PLAIDOYER POUR LA MAINTENANCE INFORMATIQUE

Philippe GALIANA

 

     Le temps des pionniers est révolu. Progressivement, nous quittons la période d'expérimentation de la pratique des TICE pour entrer dans une phase de généralisation. Les programmes des disciplines intègrent chaque jour davantage l'usage de l'ordinateur dans la classe, pour le professeur comme pour les élèves. Les TICE sont souvent au cœur des derniers dispositifs interdisciplinaires que sont les travaux croisés, les parcours diversifiés et les TPE. Le parc de micro-ordinateurs devient de plus en plus important et hétérogène. Pour autant, bien peu de décideurs semblent avoir compris qu'un parc informatique s'entretient, et qu'au-delà d'un certain nombre de machines, il faut un administrateur réseau pour que ledit réseau fonctionne.

QUI SONT LES RESPONSABLES DE LA MAINTENANCE ?

     À quelques très rares exceptions, les ATOS spécialisés en informatique ne sont jamais arrivés dans les établissements. On comprend aisément pourquoi lorsqu'on examine le niveau de compétence requis et la rémunération d'un ATOS... Du fait, le responsable de la maintenance se trouve être en général un enseignant qui a commencé par faire ses preuves du côté pédagogique puis "on" l'a appelé pour de l'administratif où les responsabilités sont autres.

     On trouve aussi des surveillants ou plus rarement un emploi-jeune pour occuper ce poste. Aucun n'a été recruté pour cela. C'est la passion de l'informatique qui les anime. Tout du moins au début.

La tâche est lourde

     À côté de sa mission d'enseignant ou de surveillant, le responsable de la maintenance devra s'acquitter d'un grand nombre de tâches car le terme de maintenance est à prendre dans son acception la plus large. Cette fonction réclame compétence, présence, réactivité et formation.

Les différentes formes de maintenance

     Les interventions du responsable de la maintenance concernent essentiellement le(s) serveur(s), les postes clients et la gestion des projets TICE de l'établissement. Parallèlement, il se tient informé des dernières avancées technologiques et doit prendre le temps de lire la presse spécialisée (cette dernière n'étant pas disponible dans l'établissement, bien souvent il lui faudra mettre la main à la poche pour se la procurer.)

     Mis à part ses compétences techniques, le responsable de la maintenance fait preuve de qualités relationnelles avec l'équipe pédagogique et administrative. Il prodigue des conseils et se rend disponible pour répondre aux demandes spécifiques des collègues. En cas de panne, il rentre très tard chez lui et se prépare à résister aux airs goguenards et aux critiques de certains collègues qui ne font rien par ailleurs, mais qui usent des salles informatiques tout en malmenant le matériel. Bref, du surmenage garanti.

     Voici une liste non exhaustive des charges qui incombent au responsable maintenance :

  • il est l'interlocuteur du dispositif académique ;
  • il tient à jour un cahier des anomalies et des interventions ;
  • il détient les différents mots de passe et le descriptif des configurations ;
  • il organise le classement de la documentation technique et des sauvegardes de logiciels ;
  • il remet en état, lorsque c'est nécessaire, les configurations (systèmes et logiciels) ;
  • il est en relation avec les services d'intendance de l'établissement pour assurer l'approvisionnement en consommables et suivre les consommations ;
  • il propose des règles d'utilisation conformes au projet de l'établissement ;
  • il planifie des séances de présentation de ressources pédagogiques ;
  • il reçoit et diffuse des informations pédagogiques utiles aux collègues ;
  • il transmet au dispositif académique avec l'accord de ses collègues et sous couvert du chef d'établissement, les documents pédagogiques élaborés dans l'établissement ;
  • il gère les comptes utilisateurs et les connexion réseau ;
  • il met en place des protections ;
  • il a une bonne connaissances de tous les logiciels utilisés dans l'établissement ;
  • il veille à la mise à jour des logiciels ;
  • il fait la mise à jour des signatures de virus ;
  • il développe de nouvelles fonctionnalités sur le serveur ;
  • il procède à la mise à jour de la base élèves pour le logiciel de gestion des bulletins scolaires ;
  • il tient à jour les comptes de la messagerie électronique ;
  • il met à jour les pages sur le site internet et intranet de l'établissement ;
  • il gère le forfait internet (consommation d'heures) ;
  • il crée et gère les ressources communes disponibles sur le(s) serveur(s).

Puis vient l'usure et la grogne

     Il est clair que la plupart des établissements du secondaire n'ont pas les moyens financiers de faire appel à une entreprise extérieure pour chaque panne informatique. À titre d'exemple, l'heure d'intervention sur un poste client à J+1 peut être facturée 800 F ht + pièces. Un forfait pour la maintenance d'un réseau de 26 à 35 postes comprenant 4 visites et 4 assistances téléphoniques dans le mois peut être facturé 15 000 F ht !

     Il faut donc faire avec les moyens du bord car à ce jour, les Conseils Généraux investissent en matériel et ferment les yeux sur ce qu'ils deviennent en fin de garantie. Le Ministère ne prévoit aucune heure dans la DGH pour la maintenance informatique... Du fait, les chefs d'établissement, selon leur degré de débrouillardise, s'organisent pour obtenir des heures supplémentaires ou bien ils essaient de détourner des heures de remplacement afin de rémunérer le responsable de la maintenance. Souvent il faut prendre sur la DGH au détriment des heures d'enseignement...

     Pour palier le manque de moyens, le chef d'établissement accorde au professeur responsable de la maintenance soit des heures de décharge, soit des heures supplémentaires. Ce nombre d'heures est à géométrie variable et bien souvent assez ridicule au regard du travail effectué. Aucun texte ne définit cette activité.

     Que ce soit en heures de décharge ou en heures supplémentaires, le chef d'établissement n'est pas assez riche pour compenser le travail fourni ; alors il fait valoir auprès du professeur responsable de la maintenance que les heures se font sans la présence d'élèves et dans ce cas la règle est qu'une heure sans élève est équivalente à deux heures de travail. Le tour est joué et cette solution permet au chef d'établissement de rétribuer l'heure de maintenance aux environs de 125 Frs. Ne parlons pas du tarif horaire pour un surveillant ou un emploi-jeune... Il s'agit là d'une véritable exploitation organisée !

     Bien que la règle "une heure sans élève est équivalente à deux heures de travail" soit devenue monnaie courante, la totalité des responsables de maintenance ne lui trouve aucune justification et militent pour qu'elle ne s'applique pas à cette situation relativement nouvelle d'autant qu'elle est sans aucune mesure avec la quantité de travail fourni. La réalité du terrain est bien plus proche de l'expression "1 heure payée pour 8 heures faites" !

     Proposez cette règle chez Thomson, Bouygues ou autres, et observez (très vite !) le regard de vos interlocuteurs... et commencez à courir (encore plus vite !).

     Ceux qui ont accepté s'aperçoivent au fil du temps que le nombre d'ordinateurs et d'actions TICE croissent ; que la rétribution reste inadaptée et misérable. Ils observent que ce qui au début était un plus pour lequel on remerciait est aujourd'hui devenu un dû. Alors, la patience s'effrite. La passion de l'informatique ne suffit plus, la grogne s'installe, la démission survient et les candidats à la relève ne se bousculent pas.

     Dans les écoles primaires la situation est bien pire. Ni décharge partielle ni heures supplémentaires ! Rendons hommage aux instituteurs et professeurs des écoles qui envers et contre tout se dévouent à leur mission. Les établissements où un réseau fonctionne sont le fait de quelques collègues enthousiastes bénévoles s'étant auto-formés.

     Pour ce qui est des installations de logiciels et petits déblocages, on se débrouille comme on peut avec la compétence à bord et l'intervention épisodique d'un FIP (formateur en informatique pédagogique) qui n'est malheureusement pas toujours disponible...

     Il se trouve qu'actuellement le matériel est dans la plupart des écoles sous-employé du fait de la nouveauté du phénomène mais des moyens vont être débloqués pour accélérer l'équipement des primaires. Il y a fort à parier que les problèmes de maintenance vont s'amplifier. B2i [1] oblige...

Des conditions acceptables

     Par respect pour les enseignants, les surveillants, les emplois-jeunes et les élèves, le Ministère de l'Éducation nationale et les Conseils généraux doivent mesurer les enjeux. Il ne suffit pas de doter les établissements en matériel. Il est grand temps que les décideurs définissent clairement cette nouvelle mission de maintenance informatique et qu'un budget lui soit spécifiquement affecté. Des emplois sont à créer. Le D.U.T. de Maintenance informatique existe.

     Une présence sur le terrain est indispensable quoiqu'en disent certains. On ne peut pas demander aux différents personnels de gérer entièrement leurs sauvegardes, les conflits d'installation, la maintenance des postes. On est Secrétaire ou Proviseur ou Professeur ou Intendant et le service informatique doit prendre en charge ces préoccupations. Prenons exemple sur l'entreprise. Intégrons la notion de "Rentabilité". Pour l'heure nous ne connaissons qu'une notion, celle de "Coût minimaliste".

     Les responsables de la maintenance, se regroupent sur une liste de diffusion [2] afin d'organiser l'entraide, partager les solutions et proposer des modes de fonctionnements que les syndicats ne semblent pas capables de relayer.

     Je me fais ici le porte-parole de cette liste en avançant la proposition d'un collègue de lycée qui a imaginé une structure parallèle à celle de l'Intendance :

  • un Intendant pour un gros établissement et quelques établissements rattachés ;
  • un Directeur Informatique pour un gros établissement et quelques établissements rattachés ;
  • un Attaché d'Intendance par établissement en liaison avec l'Intendant ;
  • un Technicien Informatique par établissement, en liaison avec le Directeur Informatique ;
  • un OP électricien attaché uniquement à résoudre rapidement les problèmes de sécurité ;
  • un OP Informatique attaché uniquement aux dépannages d'urgence ;
  • une rémunération liée à la masse financière et au nombre d'établissements gérés ;
  • une rémunération liée à la masse de matériels informatiques et au nombre de réseaux ;
  • l'Intendant est membre de droit du C.A. avec une voix ;
  • le Directeur informatique est membre du C.A. avec une voix ;
  • l'Intendant suit très régulièrement des formations en fonction des nouvelles réglementations ;
  • le Directeur informatique suit régulièrement des formations d'actualisation (Netware 5, Win2000S, Linux).

     Enfin, pour être attractif, le poste serait doté d'une position hiérarchique ne le soumettant pas totalement à la personne, mais l'obligeant à un consensus au niveau des Directions Administrative/Pédagogique et Financière.

Philippe GALIANA
Collège Henri IV de Vaujours
galiana@free.fr

Paru dans la  Revue de l'EPI  n° 102 de juin 2001.

NOTES

[1]. Brevet Informatique et Internet.

[2]http://club.voila.fr/do/info/salles-info.

___________________
(21 juin 2001)

 

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