Éditorial
 

     Depuis plus de dix ans, l'E.P.I. demande l'introduction de l'informatique dans la scolarité obligatoire. Cette introduction est réalisée par les nouveaux programmes et instructions des écoles et des collèges. Les passages où y est évoquée l'informatique sont rassemblés ici dans la rubrique DOCUMENTS ce qui, évidemment, ne saurait dispenser quiconque d'une lecture exhaustive.

     Cette présence de l'informatique témoigne d'un progrès sensible. Jusque là, pour les écoles et les collèges, les seuls textes réglementaires étaient ceux d'INFORMATIQUE POUR TOUS (IPT) ; pour le reste, il ne s'agissait que de circulaires, notes... hétéroclites, de portée limitée et pas toujours publiées. Par les deux arrêtés des 23 avril et 14 novembre 1985, l'informatique entre dans la scolarité obligatoire ; pour les écoles elle est même prioritaire – il est vrai qu'à ce niveau, il y a beaucoup de priorités – On passe ainsi de l'expérimental à l'institutionnel et tous les enseignants des écoles et d'es collèges sont concernés. Conjuguée avec le dispositif de masse d'IPT, cette entrée devrait favoriser le large débat sur l'informatique pédagogique tant réclamé par l'E.P.I.

     Mais la satisfaction ne va pas sans regrets. Pourquoi pérenniser l'absurde querelle entre l'informatique moyen et l'informatique objet d'enseignement ? Si cette dernière et ses implications culturelles sont évoquées dans les deux textes, celui des écoles « oublie » l'informatique instrument d'enseignement qui est seulement rappelée dans les compléments et par une note discrète de bas de page annonçant un texte ultérieur ; l'orientation même d'IPT est ainsi contestée.

     L'ordinateur est présenté comme un assistant docile, facilitant l'auto-perfectionnement, un nouvel adjuvant pour le vieil enseignement. Par ignorance des capacités expansives de la « bidouille » et de l'à peu près, l'informatique est identifiée à rigueur et précision. Et contradictoirement sont réduits ses usages (pour l'école : lecture-écriture puis sciences et technologie au cours moyen) et sont soulignées les difficultés, les limites, les contraintes de l'informatique au collège ; la frugalité informatique y est de règle sauf peut-être en français et en biologie-géologie. En technologie, où l'informatique est « incontournable », l'embarras du propos résulte de la contradiction entre une informatique conçue comme élément secondaire de la technologie « classique », encore toute imprégnée de mécanique, (priorité aux automatismes, électronique dédiée à chaque machine-outil, assimilation du logiciel à un objet technique banal) et l'affirmation qu'elle constitue un champ propre méritant une large autonomie et un enseignement spécifique (« universalité » de l'ordinateur, des méthodes, polyvalence des langages). Enfin au regard des réalisations en école maternelle, que penser de l'unique petite phrase de la circulaire sur les « objets informatisés » qui « peuvent rendre des services » ?

     La volonté de publier rapidement ne justifie pas qu'on ait bâclé. L'éparpillement, l'absence de cohérence masquent mal les concurrences, les réticences voire les résistances. Cette situation devrait être améliorée par les commentaires des programmes des collèges et par les textes des lycées.

     N'oublions pas que, dans peu d'années, nous enseignerons à des élèves ayant une pratique, une expérience informatiques. L'ordinateur n'est pas un outil comme un autre ; l'informatique désacralise les savoirs, bouscule les méthodes, stimule les initiatives, met en cause notre système scolaire. Ainsi, dans la scolarité obligatoire, que de progrès restent encore à réaliser avant de pouvoir envisager de faire de l'informatique une discipline à part entière, ce qui parait pourtant, à terme, inéluctable !

Émilien Pélisset
22 février 1986

Paru dans le Bulletin de l'EPI  n° 41 de mars 1986.
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