ÉDITORIAL Il y a près de deux ans, après avoir déploré l'absence d'une véritable pédagogie des utilisations de l'informatique dans l'enseignement, Monsieur MONORY lançait le NOUVEAU PLAN NATIONAL INFORMATIQUE. Le moment est venu d'apprécier le chemin parcouru. Si l'on met à part l'effort exceptionnel pour l'enseignement privé, des priorités apparaissent. Les logiciels ont été l'objet d'attentions particulières et soutenues. Certes l'on peut regretter la longueur des procédures, le souci de privilégier les éditeurs privés, la lourdeur et le peu de productivité du système des concours de scénarios, l'importance accordée aux outils professionnels, compte tenu de la place relativement modeste des nouveaux logiciels éducatifs - notamment pour le nanoréseau - et même l'oubli quasi total des petites machines pourtant les plus nombreuses... Il n'empêche que des moyens importants ont été dégagés et que l'abondance des commandes de produits sous licences comme des logiciels du catalogue du CNDP témoigne d'un certain succès. Encore faut-il déplorer la situation faite aux écoles et l'embrouillamini de l'enseignement supérieur qu'illustrent, entre autres, les suites de « l'affaire de Toulouse ». Dans deux autres domaines, enseignements technique et professionnel et classes préparatoires, des réalisations conséquentes sont en cours. Les équipements y posent moins de problèmes que « l'incontournable » formation des enseignants et l'adaptation pédagogique de l'informatique professionnelle. Sans sous-estimer les éléments positifs de ces actions, ne faut-il pas souligner le décalage entre la réalité présente et les annonces solennelles dont les effets médiatiques sont encore dans les mémoires ? Où en sont les nouvelles orientations (simulation, bases de données...), la généralisation de l'option des lycées, le grand marché français de progiciels éducatifs, la nouvelle pédagogie des usages de l'outil informatique ? Les retards accumulés, le repli sur des secteurs limités traduisent un certain essoufflement. Le désenchantement gagne nombre d'enseignants parmi les plus « impliqués ». L'hétérogénéité croissante du dispositif de déploiement de l'informatique dans le système scolaire n'y est pas pour rien. Les cloisonnements se renforcent partout isolant les ordres, les types d'enseignement (écoles/collèges-lycées/supérieur – enseignement général/enseignements technologiques...). La communication ne progresse guère : comment concilier les orientations d'EDUTEL avec celles des réseaux télématiques d'IPT ? Que fait-on de tous les minitels des écoles et établissements ? La décentralisation, les choix et les possibilités variables des collectivités territoriales, la disparité des moyens des établissements et écoles multiplient les inégalités ; ici des machines renouvelées par dizaines, là un vieux Thomson ou plus rien du tout. Le service public y perd toute cohérence. Mais surtout est en cause le potentiel humain, facteur décisif de tout progrès pédagogique. L'intérêt manifesté par le Ministre pour les centres universitaires de formation, les écoles normales, les formations informatiques longues (conférence de presse du 5 février 1987) n'a pas été traduit dans les faits. Alors qu'une note récente de la Direction des lycées et collèges rappelle l'importance des formations approfondies aux usages pédagogiques de l'informatique (cf. rubrique DOCUMENTS de ce bulletin), ces formations ont disparu ou sont en voie de disparition dans de nombreuses académies ; le sort de plusieurs centres est déjà scellé et la suppression annoncée du CFAPI de Jussieu prend valeur de symbole... Les plans de formation académiques et autres offrent certes nombre de stages le plus souvent courts, éparpillés ; mais que de formations sans lendemain ! Le vivier des formateurs, des animateurs « engagés » se renouvelle mal, s'appauvrit ; l'avenir en est compromis. Suppression de stages, de centres de formation, réduction drastique d'équipes de formateurs, de moyens en personnel... le recul global est net. Il ajoute ses effets nocifs à ceux de la réduction des recherches, des expérimentations. Là est notre principale inquiétude, d'autant plus grande qu'il aurait fallu beaucoup progresser dans ces domaines pour acquérir les capacités permettant de réussir l'urgente introduction de l'informatique pédagogique dans toutes les formations initiales des maîtres. Et pourtant, que de discours sur la formation, la recherche, sur la nécessité de moderniser vite l'enseignement par l'appel aux techniques nouvelles pour répondre aux défis de demain ! Peu à peu se dissipent les illusions : illusion des réalisations exemplaires d'une minorité très active et dévouée d'enthousiastes que tous disent admirer sans souci de suivre leur exemple, illusion d'établissements exceptionnels, vitrines qu'on montre sans vouloir les multiplier, illusion de quelques académies modèles cachant les difficultés des autres... la démobilisation menace. Le moment du choix est venu. Va-t-on abandonner les ambitions sans cesse affichées de 1980 à 1987 ? Beaucoup d'efforts devront être faits pour retrouver élan et dynamisme. Pour un nouveau départ ne faut-il pas rassembler et valoriser le potentiel humain existant, développer les formations, les recherches, les expérimentations ? Cela nous paraît devoir passer par la mise en place rapide d'organismes permanents de concertation et de proposition associant toutes les parties concernées et d'abord les enseignants. Forte de son expérience, de sa représentativité, l'EPI est prête à contribuer à la relance, manifestant ainsi une nouvelle fois sa préoccupation constante des progrès de l'informatique pédagogique française. Jacques Baudé Paru dans le Bulletin de l'EPI n° 50 de juin 1988. ___________________ |