Contribution du groupe « LOGICIEL » de l'EPI
 

I - HISTORIQUE

     Dès le début de l'informatique en milieu éducatif, la création des logiciels a été du ressort des enseignants du terrain. Mais, de la coordination mise en place pour échanger idées, expériences et logiciels, on en est venu à une conception plus centralisatrice. En effet, est apparu assez vite un besoin d'informatisation dans certains domaines :

  • Uniformisation au niveau du logiciel et des outils de développement : le LSE, créé par l'E.N., lui a assuré sa complète autonomie. Si ce choix a permis un indéniable bond en avant jusque vers 1985, il s'est trouvé fort critiqué ces dernières années, compte tenu notamment de l'évolution des matériels. Faut-il en 1989 un standard logiciel dans l'E.N. ?

  • Uniformisation au niveau des matériels : un cahier des charges précis était établi pour chaque appel d'offres, mais ce n'est pas notre propos.

     C'est l'ULE qui était l'organisme central chargé de la réalisation et de la diffusion des logiciels. Service public, il mettait à disposition de tous les établissements dotés en matériel les logiciels développés par lui ou achetés à l'extérieur et constamment maintenus ; tout cela gratuitement ou au coût du support. Cela a permis de développer des logiciels ambitieux, des logiciels « pointus » (c'est-à-dire s'adressant à un public peu nombreux), logiciels qu'aucun éditeur privé n'aurait accepté de publier.

     La déferlante I.P.T. a entraîné des dotations massives en matériels et logiciels. À cause de la confection très rapide du catalogue des logiciels, beaucoup d'entre eux n'avaient reçu aucune validation ni technique ni pédagogique ; d'où de nombreux découragements et une certaine perte de crédibilité pour l'informatique. En matière de logiciels, il importe d'avancer régulièrement et de ne pas brûler d'étapes.

Après I.P.T., la suppression du service public de production a conduit à des situations fort variables d'une académie à l'autre. Il n'y a plus de politique nationale pour le logiciel éducatif ; le relais n'a pas été pris dans toutes les académies ; dans certaines, rien ne se fait en matière de création : les enseignants qui le souhaitent n'ont plus la possibilité de s'exprimer dans le service public. Pour d'autres académies, la décision d'éditer a entraîné la création d'un atelier logiciel, qui s'est doté d'outils de développement ; ce sont probablement les mêmes outils qui ont été créés dans l'académie voisine. Ce n'est pas une économie ! De plus la taille d'une académie ne peut pas conduire à des développements pour les publics restreints (encore plus restreints au niveau d'une académie, qu'au niveau national).

     Il apparaît que certaines tâches sont plutôt l'objet d'un travail national ; il faut, en conséquence, créer un Atelier Logiciel National. (voir ci-après III). De plus une politique nationale du logiciel est souhaitable : elle serait garante d'une certaine continuité (après la création puis l'abandon du LSE, on peut craindre un abandon trop rapide des nanoréseaux, alors que l'on pourrait encore essayer d'exploiter au mieux cet outil qui a au moins un mérite : celui d'exister).

II - LES LICENCES MIXTES

Le constat

     Les licences mixtes sont un indéniable succès médiatique ; elles ont été bien accueillies par les enseignants. De nombreux établissements scolaires peuvent acheter à des prix intéressants les logiciels proposés. Enfin ce type de vente permet une lutte efficace contre le piratage et permet une certaine normalisation des usages de logiciels.

     Mais les licences mixtes n'ont pas résolu tous les problèmes, elles ont même entraîné plusieurs effets pervers :

  • Le choix des logiciels proposés en licence mixte est discutable et a été fait sans concertation :

    • Trois logiciels intégrés (Framework, Word, Open Access Junior) se font concurrence. Un seul aurait sans doute suffi.

    • Le nombre de logiciels « pédagogiques » est assez restreint. Y a-t-il une raison ?

  • Le prix payé par l'E.N. ne se limite pas au prix d'achat des logiciels par les établissements scolaires. Il faut y ajouter le prix de la licence. N'y a-t-il pas d'autres solutions ? D'autant que le premier degré est exclu du marché.

  • Les éditeurs étrangers (ou leurs filiales) ont eu, au moins dans la première tranche, la plus grande part du marché. N'a-t-on pas, par ce biais, contribué à augmenter les difficultés de l'industrie française du logiciel éducatif ? En tout cas, les licences mixtes n'ont en rien aidé cette industrie.

  • Les établissements scolaires du Second Degré ont reçu une dotation financière pour acheter des logiciels ; devant le problème du choix, l'argument du prix peut être décisif. Concrètement, on peut être tenté d'acheter un logiciel parce qu'il vaut six fois moins cher que son prix habituel et non pas parce que le logiciel correspond à un besoin. Certains logiciels achetés en licence mixte sont encore dans leur emballage d'origine dans les placards des établissements qui les ont achetés.

     Enfin il faut prendre en compte la spécificité des logiciels d'enseignement. S'il est vrai que l'on y trouve des caractéristiques communes aux autres logiciels : portabilité, fiabilité, ergonomie, documentation, il ne faut pas oublier certains traits spécifiques :

  • le cahier des charges d'un logiciel pédagogique est beaucoup plus flou ;

  • le plus souvent il ne doit pas résoudre un problème précis mais plutôt modifier un comportement ; il n'est pas indépendant de son utilisateur ;

  • l'évolution sérieuse d'un logiciel pédagogique est quasiment impossible tant les modes et les motivations bouleversent en permanence les critères d'appréciation ;

  • d'un point de vue économique le faible taux d'utilisation, les coûts élevés de développement font que les sociétés et les éditeurs ne peuvent développer que quelques pièces d'un ensemble dont peu de gens voient l'architecture globale et les lignes directrices essentielles,

  • l'évolution des matériels et leur diffusion massive vont modifier les usages aussi bien dans le vie courante que dans le monde scolaire.

     L'approche pragmatique de ces dernières années cache difficilement une absence d'orientation générale stable ; tous les renoncements observés depuis 15 ans illustrent cette situation.

Les propositions

     Les licences mixtes ne sont pas la seule façon d'appréhender le problème logiciel dans l'E.N. :

  • On peut concevoir l'achat par le Ministère d'une licence d'utilisation gratuite pour tous les établissements scolaires (y compris le 1er degré) ;

  • On peut proposer la création d'un Atelier Logiciel National (voir ci-dessous).

     Si le principe des licences mixtes se devait d'être reconduit, qu'il le soit avec plus de soin apporté dans le choix des logiciels et avec plus de transparence dans ce choix, une concertation avec l'EPI, avec les organisations concernées étant indispensable.

III - L'ATELIER LOGICIEL NATIONAL

Le constat

     Certaines tâches sont faites dans toutes les académies : étude des logiciels existants, synthèses, fiches d'utilisation. Partout où l'on crée du logiciel, les auteurs se construisent leurs outils de développement, et ce sont souvent les mêmes.

     D'autre part, une académie est une entité trop petite pour certaines sections d'enseignement. Il y a donc peu de chances de voir une académie se lancer dans l'édition d'un logiciel technique sur la chaudronnerie ou l'habillement. Au niveau national, cela peut être envisagé.

     Les éditeurs privés sont, par nature, préoccupés de rentabilité commerciale et négligent les marchés étroits (c'est-à-dire ceux qui utilisent des matériels peu répandus ou qui s'adressent à des filières d'enseignement assez rares). La rentabilité commerciale doit-elle être le seul critère de présence de logiciels éducatifs sur le marché ?

Les propositions

     La création d'un Atelier Logiciel National nous semble prioritaire. Ce serait un service public au service du public. Il devrait être le volant logiciel d'un projet informatique qui serait à la fois global et volontariste. Il serait chargé de l'édition et de la diffusion de logiciels dont les enseignants ont besoin. Il pourrait aussi mettre à disposition des académies des outils de développement. La diffusion serait faite au prix du support par les réseaux de distribution (réseaux CNDP, centres de ressources).

     La validation des logiciels serait sous la responsabilité d'une structure indépendante du type « Comité Scientifique National ».

     La rentabilité commerciale n'étant pas le moteur de l'Atelier Logiciel National, il serait possible pour chaque logiciel, que soient en contact, l'auteur, le développeur et la personne chargée de la diffusion. Il serait alors possible de fournir avec chaque logiciel une documentation vraiment pédagogique et informative.

     L'Atelier Logiciel National serait aussi chargé de la gestion de la didacthèque nationale.

     Dans notre esprit, cet Atelier ne doit en aucun cas être en situation de monopole (le monopole d'édition privée qui existe actuellement ne nous semble pas non plus souhaitable). Au contraire la collaboration entre les secteurs public et privé nous semble être le mode normal de fonctionnement : coéditions possibles, sous-traitance, collaborations techniques.

IV - LOGICIELS PÉDAGOGIQUES

     Après avoir exploré de nombreuses pistes et réfléchi longuement, l'EPI constate une nouvelle fois l'impossibilité d'une édition de logiciels en son sein (problèmes techniques, de disponibilité, problèmes éthiques aussi).

     Le respect des diversités pédagogiques rend nécessaire la présence sur le marché de nombreux logiciels éducatifs diversifiés. Un logiciel ouvert est une assurance d'adaptabilité. Un logiciel éducatif doit être d'une utilisation assez simple pour ne pas alourdir les tâches de l'enseignant.

     On a besoin, en logiciels, aussi bien de grands progiciels puissants et performants que de petits logiciels, simples et sans prétention. Il n'y a pas antinomie mais complémentarité. Le service public se devrait de récolter ces « petits » logiciels et de les mettre gratuitement à disposition des enseignants en les proposant en téléchargement sur un serveur télématique, EDUTEL, par exemple. Cela ne pose désormais plus aucun problème technique. Ce serait un libre-service pédagogique.

     Enfin, ne pas oublier les logiciels-outils : grapheurs, traitement de textes, gestionnaires de Q.C.M., langages-auteurs..., ils ont aussi des applications pédagogiques.

V - LES LOGICIELS DANS LES ÉTABLISSEMENTS

     Une salle informatique, dans un établissement scolaire est utilisée sous de nombreux aspects :

  • utilisation de logiciels pédagogiques par le élèves, pendant les heures normales de cours ;

  • utilisation de logiciels par les professeurs devant sa classe pour présenter ou illustrer une notion ;

  • utilisation d'outils informatique (logiciels techniques, traitements de texte, tableurs, grapheurs...) par les élèves, mais aussi par le professeur pour préparer certains cours ;

  • utilisation de logiciels en soutien ou en libre-service ;

  • etc.

     Une salle informatique ne peut pas fonctionner seule. De nombreux problèmes se posent aussi bien par le matériel (gestion des pannes, réparation des petits problèmes...) que pour le logiciel (choix, mise en service, maintenance, présentation aux collègues, installation sur disque dur...). Tout cela demande un temps important et pourrait être du ressort d'un documentaliste informatique. C'est souvent sur la base du bénévolat que sont faites (plus ou moins bien) ces tâches. Il n'est même pas prévu dans les textes une heure de Labo (comme en Histoire-Géographie ou en Langue Vivante), ni des personnels de Labo (comme en Sciences). Pire, il n'existe même pas de circulaire faisant mention de ce travail et de sa rémunération possible en heures prélevées sur le contingent de l'établissement.

     En attendant, à moyen terme, la création de postes de documentalistes informatiques, il convient, à très court terme, de permettre à l'informatique pédagogique de fonctionner en créant des heures de laboratoire informatique dans tous les établissements.

EN CONCLUSION

     Les technologies nouvelles sont toujours un facteur porteur pour la modernisation du système éducatif. Un plan global et cohérent associant État et Collectivités Locales pourrait être développé : c'est dans ce contexte que nos propositions logicielles prendraient toute leur place. Elles n'ont de valeur que si la durée accompagne le développement de ces projets après que des lignes directrices stables auront été définies. Investissement en profondeur, elles ne constituent pas une opération médiatique. On ne peut espérer de résultats immédiat et miraculeux, mais il est raisonnable d'en attendre à moyen terme un effet fécond dans l'ensemble du système éducatif.

23 mars 89 au 1er mai 89

AUDOYER Max - BARRAULT James
BERTHON Jean-Luc - ROBERT Michel
ILLARY Jean-Claude - LUCY Jacques
MASLIAH Maurice - GUICHARD Jean-Paul

Paru dans le Bulletin de l'EPI  n° 55 de septembre 1989.
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