Modèles systémiques de simulation et intelligence artificielle
au service de l'apprentissage en géographie :
le projet SHIVA-Géographe 
[1]

Maryvonne Le Berre
 

Résumé : Le projet SHIVA-Géographe tend à proposer aux étudiants de DEUG, un outil pédagogique qui, à chaque pas du processus de l'apprentissage géographique, favorise créativité et réflexion. Dans ce but, un modèle de simulation systémique a été construit pour servir de support à la compréhension de l'objet d'étude. Quant au processus d'apprentissage, il repose sur les moyens de l'intelligence artificielle. C'est ce dernier qui doit être testé en fonction des exigences de l'enseignement d'une part et en fonction des réactions des étudiants en situation d'apprentissage d'autre part. Le texte qui suit présente successivement le problème géographique choisi pour réaliser cette expérimentation (problème de géographie globale : l'approvisionnement en eau de l'agglomération niçoise), l'architecture générale de l'atelier de génie didactiel avancé SHIVA (environnement multimédia, unités pédagogiques reliées dans un réseau sémantique, système d'apprentissage « intelligent ») et quelques-unes des difficultés rencontrées dans la construction, non encore achevée, de ce didacticiel.

Mots-clefs : Didacticiel, géographie globale, intelligence artificielle, modèle de simulation , réseau sémantique, systémique.
 

     Le projet SHIVA-Géographe tend à proposer aux étudiants de DEUG de Géographie, grâce à l'utilisation de l'atelier de génie didacticiel avancé SHIVA, un outil pédagogique qui, à chaque pas du processus de l'apprentissage géographique, favorise créativité et réflexion. Dans ce but, un modèle de simulation systémique a été construit pour servir de support à la compréhension de l'objet d'étude. Quant au processus d'apprentissage, il repose sur les moyens de l'intelligence artificielle.

     Les recherches entreprises visent alors à expliciter les rapports entre les contraintes liées à cette spécificité du processus d'apprentissage et l'analyse didactique. Ce travail d'expérimentation devrait fournir des éléments pour une évaluation didactique et épistémologique des effets de SHIVA sur la nature de la connaissance objet de l'enseignement. Il s'agit donc d'éclairer les problèmes posés par l'usage de nouvelles technologies pour l'enseignement, qu'ils se manifestent lors de l'élaboration d'un didacticiel ou pendant son utilisation.

1. LE PROBLÈME GÉOGRAPHIQUE, OBJET DE L'ENSEIGNEMENT

     Le thème géographique retenu pour expérimenter SHIVA concerne un domaine de connaissance lié à un problème d'aménagement : l'étude, dans le temps, du comportement d'une nappe phréatique, celle de la basse plaine du Var qui sert à l'approvisionnement en eau de l'agglomération niçoise.

1.1. Le fonctionnement naturel

     Jusque dans les années 50, le Var a subi peu d'influences anthropiques. Le matériel alluvial de la basse plaine, d'une épaisseur de 20 à 40 mètres, sert de réceptacle à une nappe d'eau dans laquelle sont opérés des pompages pour l'approvisionnement de la ville et l'irrigation des cultures florales et maraîchères. Ces prélèvements modérés ne perturbent guère l'équilibre hydrologique naturel.

     Le fonctionnement naturel de cette nappe est complexe. Elle est alimentée par les pluies, le fleuve et les sources situées sur les versants des collines qui bordent la plaine ; elle est drainée par le fleuve et les sources. Son régime est très fortement corrélé à l'écoulement dans le fleuve, lui-même influencé par les phénomènes climatiques et hydro-géologiques qui se déroulent dans son bassin-versant :

  • pluies de type méditerranéen à deux maxima, l'un très fort en automne, l'autre plus faible au printemps, et minimum en été ;

  • chutes de neige, abondantes sur le Massif du Mercantour-Argenteras, donnant lieu à une rétention nivale jusqu'au printemps ;

  • phénomènes de rétention karstique.

1.2. Vers le tarissement de la nappe

     À la fin du XIXe siècle, des aménagements sont peu à peu mis en oeuvre, mais c'est seulement à partir de 1950 que ceux-ci perturbent fortement cet équilibre naturel. Celui-ci est rompu sous l'effet de trois phénomènes.

- De 1860 jusqu'en 1980, on a endigué le fleuve qui divaguait auparavant dans un lit de plus d'un kilomètre de largeur par endroit. En réduisant cette largeur à 200 - 300 mètres, les digues ont provoqué la concentration de l'écoulement et favorisé l'érosion linéaire. Surtout, elles ont entraîné une diminution de l'infiltration par réduction de la surface d'écoulement et, en définitive, freiné la recharge de la nappe.

- Dans le même temps, on a assisté à une augmentation forte des besoins en eau pour l'approvisionnement de l'agglomération niçoise (tendance lourde à l'urbanisation, à laquelle s'ajoutent l'arrivée massive des rapatriés d'Afrique du Nord d'une part, et le tourisme de masse d'autre part) ; quant aux pompages pour l'irrigation des cultures maraîchères et florales, difficiles à évaluer parce qu'ils se font le plus souvent au moyen de puits individuels, ils ne cessent de diminuer puisque l'expansion urbaine se fait au détriment des surfaces agricoles.

- Enfin, pour les besoins de la construction ou du remblaiement, on a ouvert des ballastières dans les alluvions de la basse plaine. Entre 1946 et 1980, 30 millions de m3 ont été extraits dans la plaine, ce qui équivaut en gros à une tranche d'alluvions de 3 m. Le volume du réceptacle de l'eau a, de ce fait, fortement diminué.

1. 3. Tentatives de régulation

     Depuis une vingtaine d'années, des mesures ont été prises pour pallier cet abaissement et recharger la nappe. L'arrêt des extractions de matériaux depuis 1983 est à l'heure actuelle l'opération la plus efficace. On attendait beaucoup de la construction, sur le bas cours du Var, de petits barrages et de lacs de retenue pour augmenter l'infiltration et donc réapprovisionner artificiellement la nappe. Mais l'efficacité d'un tel aménagement est de courte durée : si, pendant la période de deux à trois ans qui suit l'implantation du barrage, le niveau de la nappe remonte, passé ce délai, la tendance à la baisse se manifeste à nouveau. L'action de régulation est très vite contrebalancée par le comblement du lac et l'imperméabilisation de son fond par les matériaux transportés par le fleuve, surtout en période de crue. Depuis 1971, 17 barrages ont été construits dans la basse plaine ; ce nombre prouve à lui seul l'inefficacité de l'opération.

2. APPROCHE SYSTÉMIQUE ET MODÈLES DE SIMULATION : INTÉRÊT PÉDAGOGIQUE

2.1. Systémique et géographie globale

     Du point de vue de l'apprentissage géographique, le didacticiel doit permettre à l'apprenant de comprendre le fonctionnement de la nappe dans le temps. Mais, au delà de cet aspect spécifique lié à une localisation précise, c'est un problème de géographie globale, combinant des faits relevant de l'ordre de la nature comme de celui des sociétés, qui est objet d'enseignement. Cela suppose la prise en compte simultanée de plusieurs phénomènes de nature différente :

  • ceux qui assurent l'équilibre dynamique naturel de la nappe,

  • ceux qui sont liés aux actions anthropiques dues au développement de la région niçoise et qui contribuent à son abaissement,

  • ceux qui relèvent des décisions d'aménagement.

     Le projet SHIVA-Géographe se veut en rupture avec la coupure surannée entre géographie physique et géographie humaine qui prévaut souvent encore dans l'enseignement, à quelque niveau que ce soit. Il vise donc à faire prendre conscience à l'apprenant de l'importance de notions mal ou pas abordées par la géographie classique, dérivant de la prise en compte simultanée de phénomènes de nature différente et déterminant la complexité d'un objet d'étude.

     Pour atteindre cet objectif d'apprentissage, une approche systémique a été retenue : elle convient bien à la vision globale du problème posé ; certains de ses concepts de base sont bien adaptés à la compréhension du fonctionnement de la nappe (complexité, interaction, causalité circulaire, dynamique, irréversibilité du temps). Plus précisément, la nappe est considérée dans le projet comme un système, et un modèle systémique de simulation a été construit selon les principes méthodologiques de la dynamique de système (Aracil 1984) pour rendre ce fonctionnement intelligible.

2.2. Le recours à un modèle de simulation

     Ce choix nécessite trois sortes d'explications.

- Diverses études ont montré que les modèles systémiques de simulation sont fort utiles comme outils d'expérimentation dans des domaines tels que l'aménagement pour lesquels aucune expérience ne peut précéder les réalisations sur le terrain. Cela est désormais bien connu. En revanche, de tels modèles n'ont guère servi comme outils pédagogiques. La nouveauté de SHIVA-Géographe consiste à intégrer un modèle systémique de simulation dans le didacticiel et à l'utiliser comme outil pédagogique. On pose qu'il constitue un moyen puissant de réflexion et d'enrichissement des connaissances ; en particulier, le recours aux simulations doit permettre à l'élève un apprentissage actif. La pertinence de cette hypothèse de travail devra être testée.

- Le projet SHIVA-Géographe n'a pas pour but de former l'apprenant à l'approche systémique, encore moins à l'élaboration d'un modèle mathématique. De même qu'il n'est pas nécessaire de connaître le montage des différentes pièces d'une automobile pour la conduire, de même, il n'est pas indispensable que l'apprenant maîtrise l'ensemble du processus de modélisation pour tirer parti d'une courbe de simulation : cela ne relève pas ici de son domaine ; la modélisation doit rester transparente pour l'élève. Mais précisément pour cette raison, il faut signaler que ce dernier devra être solidement guidé dans l'interprétation des courbes de simulation : la représentation des connaissances dans SHIVA (cf. § 3) permet de le faire. Enfin, certains principes élémentaires de l'approche systémique seront enseignés pour le conduire vers la compréhension des phénomènes complexes, en particulier celle de leur dynamique.

- Le recours à une méthode de modélisation particulière, la dynamique de système (Forrester 1982, Aracil 1984) se fera de plusieurs manières.

     La représentation du système étudié sous forme d'un graphe de structure causale, puis d'un diagramme stock-flux (fig. 1) a deux fonctions. Pour le concepteur du didacticiel, elle sert de support à la construction du modèle mathématique de simulation. Pour l'apprenant, elle est considérée à elle seule comme un outil pédagogique de description globale du phénomène étudié menant à sa compréhension ; plus précisément, elle permet de raisonner en termes de dynamique. Il convient de mentionner aussi que ces représentations graphiques ont deux avantages : lorsqu'elles ne contiennent pas trop d'éléments, elles fournissent de l'objet d'étude une vision globale, à la différence d'un texte de facture nécessairement linéaire ; l'expression graphique, largement enseignée en géographie dès le D.E.U.G., ne déroute pas en principe l'étudiant. Cet apprentissage de la dynamique par la graphique pourra être largement complété grâce aux possibilités multimédia de SHIVA (textes, tableaux de chiffres, autres graphiques, cartes, photographies...).

Figure 1. Graphe de structure causale (partiel) écrit dans la codification de Forrester.

     La construction du modèle mathématique, qui repose sur la notion de variable d'état écrite au moyen d'équation différentielle, puis sa transcription en langage informatique de simulation, relève du seul concepteur du didacticiel.

     En revanche, l'élève participera à la conceptualisation de scénarios concernant le fonctionnement du système ; les résultats de leur simulation sous forme de courbes donneront lieu à interprétation ; le bien fondé des hypothèses retenues pour élaborer les scénarios sera discuté. Ceux-ci sont donc considérés comme un support privilégié de réflexion pour l'apprenant, tant pour susciter sa créativité, enrichir ses connaissances que pour expérimenter la valeur de ses idées face au problème posé.

     D'un point de vue strictement pédagogique, le modèle possède une triple fonction :

  • celle de faire réfléchir sur le fonctionnement d'un objet d'étude complexe résultant de l'interaction, au cours du temps, de nombreux phénomènes de nature différente ;

  • celle de servir, conjointement à l'utilisation d'autres outils, de moyen d'acquisition active de connaissance ;

  • celle de faire réfléchir sur la portée plus ou moins générale des connaissances acquises et leur transfert à d'autres secteurs géographiques. Les simulations seront systématiquement utilisées pour permettre à l'élève de procéder lui-même à l'expérimentation de scénarios divers. Il est intéressant de considérer tout problème d'aménagement comme le moyen d'apprendre à poser de bonnes questions de géographie globale, de proposer des solutions concrètes et de s'interroger sur leur efficacité.

3. SPÉCIFICATION DANS SHIVA

3.1. L'atelier de génie didacticiel avancé Shiva

     SHIVA est un système adaptatif multimédia de création de didacticiels qui résulte de l'intégration d'outils développés à l'Open University de Milton Keynes (Royaume-Uni) et au laboratoire IRPEACS-CNRS d'Ecully (France). Il fonctionne sur PC. Il permet :

  • à l'enseignant de créer un matériel d'enseignement multimédia (texte, graphique, cartographique, son, photo, vidéo), de définir des séquences pédagogiques, de procéder à des essais et des simulations de cours,

  • à l'apprenant, de disposer d'un enseignement guidé.

     Il respecte la règle de séparation entre le modèle de la connaissance, objet de l'enseignement, et le modèle d'interaction didactique.

     Il se compose de plusieurs parties (fig. 2).

- Un ensemble d'éditeurs spécialisés selon les médias utilisés et les niveaux de représentation des connaissances. À chaque tâche correspond un éditeur ayant des fonctionnalités spécifiques. Une fois les éléments multimédias conçus, l'auteur utilise SHIVA pour mettre en oeuvre les conditions et l'ordre de leur présentation à l'apprenant.

- Un générateur de didacticiels, ORGUE, qui sert à construire les unités d'enseignement (ou frames). Celles-ci sont déterminées en fonction de leur sens et programmées sous forme de textes ou de graphiques. Tout ce que verra ou fera l'apprenant est explicitement prévu et exprimé par l'auteur. Le champ de la connaissance est représenté par une arborescence dans laquelle l'apprenant effectue un parcours de façon interactive pour s'approprier les frames représentant une partie de cette connaissance à acquérir.

- L'éditeur PSAUME permet de relier ces unités d'enseignement à des concepts de haut niveau exprimant les objectifs d'apprentissage.

Figure 2. L'atelier de génie didacticiel SHIVA.

- Le système ECAL décide alors, sur cette base conceptuelle, de l'ordre de présentation des unités d'enseignement. Il utilise les techniques de l'intelligence artificielle pour représenter la structure des connaissances à enseigner et modéliser celles de l'apprenant. Il s'appuie sur les conceptions pédagogiques de Posner et Rudnitsky, dont le modèle réduit les objectifs d'apprentissage à des connaissances conceptuelles. Chaque unité d'enseignement est ainsi caractérisée par des mots-clefs (ILO : intended learning outcomes). Cette description des frames par les mots-clefs permet de construire un réseau sémantique qui fournit une représentation explicite des connaissances. La succession des frames n'est pas définie par le concepteur : c'est l'algorithme de prise de décision didactique d'ECAL qui détermine l'unité d'enseignement à présenter à l'apprenant et qui gère par conséquent sa progression. Enfin ECAL contient un modèle de l'apprenant, soit une expertise partielle sur ses acquisitions.

     Du point de vue de la recherche, c'est la valeur de ce processus automatique d'apprentissage qui doit être testée, par rapport aux objectifs de l'enseignant et par rapport aux réactions de l'élève.

3.2. L'analyse conceptuelle dans SHIVA géographe

     La première étape de la construction du didacticiel consiste à définir les unités pédagogiques, caractérisées chacune par un objectif clair et par des descripteurs ou mots-clefs associés. Le tableau 1 et la figure 3 présentent, par un exemple partiel, les relations entre ces descripteurs et les unités pédagogiques. C'est à partir de ce graphe qu'ECAL va déterminer automatiquement le point d'entrée de l'apprenant dans le didacticiel : le descripteur choisi en premier par ECAL est celui qui a le plus grand nombre de relations.

Tableau 1. Relations entre descripteurs et unités d'enseignement.

Figure 3. Graphe des relations entre descripteurs et unités d'enseignement
(VAR 001... : unités d'enseignement ; niveau du stock ; trajectoire... : descripteurs).

Figure 4. Graphe implicite calculé par ECAL.

3.2.1. Problèmes d'identification des unités pédagogiques

     Les difficultés soulevées par l'identification des unités pédagogiques et des descripteurs relèvent à la fois de la géographie et des contraintes d'ECAL. Le modèle sous-tendant ECAL repose sur la séparation entre la représentation des connaissances explicitées par l'auteur et la représentation des stratégies pédagogiques. Lors de l'expérimentation du didacticiel, celles-ci doivent pouvoir être comprises, expliquées et contrôlées par l'auteur d'une part et jugées pédagogiquement pertinentes d'autre part.

- Les nécessités de l'enseignement conduisent à recourir à des niveaux de langage et, par conséquent, à des niveaux de conceptualisation et d'abstraction qui ne peuvent être manipulés indifféremment : langages commun, didactique, géographique, systémique. Par exemple, pluie, précipitation, flux d'entrée sont trois descripteurs correspondant à trois niveaux de langage mais désignant une même entité. L'organisation des connaissances peut comporter des boucles de rétroaction qui permettent d'entrer dans le système d'apprentissage à plusieurs endroits ; de ce fait, la présentation des connaissances qui en résulte peut varier. Conceptualiser les infiltrations (langage géographique) par exemple conduit à parler des précipitations, de l'aptitude du bassin-versant à favoriser l'infiltration mais à négliger le fonctionnement de la nappe ; conceptualiser la nappe comme un stock d'eau variant dans le temps (langage systémique) contraint à parler de son alimentation et de son vidage, donc à conceptualiser les infiltrations et les sources par leur aspect fonctionnel. Le choix des unités pédagogiques et des descripteurs doit tenir compte de cette multiplicité d'approches et de langages et, bien sûr, de leurs implications pédagogiques.

- L'utilisation d'un didacticiel, pour être efficace, doit être pensée en fonction de la trajectoire d'apprentissage de l'apprenant : celle-ci est déterminée à la fois par les connaissances antérieurement acquises et par les connaissances en cours d'acquisition issues d'autres méthodes pédagogiques. L'objectif pédagogique précis ne peut être fixé qu'en fonction de ces deux types d'apport. La difficulté est qu'il n'existe guère, en géographie, de normes concernant les pré-requis à tel ou tel niveau d'étude. Chaque enseignant fixe le contenu de ses enseignements, certes en fonction des programmes, mais il procède souvent de façon empirique et subjective pour déterminer ce qu'il considère comme important. En particulier, une grande différence dans le contenu de l'enseignement caractérise les tenants de la géographie classique souvent portés vers le souci du détail pour peu que le programme concerne leur domaine de recherche, les tenants de la géographie théorique et quantitative, plus tournés vers l'acquisition de méthodes de travail et la maîtrise technique, et ceux qui se soucient plus d'enseigner les sciences sociales en général que la géographie en particulier. On se trouve donc en difficulté lorsqu'on doit, dans le cadre des contraintes liées à l'utilisation d'un outil tel qu'ECAL, déterminer des objectifs pédagogiques clairs et les associer à des descripteurs précis. Le parti pris choisi ici est celui de privilégier l'acquisition d'un savoir-faire (raisonnement en termes de globalité, d'interaction, de dynamique, de comportement dans le temps) à propos d'une étude de cas, support de l'acquisition de ce savoir-faire. Les connaissances nécessaires, conceptuelles (nappe phréatique, régime pluviométrique...) et factuelles (importance de la croissance urbaine, régime des précipitations méditerranéennes...) seront acquises parallèlement à l'apprentissage de ce savoir-faire.

- Le faible degré de théorisation de la géographie rend difficile son enseignement par objectifs pédagogiques et tâches élémentaires. Pour qu'il y ait problématisation, il est nécessaire de s'appuyer sur un cadre théorique qui suscite une dynamique de conceptualisation permettant de dépasser le sens commun. Le recours à la systémique et à un modèle de structure causale permet, dans une certaine mesure, de disposer de ce support théorique. Mais un des handicaps consiste à surmonter l'habitude, omniprésente et très tôt acquise en géographie, de la démarche inductive fondée sur les observations de terrain. L'étudiant est souvent dérouté par le raisonnement hypothético-déductif.

- Du strict point de vue pédagogique, les connaissances géographiques à acquérir sont organisées par l'enseignant de façon hiérarchique ; on peut les représenter sous forme d'une arborescence rendant compte de niveaux de conceptualisation différents et donc de niveaux différents de désagrégation de la connaissance. Même si l'on peut parfois casser cette organisation, il est nécessaire d'en tenir compte parce qu'elle correspond à une logique disciplinaire souhaitée par l'enseignant.

     Ces remarques ont conduit à définir les règles suivantes pour la détermination des descripteurs des unités pédagogiques :

  • si un concept particulier est étudié dans une unité pédagogique, alors le nom de ce concept est retenu comme descripteur ;

  • si tous les descripteurs dépendant d'un même noeud de l'arbre ont été utilisés, alors le descripteur correspondant à ce noeud est attaché à l'unité pédagogique ;

  • si un sous-ensemble de la liste des descripteurs attachés à l'unité pédagogique est un sous-arbre, alors on remplace ce sous-arbre par le nom de sa racine.

3.3. Premiers résultats

     L'expérimentation de SHIVA-géographe consiste à tester le processus automatique d'apprentissage des connaissances de SHIVA par rapport aux objectifs définis par l'enseignant et aussi par rapport aux réactions de l'élève face au didacticiel. La première phase est en cours.

     Afin de pouvoir étudier les contraintes pédagogiques d'ECAL, un premier travail a été effectué, non sur l'ensemble des unités pédagogiques identifiées mais sur 7 d'entre elles qui concernant la nappe d'eau. Le tableau 1 et la figure 3 donnent les relations entre unités pédagogiques et descripteurs retenus par application des règles ci-dessus ainsi que la matrice d'incidence du graphe valué d'ECAL. La figure 4 donne le graphe implicite calculé par ECAL.

     Une des premières formes d'expérimentation a consisté à confronter l'ordre de priorité des unités pédagogiques selon le point de vue de l'enseignant et selon le processus de gestion d'ECAL. Cette confrontation permet d'ores et déjà deux constatations.

- Il semble que le nombre de descripteurs d'une unité pédagogique peut avoir un effet sensible sur l'ordre d'apparition des unités pédagogiques pour l'apprenant. Ce constat, s'il devait se confirmer, représente un inconvénient pédagogique certain.

- Pour que l'expérimentation prenne tout son sens, l'auteur devrait pouvoir déterminer la relation entre ses décisions locales (par exemple le choix d'un descripteur particulier pour caractériser une unité pédagogique spécifique) et leur implication au niveau global du fonctionnement d'ECAL. Si le cheminement dans le graphe implicite est possible lorsqu'il est peu fourni, il s'avère vite impossible quand le nombre des relations augmente. Ce cheminement est actuellement le seul moyen d'investigation dont on dispose pour contrôler le processus didactique mis en oeuvre par ECAL et donc sur le processus d'apprentissage qui en découle. Le modèle de séparation entre la représentation des connaissances d'ECAL et la stratégie pédagogique ne permet donc pas, en l'état actuel des choses, un contrôle total de l'auteur sur le déroulement de l'apprentissage.

     Un tel projet n'a pu être mis sur pied qu'en raison des progrès récents survenus dans trois secteurs, celui des sciences de l'éducation, celui des méthodologies géographiques, celui enfin de l'informatique.

     Par sa conception et l'utilisation qui doit en être faite, ce didacticiel diffère de bon nombre de produits actuellement proposés sur le marché en géographie. La conception et l'utilisation de cet outil pédagogique sont très éloignées d'un enseignement assisté par ordinateur presse-bouton ne servant qu'à la vérification figée des connaissances. Par le recours à l'approche systémique il vise à favoriser la créativité des étudiants tout autant que l'acquisition des connaissances ; par le recours aux techniques de l'intelligence artificielle, il contribue à améliorer largement la représentation des connaissances que l'auteur entend transmettre à l'apprenant et, par là même, son propre savoir-faire pédagogique. Enfin, il oblige à lever bon nombre d'ambiguïtés dans le langage comme dans la façon de raisonner. De ce point de vue, ce didacticiel est aussi un excellent outil de réflexion scientifique.

Maryvonne Le Berre
Université de Franche-Comté

Paru dans la  Revue de l'EPI  n° 72 de décembre 1993.
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BIBLIOGRAPHIE

Aracil J. (1984) : Introduction à la dynamique de système, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 354 p.

Baker M., Bessière C. (1991). De L'EAO vers l'EIAO : la création de didacticiels multimédias intelligents. Rapport de recherche IRPEACS 1, Ecully, IRPEACS-CNRS.

Balacheff N. (1991) : Apports de la didactique et de l'épistémologie aux recherches en EIAO, in Bellissant C. (ed.) Actes des XIIIè journées francophones de l'informatique, Grenoble, IMAG-CNRS.

Forrester J.-W. (1982) : Principes de la dynamique des systèmes, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 354 p.

Posner G.J., Rudnisky A.N. (1986) : Course Design : a guide to curriculum development for teachers, London, Longman, 3rd edition.

Elsom-Cook M. (1988) : Introduction to ECAL system. CITE report, 43, Milton Keynes, The Open University.

Guigo M., Le Berre M. (1989) : Ecrire un modèle de simulation systémique. Impacts des aménagements sur le comportement de la nappe phréatique d'une plaine alluviale. Essai pédagogique, Grenoble, Collection Grenoble Sciences, 102 p.

NOTE

[1] Participent au projet SHIVA-Géographe réalisé dans le cadre du programme européen DELTA AAT (Development of european Learning by technological advanced authoring tools) concernant l'étude de matériels pédagogiques perfectionnés : Nicolas Balacheff, responsable du projet (Centre Informatique et Applications Pédagogiques (C.I.A.P.), Grenoble et IRPEACS-CNRS, Ecully), Claude Bourgès (C.I.A.P.), Henri Chamussy, Lamiel Figue-Henric (Institut de Géographie Alpine, Grenoble I), Maryvonne Le Berre (Université de Franche-Comté, Besançon), Gilles Mounier (C.I.A.P.), Jean-Yves Petitgirard (C.I.A.P.).

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