LES TECHNOLOGIES NOUVELLES DANS L'ENSEIGNEMENT GÉNÉRAL ET TECHNIQUE

Rapport au Secrétaire d'État chargé de l'Enseignement Technique

Monique Grandbastien
Professeur d'Informatique Université Nancy I

La Documentation française,
Collection des rapports officiels, Février 1990

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PREMIÈRE PARTIE (extrait)

Analyse

Orientations

     Fort de ses acquis, notamment une informatique largement présente dans les établissements et une rénovation des diplômes qui a su répondre aux besoins de l'économie, conscient des défis qui seront à relever dans les prochaines années, le système éducatif se doit de préparer le lycée de l'an 2000 sur le triple plan des équipements, des contenus enseignés et des pratiques pédagogiques. Il nous semble que deux lignes directrices doivent guider son action:

     Faire de la décennie 90 celle de la consolidation, de l'intégration des technologies nouvelles dans le système éducatif. Capitaliser les acquis, les diffuser, les mettre au service des grands objectifs du système éducatif. Les technologies nouvelles ne doivent pas être à part, elles n'étaient pas une mode, elles sont une nécessité, et chacun à son niveau doit en tirer les conséquences.

     Poursuivre l'œuvre de modernisation des formations, particulièrement des formations professionnelles et susciter les innovations qui prépareront l'entrée de notre enseignement technique dans le troisième millénaire. Préparer les jeunes, favoriser l'adaptation des adultes aux réalités économiques, sociales et culturelles de demain, utiliser pour cela toutes les potentialités des nouvelles technologies.

     Ces orientations doivent d'abord être explicitement affirmées au niveau politique. Leur mise en œuvre suppose évidemment qu'un certain nombre d'objectifs soient clairement choisis. Tout n'est pas possible simultanément, non seulement pour des raisons de coût, mais aussi à cause du manque de ressources humaines, certaines priorités doivent donc être retenues. De plus, l'historique que nous venons de faire et l'analyse des modes de fonctionnement de ces dernières années nous amènent à suggérer quelques principes à respecter.

Des priorités à retenir et des actions à entreprendre

. La formation initiale de tous les personnels

C'est un passage obligé et une urgence absolue. Il faudra prévoir en parallèle des mesures transitoires de formation continue venant en partie suppléer une absence de formation initiale (cf. p. 95). On peut, par exemple, imposer une formation de base aux technologies nouvelles dans la formation de tous les enseignants (à vérifier au moment de leur entrée dans les instituts de formation des maîtres) et compléter cette formation dans une perspective résolument didactique et pédagogique pendant leur formation professionnelle.

. La formation continue indispensable dans un secteur en rapide évolution

A terme, la formation continue devrait retrouver son rôle normal, c'est-à-dire celui d'une adaptation des connaissances et compétences des enseignants à l'évolution des objectifs et des contenus, prenant en compte sur le plan des techniques pédagogiques les derniers résultats issus de la recherche et des progrès techniques (cf. p. 96).

. Un vigoureux effort de recherche pédagogique

Dans le domaine de l'informatique comme auxiliaire pédagogique, nous avons vu que les recherches systématiques nécessaires à l'exploration d'un champ aussi nouveau n'avaient pas été menées ou pas menées à leur terme avec la rigueur nécessaire, il est donc indispensable d'entreprendre un vigoureux effort de recherche, effort qui ne peut être conduit qu'avec la participation active d'enseignants du terrain et de chercheurs (cf. p. 110).

. Une veille technologique permanente pour l'adaptation des formations professionnelles

     II s'agit de poursuivre sans relâche et probablement d'intensifier le travail déjà réalisé en étroite collaboration avec le monde économique dans les commissions professionnelles consultatives (cf. p. 24) et de créer d'autres lieux de rencontre, par exemple pour débattre des équipements souhaitables. Cette veille est de la responsabilité de l'institution, mais elle doit être assurée à tous les niveaux. II est par exemple souhaitable de permettre à la totalité des enseignants des matières professionnelles un contact le plus fréquent possible avec les professions auxquelles ils préparent leurs élèves.

. La définition d'objectifs clairs et cohérents tout au long du système éducatif par rapport aux savoirs et savoir-faire attendus des élèves en matière de technologies nouvelles

     L'introduction des technologies nouvelles dans les matières professionnelles, leur prise en compte dans l'évolution des disciplines générales, leur utilisation comme outils pédagogiques amènent à la question d'une culture générale dans ce domaine et imposent une approche unificatrice (cf. p. 26). II faut indiquer ce qui relève d'enseignements spécifiques et ce qui doit passer par les disciplines générales, par exemple sous forme de thèmes transversaux, conformément aux perspectives d'évolution des programmes dessinées par MM. Bourdieu et Gros. II faut veiller à une cohérence longitudinale des objectifs entre les cycles successifs d'enseignement, mais aussi à une cohérence horizontale entre les différentes approches et les différentes utilisations qui sont proposées pour les technologies nouvelles à chaque moment de la scolarité.

. Le choix de publics ou de domaines d'apprentissage pour lesquels il est particulièrement crucial d'améliorer les performances des systèmes de formation

     Comme publics on peut suggérer, pour la formation initiale les élèves en difficulté qu'il faut amener à un niveau de qualification professionnelle que beaucoup d'entre eux n'atteignent pas actuellement, et pour la formation permanente, les bas niveaux de qualification et les professions pour lesquelles des formes de stages traditionnels ne conviennent pas (abandon du poste de travail impossible par exemple).

     Comme domaines d'apprentissage, les disciplines scientifiques, à la fois à cause des besoins de l'économie dans ce domaine et à cause de la difficulté qu'il y a et qu'il y aura encore pendant plusieurs années à trouver des formateurs en nombre suffisant, sont à privilégier. Plus généralement, il s'agit d'identifier des domaines d'apprentissage qui font difficulté pour une population importante et pour lesquels le recours aux technologies nouvelles semble pertinent.

. La poursuite d'une politique volontariste d'équipements et de création ou d'achats de produits pédagogiques et professionnels

     Les conséquences des lois de décentralisation et toutes les formes de partenariat avec les collectivités locales et les professionnels sont à examiner (p. 67 à p. 75).

. La mise en œuvre de nouveaux modes de travail et d'organisation à tous les niveaux du système éducatif

     Il s'agit de faire naître les initiatives, d'offrir à ceux qui veulent innover les centres de ressources, les moyens de rencontre et d'échange, l'assistance qu'ils sont en droit d'attendre de l'institution selon la place à laquelle ils travaillent. Mais il faut en même temps savoir canaliser le meilleur de ces initiatives afin d'en faire profiter le plus grand nombre. Il faut apprendre à passer, sur le plan pédagogique, d'une logique individuelle à une logique collective qui n'enlève rien à l'autonomie de l'enseignant dans sa classe mais permet que les découvertes de certains soient mises au service de tous. Pour y parvenir, il est essentiel d'utiliser au maximum les possibilités offertes par les réseaux télématiques pour mettre en communication les différents partenaires et favoriser la circulation des idées (cf. p. 30, 52 et 79).

. La mise à jour de textes et règlements administratifs et budgétaires.

     Certains textes posent des problèmes d'application à cause de la non prise en compte des technologies nouvelles; ils doivent faire l'objet des mises à jour et des compléments qui consacreront comme normale l'utilisation de ces technologies dans tous les secteurs de l'éducation (achats de matériels, frais de téléphone pour les liaisons télématiques, logiciels régulièrement acquis, droit d'auteur, droit d'usage, etc.).

Quelques principes pour y parvenir

. Privilégier l'établissement pour la mise en œuvre d'une politique des nouvelles technologies.

     Développer une dimension technologies nouvelles dans les projets d'établissements, par exemple dans le cadre des fonds d'aide à l'innovation, les aider en élaborant un guide présentant des études de cas représentatives de la majorité des situations et une sorte de check-list pour le démarrage.

. Privilégier toutes les formes de partenariat qui peuvent bénéficier au système éducatif.

     Travailler avec d'autres partenaires ayant une expérience différente ou plus avancée afin de bénéficier de leur savoir-faire, notamment collaborer avec les acteurs de la formation professionnelle continue dans l'Éducation nationale et, dans les entreprises, avec les professionnels des nouvelles technologies.

. Prévoir pour chaque expérimentation des objectifs, un calendrier de travail et des modalités d'évaluation intermédiaires et terminales.

     II s'agit ici d'une part de prolonger les nombreuses expérimentations déjà conduites, mais de le faire avec beaucoup plus de rigueur et d'efficacité, d'autre part d'aller plus loin en développant par exemple des établissements expérimentaux sous le triple aspect des matériels et logiciels, de la formation des enseignants et des pratiques des élèves. Cela permettrait de préparer les documents pédagogiques et les formations qui, lors de nouvelles opérations à grande échelle, devraient précéder ou accompagner la mise en place, mais pas être à construire, comme cela s'est souvent produit dans les opérations passées. Accepter également quelquefois l'idée d'expérimenter avec des équipements dont on sait qu'ils ne sont pas complètement adaptés à l'usage que l'on en fait, ceci avec l'objectif d'acquérir un savoir faire.

. Aller vers les généralisations par changement d'échelle progressif

     Obtenir des résultats significatifs pour une généralisation progressive et constituer autant de nœuds dans un réseau de plus en plus dense d'établissements et de secteurs thématiques ressources. Cela peut vouloir dire travailler sur un établissement entier dans le cadre de son projet là où on travaillait avec seulement une équipe motivée; on peut aussi suggérer les écoles, collèges et lycées d'un même bassin d'emploi avec, par exemple, la participation des collectivités et industries locales, ou encore tout un secteur thématique comme les langues vivantes en BEP ou la lecture et la production de textes en section d'enseignement spécialisé de collège (SES) en vue de poursuite d'études en CAP et BEP.

. Distinguer les études prospectives, l'évaluation des actions en cours et la gestion du quotidien

     S'il est essentiel que les acteurs en charge de ces différentes missions communiquent bien entre eux, les responsabilités doivent, par contre, être nettement séparées. Un comité permanent faisant appel à des experts d'horizons variés selon les sujets à étudier pourrait être chargé de la prospective.

. Utiliser les potentialités des nouvelles technologies pour leur mise en place

     Donner l'exemple en utilisant les nouvelles technologies dans la formation des personnels, dans la conduite et l'évaluation des expérimentations, dans la mise à disposition de ressources, les affectations de matériels, etc.

 

     Enfin nous voudrions souligner que toutes ces recommandations seraient vaines sans un souci constant de cohérence entre tous les projets sectoriels. Le plus difficile n'est pas de bien penser des actions de formation ou de mettre en œuvre un dispositif de test de logiciels, ou de rénover les programmes de telle ou telle formation. Il faut aussi et en même temps prendre en compte les relations qui existent entre ces différents secteurs et les contraintes que les uns font nécessairement peser sur les autres. Nous pensons que c'est ce qui manque le plus, actuellement, pour un meilleur développement des technologies nouvelles dans le système éducatif et que cette forme de cohérence ne peut être assurée que par une coordination située au plus haut niveau, c'est-à-dire auprès du ministre et du secrétaire d'État, en relation avec les autres départements ministériels concernés.

 

Paru dans le Bulletin de l'EPI   n° 56 de décembre 1989.
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