Utiliser et/ou concevoir les hypermédias à l'école
Approche, questions

Bruno Devauchelle
 

     Après de nombreux articles parus ici et là, des questions nous sont posées par les enseignants sur le « multimédia ». Nous tenterons dans cet article non seulement d'apporter quelques réponses, mais aussi d'indiquer les pistes qui nous paraissent centrales pour aborder ce « nouveau » phénomène qui est présent derrière le terme de multimédia.

1) LA VAGUE MULTIMÉDIA

     La vague Multimédia arrive-t-elle dans l'école ?

     Au moment où les questionnements sur l'utilisation de l'informatique dans l'école amènent à des révisions déchirantes (suppression de l'option etc.), apparaît sur le marché grand public, interpellant en cela l'ensemble des enseignants, le concept de multimédia. Bien qu'ancien ce concept est aujourd'hui présent dans tous les esprits et interroge chacun des acteurs au travers des médias et des publicités. Est-ce le retour de l'ordinateur sur les bancs de l'école ?

     Au travers des nombreuses séances de formation que nous avons pu faire ces derniers mois, nous avons bien senti que les questions étaient nombreuses et la demande forte. Il s'agit avant tout d'une demande d'information, d'une demande de compréhension des concepts et des idées nouvelles que recouvrent vraiment ces termes. Au delà, il s'agit aussi de lever l'inquiétude qui règne depuis l'arrivée de l'ordinateur dans les classes : est-ce enfin la machine à enseigner ou le simple gadget pédagogique au rayon desquels il avait été souvent rangé ?

     Les publicités vues ici et là confortent toutes cette idée d'outil révolutionnaire et contribuent largement à déstabiliser les débatteurs.

2) LE RENOUVEAU DE L'EAO

     L'enseignement assisté par ordinateur, avait posé deux questions principales dans les écoles : quelle utilisation dans l'école et comment développer soi-même des outils pertinents ? Si la première question est pertinente, la deuxième amène à un commentaire sur les méthodes de travail des enseignants. Elles sont en général fondées sur la fabrication d'outils sur mesure pour la séquence pédagogique prévue. Avec l'EAO, la contrainte d'un outil tout fait, tant sur le plan des contenus que sur le plan des méthodes pédagogiques, a provoqué de nombreuses interrogations et a entraîné un certain rejet. Les langages auteurs apparus à l'époque de l'IPT avaient de sérieuses ambitions, cependant ils n'ont pas réussi à entamer ce rejet.

     Aujourd'hui, c'est sur ce terrain que se situe la problématique : les logiciels de fabrication « d'outils multimédias » ne sont-ils pas les langages auteurs de demain ? Derrière cette question se pose bien évidemment celle d'un renouveau de l'EAO au travers de ces outils dont une partie sont des descendants simultanément des logiciels de Présentation Assistée par Ordinateur et des Langages Auteurs. Les revues grand public s'en font l'écho et divers travaux de recherche menés actuellement le laissent croire. Au delà de la réponse à cette question, qui au fond n'en est pas une, il est intéressant de voir simplement ce que nous proposent réellement aujourd'hui les sociétés qui commercialisent ces produits et ce qu'en font les utilisateurs.

     À première vue le discours commercial inclut l'argument EAO dans son argumentaire comme en complément de l'argument outil de communication. Si l'on y regarde de plus près, la plupart de ces outils n'ont pas une vocation en direction de l'EAO, même lorsque sont présents des modules permettant de le penser (outils de passation de tests etc.).En réalité deux vocations principales sont dévolues à ces outils qui s'expriment en terme d'utilisateur : la présentation et les bornes d'information interactives.

     Si la question se pose cependant, c'est que, comme pour les outils transversaux de la bureautique traditionnelle qui ont été souvent réutilisés par les enseignants, il apparaît que les concepts sous jacents à ces produits sont très intéressants et interpellent nombre d'acteurs de la formation initiale et continue.

3) LES CONCEPTS NOUVEAUX

     Parler de concept nouveau est faux si l'on s'en tient à la lecture des revues spécialisées. Par contre, ce qui nous intéresse c'est leur nouveauté dans les documents qui touchent désormais le grand public, les familles, les enseignants par exemple, et surtout, leur présence réelle dans l'environnement tant pour les utilisateurs, que pour les concepteurs « amateurs ».

     Dans le cadre de cet article, le parti pris de l'auteur sur ces concepts vient du fait que de réelles interrogations sont posées dans les formations des enseignants et que pour en faire état et aider à y voir plus clair, il convient, si ce n'est d'y répondre, au moins d'essayer de comprendre mieux les choses. Avec l'apparition de certains de ces concepts dans le référentiel STT (classes tertiaires 1res et terminales), au delà des interrogations, c'est une réalité à prendre en compte désormais dans le champ de la formation initiale.

     Trois concepts sont centraux et méritent quelques explications : multimédia ; interactivité et hypertexte.

Le multimédia est loin d'être nouveau dans la formation (citons ici les travaux de P. Thomas, le rôle du CARFI de Versailles ou encore les productions du CNERTA de Dijon par exemple). Cependant une définition est nécessaire afin d'éviter toute confusion :

     « Utilisation de différents médias pour atteindre un objectif précis (de vente, de formation etc.). Par extension (abusive) il désigne tout outil informatique capable de restituer des sons, des images fixes ou animées et des données informatiques simultanément ».

     En réalité, le concept de multimédia informatique est l'enfant naturel d'une vague plus profonde appelée numérisation. Cette capacité de traduction des informations sous forme binaire se généralise chaque jour un peu plus et transforme petit à petit le paysage général du traitement de l'information.

L'interactivité ressemble beaucoup à la prose de Monsieur Jourdain. En fait, la nouveauté de ce concept vient surtout du fait qu'il s'applique désormais à des médias qui jusqu'à présent ne toléraient que la passivité de l'utilisateur. La photo ou la télévision que l'on se contente de regarder s'ouvrent désormais aux possibilités de l'interactivité, c'est à dire à la possibilité pour l'utilisateur de devenir actif dans sa relation à l'information, en quelque sorte de reprendre un pouvoir sur la séquentialité, la linéarité de l'information par la possibilité d'« agir avec ».

     Avec l'informatique « interactive », c'est l'idée de cette activité de l'utilisateur qui devient acteur de la situation. Au delà de ce premier constat, il s'agit véritablement d'un changement de paradigme dans la conception générale des outils informatiques qui se traduit par la priorité, la centration sur l'utilisateur, bref, le passage d'une logique de fonctionnement à une logique d'utilisation...

L'hypertexte est désormais bien « connu », mais très mal compris. En permettant de « naviguer, de se promener » dans un texte d'une façon non linéaire mais en suivant une logique de relations conceptuelles, il renouvelle la lecture. La lecture sur écran, par analogie avec la lecture du livre (séquentielle) est, à l'expérience une chose inefficace, voire dangereuse... Avec l'hypertexte, l'ordinateur a enfin trouvé son vrai mode de lecture. L'hypertexte est à l'ordinateur ce que la séquentialité (relative) du texte est au livre. Notons ici que la volonté souvent déclarée de porter le livre sur ordinateur (métaphore...) est vouée à l'échec (contrairement à des croyances anglo-saxonnes souvent déclarées) si l'on en reste à la reproduction. Ce n'est pas le livre que l'on porte sur ordinateur, mais la lecture. Avec l'hypertexte, on trouve le « style naturel » de lecture d'un texte sur ordinateur.

4) LA MATURITÉ DES UTILISATEURS

     Après les années d'essais qui ont suivi le plan IPT, les utilisateurs ont fait leur bilan. Dans le même temps, la société a intégré dans le quotidien les outils que de nombreux formateurs présentaient dans les stages de formation comme les « outils de demain ». Les utilisateurs ont commencé à se forger une culture faite de rejets (les échecs de l'IPT en sont la preuve) et d'acceptation passive (l'automatisation bancaire), voire active (demande d'accélération des traitements).

     La culture technologique dans l'école reste encore très inégale. Les élèves, souvent rivés à leurs outils (lorsqu'ils en ont) ont fait la preuve de leur adhésion. Les personnels administratifs ont suivi le mouvement général des entreprises, les documentalistes sont entrés en informatique (leurs tâches s'y prêtant particulièrement, on se demande encore les raisons de leur retard en équipement), quant aux enseignants, ils ont laissé venir les choses, en les intégrant selon les schémas classiques (enthousiastes, curieux, méfiants, hostiles), mais en reproduisant avec ces outils la même lenteur à intégrer les technologies nouvelles que lors de l'apparition de la télévision.

     Comme l'estimaient les responsables du ministère de l'éducation des Pays Bas, il vaut peut-être mieux attendre le passage des générations, le temps que la culture commune fasse son oeuvre, plutôt que de contraindre les écoles à jouer soit le rôle de vitrine technologique (vide ?) soit le rôle de moteur de la société, de laboratoire permanent des innovations sociales. On se trouve alors avec une fonction de l'école validante plutôt que proposante.

     Les échecs principaux constatés dans le cadre de l'informatique à l'école tournent davantage autour des outils que de leur utilisation. Parmi ces outils, celui qui illustre le mieux ces échecs est le langage de programmation. Par contre la culture utilisateur se répand, il suffit pour s'en convaincre d'étudier les statistiques d'équipement personnel des enseignants en matériel informatique. Ce qui est particulièrement intéressant dans l'argumentaire de ces utilisateurs, c'est la prise en compte du besoin professionnel reconnu comme incitation à la conduite d'équipement. Si l'on recherche plus précisément des indications, on trouvera avant tout des utilisations bureautiques et très rarement des utilisations de conception de produits d'EAO, ou au moins de PREAO. On peut donc penser que cette étape de la culture enseignante est encore hypothétique, à défaut d'être potentiellement présente dans le discours.

5) LA CONCEPTION DES OUTILS

     Après avoir analysé les nouveaux outils et avoir tenté de les mettre en face de la réalité du terrain, il nous reste à analyser si, comme nous l'avons indiqué ci dessus, il était envisageable qu'une culture basée sur la production par l'enseignant de ses propres outils de formation EAO ou PREAO était envisageable dans l'avenir.

     Pour reprendre le discours des publicitaires : « développez vous même votre application sans avoir à programmer et sans apprentissage » on peut imaginer que cette affirmation péremptoire se rapproche d'une réalité à venir. Cependant, une analyse des pratiques actuelles va nous aider à voir plus clair.

- Lorsqu'on analyse les produits hypermédias finis proposés dans différents sites (exemple du Club Méditerranée) on s'aperçoit bien vite qu'une connaissance avancée de l'informatique, voire de la programmation est indispensable pour parvenir à des produits satisfaisants. D'autre part les langages de programmation traditionnels sont toujours en dernier lieu le recours indispensable à une finition « parfaite des produits ». Beaucoup de produits présentés ont été terminés grâce à des lignes de codes écrits dans des langages de bas niveau comme C ou C++. Il s'avère donc qu'aujourd'hui, d'hypercard à Toolbook, de Linkway à Authorware, aucun produit ne répond complètement aux besoins des utilisateurs professionnels exigeants.

- Du coté des enseignants, deux problèmes de niveaux différents se posent : L'enseignant, peut-il, veut-il concevoir ses propres outils ? L'enseignant est-il prêt à proposer sa production personnelle (ou en petits groupes) aux autres enseignants ?

     Les stages Basic ont créé un rejet massif de la programmation et plus particulièrement de la conception de produits d'EAO pour la pratique professionnelle. Les spectateurs de cette époque ont pu suivre par la suite, lors de l'arrivée d'Hypercard dans certains milieux, les mêmes questions et les mêmes réponses : « on ne peut y arriver », ceci renforcé par la vision de médiocrité des produits fabriqués dans le cadre d'actions expérimentales autour de ces produits. Outre la piètre qualité technique (à laquelle des produits générateurs d'hypermédias tels Hypercard tentent de répondre), c'est surtout la pauvreté pédagogique des applications proposées qui reflétait en fait le problème fondamental : « on a un outil formidable dont on sent bien l'intérêt, mais pour quoi faire » ? La culture de conception est encore loin, tant qu'un langage spécifique (une grammaire, plutôt) n'est pas mis en place. De fait, toute tentative pour singer la réalité sur l'ordinateur s'est avérée une cause d'échec (simuler l'enseignant et surtout le correcteur a surtout crédit dans la tête de certains parents). On peut penser que l'écriture hypertexte est une piste intéressante qui justement propose un langage original et spécifique de l'ordinateur dans sa mission de traitement de l'information. On peut penser que l'ensemble des questions évoquées plus haut pourrait trouver sa réponse dans le concept d'hypermédia.

     L'autre question concernant les enseignants est à mon point de vue beaucoup plus fondamentale :

     Y a-t-il une place pour un enseignant producteur de documents transférables ?

     En posant cette question ici, je souhaite soulever une autre interrogation : validité du modèle de la recherche-action comme axe privilégié permettant de faire évoluer la profession ? La constatation est fréquente de la dévalorisation par l'enseignant de ses propres productions lorsqu'elles touchent le domaine de l'action recherche pédagogique. On peut trouver dans le dernier ouvrage de Philippe Mérieux (Reviens vite Emile, ils sont tous devenus fous, ESF 1992) ou encore dans l'ouvrage de Jean Marie Albertini (La pédagogie n'est plus ce qu'elle sera, 1992) une tentative de réponse à travers le constat d'absence générale de relation entre la recherche en sciences de l'éducation et la pratique quotidienne des enseignants. On peut aussi trouver une réponse dans le constat de l'absence de l'étape intermédiaire nécessaire, qui ouvre la voie aux analyses de pratiques, qu'est la production d'outils de formation transférables. Les centres de formation continue ont très souvent bien compris ce point et ont très souvent développé des structures d'édition (cf. le GRETA de Beaune ou le CEPEC de Lyon) ou tout au moins des structure légères permettant la production d'outils transférables conçus par les formateurs.

     Cette étape, certes lourde et coûteuse, est bien celle qui est sous jacente à la problématique de la production des outils hypermédias par les enseignants. C'est toute une culture professionnelle de travail de groupe, de production qui se mettrait en place. Les impulsions sont ressenties, mais les habitudes et les lourdeurs de l'organisation actuelle des structures ne permettent pas d'envisager une accélération du processus. Cependant on est en droit de penser que le souci d'individualisation de la formation initiale très présent dans la réforme des lycées, et dans de nombreuses réformes passées, est en train d'être pris en compte sous les coups de boutoirs de la société qui impose à la situation pédagogique la gestion d'une diversité de plus en plus grande des individus. À cela s'ajoute sur un plan pédagogique la prise en compte des fonctionnements cognitifs (la centration sur l'élève) et l'émergence des pédagogies de la médiation qui obligent à mettre en place des structures nouvelles dans lesquelles les outils d'autoformation ont leur place. Il faudra bien des concepteurs de produits pédagogiques pertinents, les enseignants ne sont-ils pas les mieux placés ?

Bruno Devauchelle

Formateur Technologies de l'Information
et de la Communication - QUIMPER

Paru dans la  Revue de l'EPI  n° 71 de septembre 1993.
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