs sociaux publics et privés ».

     À travers ces six contextes, je peux déjà me faire une idée assez précise du contenu du texte, sans avoir buté sur de grandes difficultés linguistiques.

     En ce qui concerne l'écriture, enfin, les américains se sont ingéniés à associer au traitement de texte toute une série d'outils (comme dans Writer's Helper [15]) destinés à soulager la tâche, cognitivement très lourde, on le sait, de l'apprenti-scripteur. A leur suite, une équipe italienne du Consiglio Nazionale delle Ricerche de Gênes vient de publier un logiciel, Wordprof [16], aux fonctionnalités encore plus nombreuses. Wordprof offre un « environnement d'écriture » : un traitement de texte, bien sûr, mais également des outils d'analyse du texte en cours d'écriture (index des mots utilisés, repérage des répétitions, etc.), une bibliothèque de petits textes déjà rédigés correspondant à diverses situations de communication, et enfin une palette d'exercices et de jeux destinés à développer les compétences scripturales des élèves. Les auteurs expliquent ainsi leurs objectifs :

« L'étudiant peut se déplacer en toute liberté entre les outils propres au traitement de texte et les outils didactiques. Notre souhait était d'intégrer à l'outil qu'est l'ordinateur les composantes d'une didactique de l'écriture, sans toutefois fixer à l'avance une stratégie d'utilisation. Les stratégies sont en effet multiples, et c'est au professeur, compte tenu de la situation, ou même, pourquoi pas, à l'apprenant lui-même, selon ses besoins, de décider laquelle choisir. »

     Je précise que Wordprof a été conçu pour l'italien langue maternelle, mais que son utilisation en langue étrangère ne me semblerait nullement absurde.

     J'aurais aimé avoir encore le temps de parler un peu des hypertextes et de l'autonomie cognitive qu'ils favorisent. Je vous dirai simplement avoir été fasciné par un hypertexte de philosophie, Connexions (Hatier), destiné à la révision du programme du bac : j'ai trouvé extrêmement agréable le fait de pouvoir me promener à ma guise au fil des concepts, revoyant ainsi toute une série de notions que j'avais oubliées.

CONCLUSION

     Pour conclure, imaginons le rêve que pourrait faire un professeur de langue réellement convaincu de l'efficacité des apprentissages autonomes.

     Il se trouverait au milieu d'un lieu d'apprentissage (c'est volontairement que je ne parle pas de salle de classe) équipée d'une bibliothèque, d'un ou deux magnétoscopes, d'un camescope, d'ordinateurs munis d'une carte vocale, d'un présentoir proposant divers matériels authentiques italiens et français sur support papier.

     Les élèves seraient répartis en petits groupes de 3 ou 4 avec des tâches bien précises à réaliser.

     Un groupe serait occupé à développer ses capacités de compréhension globale avec un logiciel de type Écholangues (écoute d'un texte à partir d'une grille d'écoute).

     Un autre travaillerait sur la production orale, à partir de situations de communications bien identifiées grâce à l'image (fixe) sur l'écran de l'ordinateur ; les voix seraient enregistrées, puis comparées à celle du locuteur natif ; en cas de doute, on ferait appel au professeur qui aiderait les élèves à mieux remarquer la différence entre leur production et la prononciation idéale.

     Un troisième groupe serait en train d'écrire, sur traitement de texte, le scénario destiné au tournage d'une séquence vidéo lors d'une prochaine séance. Là aussi, l'enseignant serait souvent sollicité pour donner son avis sur telle ou telle réalisation linguistique.

     Un groupe filmerait le scénario, destiné à une vidéo-correspondance, écrit lors d'une séance précédente (peut-être en extérieur, si le règlement le permet, mais ne sommes-nous pas dans un rêve ?).

     Un cinquième groupe se livrerait à la lecture (ou plutôt à l'exploration) d'un texte long de français de spécialité avec le Lecticiel. Si nos élèves appartiennent à un lycée technique, le texte choisi serait naturellement en relation avec les autres matières étudiées, l'économie, par exemple.

     Un sixième groupe développerait ses capacités en français écrit à partir d'un environnement d'écriture comme Wordprof.

     Un dernier groupe, enfin, serait occupé à des jeux ou à des simulations linguistiques permettant, de façon ludique, de prendre conscience de certains mécanismes de la langue.

     Certains vont dire que je suis dans une utopie complète, utopie techniciste, qui pis est.

     Que l'on me permette de répondre par trois remarques qui cloront mon propos :

  • tous les matériels et logiciels que je cite existent et ne coûtent pas excessivement cher ; le gaspillage consistant à faire étudier des langues étrangères pendant des années à des élèves qui ensuite ne les maîtrisent pas n'est-il pas bien plus coûteux ? C'est volontairement que je n'ai pas connecté le magnétoscope à l'ordinateur ou parlé de vidéodisque : ces appareils-là coûtent effectivement encore trop cher pour le système éducatif.

  • à aucun moment, dans mon utopie, les machines ne remplacent l'enseignant : je n'ai pas cité un seul logiciel tutoriel. Le rôle du professeur reste central : c'est lui qui organise les apprentissages, qui supervise le travail des groupes, qui, après une première phase d'auto-évaluation au sein des groupes, procède à l'évaluation finale des productions.

  • l'enseignant, selon deux formules que j'emprunte l'une à Francis Carton (CRAPEL, Nancy), l'autre à Gilbert Dalgalian, se retrouve dans le rôle de « conseiller en autonomie » et d'« ingénieur des apprentissages ». L'ordinateur, dans ces conditions, peut être vu par les enseignants comme une « extension de leur cerveau » (comme l'a dit Umberto Eco), de leur professionnalité, par les apprenants comme un outil les aidant à mieux maîtriser leur autonomie.

François Mangenot
IUFM de Lyon

Paru dans la  Revue de l'EPI  n° 73 de mars 1994.
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NOTES

[1] Association Française pour la Lecture, Paris.

[2] Éditeur: CNDP.

[3] Éditeur : JERIKO, Paris.

[4] Un exemple d'exercice : un travail sur les réponses emphatiques « j'adore » et « j'ai horreur de » ; la phrase de départ consiste en une proposition d'aller boire ou manger quelque chose: « on va manger des frites ? », la réponse attendue est soit « oh oui, j'adore les frites! », soit « oh non, j'ai horreur des frites ! » (la réponse correcte enregistrée comporte naturellement les deux possibilités) ; l'aide explique le phénomène de la contraction et la construction de « aimer », « adorer » avec l'article défini ; à noter qu'un acte de parole analogue se trouvait dans le dialogue de départ, dont les protagonistes étaient bien définis socialement (grâce à l'image).

[5] In DALGALIAN G., LIEUTAUD S., WEISS F. (1981). Pour un nouvel enseignement des langues et une nouvelle formation des enseignants, PARIS CLE INTERNATIONAL.

[6] Voir, par exemple, « Text production in the foreign language classroom and the word processor » (revue SYSTEM, Vol.18, n° 3, 1990) où Dam, Legenhausen et Wolff soulignent que l'écran assure à tous les membres du groupe un accès aisé au texte et leur fournit un point de référence central (« central physical focussing point ») facilitant les interactions entre les élèves.

[7] Cf. notamment Écriture, informatique, pédagogies, CNDP, 1990.

[8] Cf. Mangenot F., « Écriture créative assistée par ordinateur », Bulletin de l'EPI n° 67 (sept. 92). Saga n'est actuellement plus disponible en France, Nathan ayant malheureusement stoppé sa diffusion. Pour écrire un mot est diffusé par le CIEP de Sèvres.

[9] cf. op. cit. note 7, ainsi que : Mangenot F., « Deux logiciels complémentaires : Écholangues et Écritures automatiques, scénario pédagogique d'intégration en classe d'anglais », Bulletin de l'EPI n° 62 (juin 91).

[10] Cité par Bernard André (1992) in De l'autonomisation à l'autonomie en didactique des langues non maternelles, numéro spécial Recherches et Applications de la revue Le Français dans le Monde, « Les auto-apprentissages », février-mars 1992.

[11] Un compte-rendu de cette table ronde se trouve dans La Lettre du Bureau Linguistique de septembre 1992 (publication du Bureau de Coopération Linguistique et Éducative de l'Ambassade de France en Italie).

[12] Des machines et des hommes. Apprendre avec les nouvelles technologies, Éditions Universitaires, PARIS (1990).

[13] In Éducation et Informatique (revue aujourd'hui disparue) n° 43, février 1988 consacré à L'enseignement des langues.

[14] DE MARGERIE C., PELFRENE A. (1992) « L'ordinateur, un outil pour apprendre à lire », Revue IDIOMAS.

[15] WRESCH W. (1988), Writer's Helper, Stage II, CONDUIT, University of Iowa.

[16] Istituto per le Tecnologie Didattiche (ITD-CNR), Via de Marini 6, 16149 GENES. Ce logiciel est en cours d'adaptation pour la langue française (CNDP).

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