Pédagogie du projet et
Technologies de l'Information et de la Communication
FABRIQUER UN CÉDÉROM AU CM2

Marc WEISSER

"Le projet repose sur la conscience d'un inédit possible."
Paulo Freire

Avertissement

     Ce qui suit décrit une utilisation banale des TIC. J'ai tenté en effet de montrer comment l'informatique s'intégrait, directement, naturellement, au travail quotidien d'une classe de cours moyen. Carrier (2000, p. 46) va dans ce sens quand il déclare que le multimédia n'est pas une discipline supplémentaire : "Il ne faut donc pas partir de l'apprentissage technique, mais de l'usage que les élèves peuvent en faire dans le cadre d'une finalité. C'est toute la différence entre un cours informatique et un enseignant recourant au multimédia. Cette entrée ne sera efficace que dans le cadre d'une pédagogie du projet."

     Le lecteur devra par conséquent s'attendre à un texte consacré à la description et à l'analyse d'une pratique pédagogique, plus qu'à un compte-rendu de technicien.

PROJET DE L'ÉLÈVE / OBJECTIFS DU MAÎTRE.

Le produit fini

     Les vingt-trois élèves du CM 2 ont réalisé un cédérom intitulé "Ottmarsheim Autrefois", qui traite en une cinquantaine de pages de l'histoire de notre village, de l'âge de bronze à nos jours. Ce travail s'inscrit dans le cadre plus large d'une fête médiévale (juin 2000) durant laquelle la classe a tenu un stand pour le présenter et le diffuser. Un tirage papier en a également été réalisé à l'intention des personnes ne possédant pas de lecteur.

     Chacune des pages du cédérom présente un document authentique et son commentaire rédigé par les élèves, ainsi que des documents iconographiques complémentaires. L'ensemble est désormais consultable sur notre site Internet : http://perso.wanadoo.fr/..ecoleottmarseim.

     Les pages sont mises en relation par des liens hypertexte grâce à deux index (chronologique, thématique) et directement de l'une à l'autre le cas échéant (voir ci-dessous).

Pédagogie du projet

     La création de ce cédérom représente un travail considérable qui a couru tout le long d'une année scolaire, sous la forme d'un projet pédagogique. J'entends par là que la fabrication de l'objet a été le prétexte, voire le moteur de l'acquisition d'une partie des objectifs au programme du cycle III. Pour reprendre la phrase de Freire citée en exergue, je dirai que le projet rend possible le dialogue entre prise de risque (il n'a jamais encore été réalisé, ni par les élèves, ni même par le maître, ni à l'école, ni même dans la commune) et planification (on ne peut pas se permettre en situation de responsabilité pédagogique de se lancer à l'aventure sans s'être assuré que cela ne se fera pas au détriment des élèves). Son premier rôle est donc de donner du sens aux apprentissages en montrant en grandeur réelle comment ces savoirs et savoir-faire vont s'intégrer à une réalisation plus vaste ; on sort ainsi de l'habituelle démarche scolaire (acquisition -& évaluation) qui a tendance à émietter quelque peu les connaissances et à les laisser sur le bord du chemin une fois la séquence achevée.

     Mais il semble bien (Mayes 1993, p. 44 et suivantes) que de plus dans notre cas, la conception d'un objet hypermédia (et pas son utilisation) débouche sur une maîtrise plus organisée, plus structurée des savoirs mis en jeu. La pédagogie du projet est alors aussi une école de rigueur, de ténacité ; si l'objet réalisé doit sortir de l'école pour être diffusé vers le public, un contrat moral est passé entre les élèves et l'enseignant : la production devra être de qualité, d'une qualité supérieure mais également autre par rapport aux écrits qui circulent seulement à l'intérieur de la classe.

     Le point essentiel pour le maître sera dès lors de veiller à ne pas scinder le projet global en micro-projets, mais en séquences d'apprentissage. Chacune comportera, comme dans toute situation scolaire, des moments de découverte et de mise au point, puis des productions destinées à être évaluées pour juger de l'acquisition des compétences recherchées.

     Ces productions parcellaires seront éventuellement retouchées une dernière fois par la suite pour s'intégrer au cédérom, un objectif pédagogique pouvant être atteint sans pour autant que le document rédigé par l'élève comme support d'évaluation soit entièrement acceptable socialement, soit diffusable en l'état.

Dérive productiviste

     Dans le cas contraire, on risque fort d'assister à une dérive productiviste de la pédagogie du projet (Bordallo et Ginestet 1995, p. 10). Le danger en est en effet que l'on soit plus attentif au produit qu'au processus, puisque c'est lui qui sera "montré", qui constituera la vitrine de la classe. Meirieu (1995, p. 49) nous met en garde contre ce travers quand il nous rend attentifs au fait que "l'effort d'apprentissage est plus coûteux que l'emploi de compétences préexistantes" : l'élan insufflé par la mise en projet, la motivation des élèves qui sont tendus vers cet objet-but, ne doivent pas faire oublier à l'enseignant que son rôle est de faire acquérir des compétences transférables à de multiples situations, celle qui est vécue dans le présent par la classe n'étant qu'une occasion parmi d'autres de recourir à ces savoirs et savoir-faire.

     J'essaierai donc dans ce qui suit de toujours distinguer

  • ce qui relève des aspects sociaux : le projet des élèves, le produit fini, sa réception par le public, etc.
  • de ce qui est à proprement parler du domaine pédagogique : les objectifs du maître, l'organisation des séquences, les modes de travail des élèves, etc.

     Mais il me reste avant cela, et pour rendre la relation de cette expérience plus lisible, à dresser un tableau chronologique de l'ensemble de la démarche.

Calendrier

     La planification s'est faite à rebours : puisque le travail de la classe avait été suscité par une fête communale dans laquelle il allait s'intégrer, la date butoir nous était imposée de l'extérieur : juin 2000.

     Les différentes phases ont été programmées avec une marge de sécurité suffisante pour tenir compte des impondérables de la profession (chacun de mes lecteurs praticiens s'y reconnaîtra) :

  • le dernier trimestre (avril à juin 2000) pour préparer la diffusion :
    • confectionner des affiches,
    • informer par voie de presse,
    • préparer le stand,
    • et avant tout, peaufiner et dupliquer le produit ;
    • >
  • les deux premiers trimestres (septembre 1999 à mars 2000) pour la création à proprement parler :
    • étudier les documents,
    • rechercher des témoignages verbaux et iconographiques complémentaires,
    • rédiger les commentaires ;
    • >
  • et donc les vacances d'été précédentes pour fouiner dans les archives départementales et communales, pour convaincre les élus de l'intérêt et de la faisabilité du projet, pour prendre quelques contacts avec les informateurs potentiels : au plan personnel, la pédagogie du projet motive l'enseignant lui aussi...

     Ce tableau est relativement complexe : sa lecture fait apparaître des activités simultanées, parallèles voire concurrentes, d'autres qui sont prérequises, d'autres encore qui marquent autant de points de synthèse provisoire (en grisé, ce qui est du seul ressort de l'enseignant). Mais le déroulement réel du projet est bien plus complexe encore.

     En effet, les élèves, par définition en cours d'apprentissage, ne maîtrisent pas intellectuellement tous les paramètres de la situation avant même la réalisation du cédérom. Par conséquent, ce qui apparaît ici comme une succession relativement linéaire et chronologique a été dans les faits une suite de retours en arrière, d'inflexions progressives du plan initial, à mesure que la compréhension progressait. L'important pour l'enseignant restant, sur le versant social, de tenir les délais quitte à faire des choix, et sur le versant pédagogique, d'assurer l'acquisition de tous les savoirs.

     Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le temps dévolu au projet ne représente qu'une fraction (un tiers ?) du temps scolaire, le restant étant occupé par des situations plus classiques. Ce qui évite à la fois la lassitude et la perte de vue d'objectifs qu'il n'est pas possible d'atteindre à travers la réalisation du projet.

LA DIMENSION SOCIALE DU PROJET

Au sein de la classe

     "La pédagogie du projet visant à des réalisations effectives donne un sens aux activités scolaires, comparable à celui des activités sociales" (Weiss et Gross 1987, p. 29) : la raison en est que les travaux qui sont demandés aux élèves ne restent pas épars, partagés entre les différents cahiers ou classeurs à vocation disciplinaire, mais convergent au contraire vers un but unique et clairement défini.

     Pour parvenir à cette prise de conscience de l'"utilité" directe des efforts qui leur sont demandés, les élèves ont été d'emblée associés à la planification du projet :

  • définition du projet : une première approche a été obtenue par l'utilisation de cédérom documentaires en provenance du commerce présentant une structure simple, analogue à celle visée en classe ;
  • repérage des étapes : la connaissance des logiciels de traitement de texte et l'habitude de travailler en chantiers d'écriture ont permis aux élèves de prévoir comment leurs productions écrites allaient être saisies, revues, corrigées puis stockées ;
  • récolte de documents : les élèves se sont petit à petit familiarisés avec le scanner et l'appareil photo numérique pour acquérir des images, les ajuster, les trier ;
  • gestion de la durée : même si nous savons que cette projection ne peut être qu'imparfaite, il a cependant été possible aux élèves de se donner des repères sur l'année complète (ce qui représente tout de même un dixième de leur existence, au CM 2 !) et d'acquérir petit à petit la capacité de respecter des échéances, cruciale chez de futurs collégiens qui auront à affronter bientôt emploi du temps et cahier de textes ;
  • analyse de la qualité des travaux : ce qui débouche sur une auto- hétéro- évaluation, la page réalisée par chaque groupe étant grâce aux TIC aisément dupliquée sur papier pour lecture par la classe, puis modifiée sur l'écran à peu de frais (en temps, en matériel, en énergie cognitive).

     Le rôle du maître à ce moment initial est surtout de rassurer les élèves en leur montrant que tous les problèmes n'ont pas à être résolus sur le champ, qu'ils représentent une réelle force de travail, et qu'il leur fait confiance en s'engageant personnellement dans la réussite du projet.

     Le cédérom comporte finalement quarante-trois textes rédigés par les élèves, soit en moyenne trois à quatre par groupe de deux. Chacun de ces travaux occupe une ou deux pages-écran (le format A4 a été conservé pour pouvoir passer plus facilement à l'exemplaire sur papier) et regroupe selon le cas :

  • le texte proprement dit, saisi par traitement de texte (Word, Write), qui analyse, commente, replace dans une perspective d'histoire nationale ;
  • le document authentique, acquis par scanner quand la photocopie était autorisée ou déjà disponible, ou par photographie numérique (archives communales et départementales) ;
  • des cartes, dessinées à la main puis enregistrées grâce au scanner ;
  • des tableaux renseignés directement à l'aide du traitement de texte ;
  • des photographies réalisées par les élèves à l'aide d'un appareil numérique au cours de sorties dans le village, dans le but de les comparer avec les documents anciens ;

le tout copié, collé, ajusté, déplacé, mis en page sous Publisher et finalement sauvegardé au format HTML.

     Ces pages ont été éditées en couleurs au fur et à mesure des travaux grâce à l'imprimante et affichées en classe, pour se tenir mutuellement informés des travaux des différents groupes, pour constater l'état d'avancement du projet par rapport aux échéances décidées en commun, pour construire collectivement la frise chronologique base de l'apprentissage en histoire, et ainsi faire plus facilement le lien avec les événements nationaux français ou allemands. Elles ont également été photocopiées en noir et blanc et collées dans le cahier d'histoire de chacun.

     Tous ces moments de communication, d'interaction ont fortement contribué à créer une atmosphère de groupe de travail au sein de la classe ; ils ont été enrichis et en fait, rendus possibles, grâce aux facilités reprographiques offertes par les TIC.

Se tourner vers l'extérieur

     Un tel projet n'est pas une tentative pour reconstituer artificiellement les conditions naturelles/sociales à l'école, mais un travail qui, authentiquement, va trouver sa place dans un réseau d'échange extérieur à la classe. Et c'est ce qui n'a pas manqué de se produire, dès son origine : un cédérom, même encore virtuel, constitue un objet suffisamment familier, dont chacun a une représentation du fonctionnement (même inexacte ou approximative), pour fédérer les énergies et entraîner l'adhésion des différents acteurs. Carrier (2000, p. 48) parle de "consensus entre tous les membres de la communauté éducative, des élèves aux enseignants, des parents d'élèves aux élus locaux" à propos de l'introduction du multimédia à l'école.

     C'est pour une classe un encouragement de voir que son travail est reconnu par d'autres adultes que le maître. Au moment de la diffusion du produit fini bien entendu, cette heure de vérité où d'autres vont tester et juger notre production, "l'occasion pour (nous) de prendre conscience de (notre) capacité à organiser une structure lisible" (Beaufils et Drouhard 1993, p. 201).

     Mais bien plus en amont également : nous avons ainsi vu nos premières pages, sortes de galops d'essai, être publiées dans le bulletin communal distribué à tous les habitants, et ce, par un simple échange de disquette avec les services compétents de la mairie ; puis nous avons réussi à les ajouter au site Internet de l'école, les mettant ainsi à la disposition du monde entier (à commencer par les postes des élèves dont les familles sont équipées, deux rues plus loin : qui peut le plus, peut le moins...).

     Quelle joie encore pour les élèves quand les décideurs locaux acceptent officiellement d'avancer les fonds nécessaires à la duplication sur supports disque et papier : eux aussi parient sur leur réussite.

Tableau récapitulatif des relations entre la classe et l'extérieur

     On voit aisément sur ce schéma que la classe est mise au centre d'un faisceau d'échanges avec le monde extérieur, le projet réconciliant ainsi savoirs sociaux et savoirs scolaires (Bordallo et Ginsetet 1995, p. 60). Et ceci parce que le produit fabriqué rend l'action de l'école lisible.

     Mais il faut se garder de confondre lisibilité sociale et réussite didactique : une pédagogie du projet n'a pas pour finalité de transformer l'école en usine, le monde de la production étant plus souvent basé sur la reproduction (des mêmes gestes, des mêmes attitudes) que sur l'apprentissage.

     Aussi est-il temps pour moi d'insister sur les aspects scolaires de ce travail.

LA DIMENSION PÉDAGOGIQUE DU PROJET

Organisation pédagogique

     En relation avec le calendrier Préparation - Fabrication - Diffusion (voir ci-dessus), j'aimerais insister sur trois moments caractéristiques de la démarche.

     Les leçons de lancement en premier lieu. Il s'agit de montrer aux élèves quelles possibilités leur sont offertes par les TIC et, dans le même mouvement, de les familiariser avec le genre de productions attendues d'eux dans le cadre du projet. La publication dans le bulletin communal de ces premiers travaux a ensuite pour but de faire adhérer les élèves au projet initié par l'enseignant.

     La première de ces leçons a fonctionné sur le mode de l'énigme : deux photographies anciennes ont été distribuées à l'ensemble de la classe (scanner + imprimante + photocopieuse), avec pour mission durant le week-end d'essayer de retrouver les mêmes endroits dans le village actuel. Une sortie encadrée a été organisée ensuite, les élèves menant leurs camarades aux lieux supposés. Après vérification par découverte d'éléments inchangés (bâtiments, points de vue), l'appareil photo numérique nous a permis de tirer un grand nombre de clichés, sans frais de film ni souci de gaspillage, dans le but d'obtenir le même cadrage. De retour à l'école, un groupe d'élèves s'est chargé de trier ces clichés et de retenir, par comparaison sur l'écran de l'ordinateur, ceux qui se rapprochaient le mieux des photos des années 1950. Un texte descriptif a finalement été rédigé en séance de français.

     La seconde de ces leçons nous a introduits à la paléographie (de façon modeste, s'entend), un manuscrit du XVIIIe siècle ayant été découvert à la mairie, qui projetait la construction de la route nationale desservant actuellement la commune. L'association scanner, imprimante, photocopieuse a rendu possible une nouvelle fois la multiplication d'un document rare, inconnu de nos concitoyens. Et la lecture d'image décrite ci-dessus s'est transformée en lecture de texte. Suivie, après quelques recherches complémentaires dans les usuels que sont les dictionnaires et les manuels d'histoire, de la rédaction de quelques commentaires explicatifs.

     Dans le même temps, des cédéroms documentaires simples ont été mis à la disposition des élèves, en consultation libre, mais accompagnés d'une grille de lecture en ce qui concerne leur structure : de quelle façon peut-on passer d'une page à l'autre ? à combien de pages différentes peut-on accéder ? comment sait-on quand on peut se rendre à une autre page ? quelles différences en cela avec un ouvrage documentaire sur papier ? etc. Le but étant ici de les familiariser petit à petit avec l'hypertextualité.

     Dans un deuxième temps, quelques réflexions sur le travail de groupe. Une fois que le principe de la composition d'une page a été compris, il devient possible de lancer le travail de groupe. Les élèves ont été associés deux à deux. Il me semble d'un point de vue pédagogique que c'est un nombre suffisant pour ce qui est demandé : il devient difficile d'analyser un même document à trois ou à quatre, une répartition des tâches plus stricte devient alors nécessaire. D'un point de vue informatique, il est également pertinent de ne se retrouver qu'en comité restreint devant l'ordinateur, l'un s'occupant du clavier et de la souris pendant que l'autre assure des va-et-vient entre le texte manuscrit et l'écran pour faire la chasse aux coquilles.

     Ces dyades ont été constituées sur le mode l'hétérogénéité des niveaux : appelées à durer, il est bon qu'elles deviennent des lieux d'interaction, d'apprentissage pour chacun, l'élève le plus faible poussant son camarade à expliciter ses savoirs et à ne plus s'en tenir à des automatismes, certes maîtrisés, mais de façon non consciente, figée, non questionnable.

     Ces travaux de groupes se répétant à des horaires fixes (en français, en histoire) tout au long des semaines, il a été facilement possible de s'adapter au niveau et à la vitesse des uns et des autres, aussi bien du côté de la remédiation en direction de ceux qui sont en difficulté, que dans le sens d'un approfondissement pour les plus efficaces. Il suffisait pour cela de disposer d'un stock conséquent de document prêts à être étudiés par des enfants de 10 ans, c'est-à-dire lisibles (d'où la nécessité souvent de les dactylographier, voire de les traduire au préalable : le maître aussi se sert du traitement de texte), munis de documents d'appui (références aux manuels, aux encyclopédies, etc.), et de consignes pour en guider la compréhension. Documents de difficulté variable, en agissant sur la longueur, le thème (plus ou moins familier), l'époque (plus ou moins proche ; déjà étudiée au CM 1 ou non). J'insiste sur le fait que le travail de groupe ne présente pas de difficultés majeures si un effort de préparation préalable est consenti et si on garde une marge de manœuvre suffisante en temps pour pouvoir reprendre collectivement des points qui posent fréquemment problème (au niveau de la lecture ou de la rédaction, ou encore du recours aux ouvrages documentaires : bref, tout ce qui fait de toute façon le quotidien de l'enseignement du français et de l'histoire au cycle III).

     Cette alternance de moments collectifs et de moments de travaux de groupes éventuellement décalés dans le temps les uns par rapport aux autres a une incidence sur les emplacements à retenir pour le matériel informatique. Notre équipe pédagogique a adopté les choix suivants :

  • une salle informatique équipée de dix postes un peu anciens, mais permettant à toute une classe ou presque d'accéder simultanément à un traitement de texte ;
  • un ordinateur multimédia et une imprimante au fond de chaque salle de classe, que l'un ou l'autre groupe utilisera de façon isolée pour rattraper un retard ou prendre de l'avance ;
  • un ordinateur multimédia performant, équipé d'un scanner, d'un appareil photo numérique, d'un graveur, et relié à Internet, placé à la BCD, d'accès aisé. Il sert à tous les traitements d'images (acquisition, tri, etc.) ainsi qu'au montage final du cédérom (sous Publisher, format HTML).

     Enfin, troisième point de l'organisation pédagogique, les moments collectifs. Ils ont plusieurs buts, le principal étant sans doute de garder sa cohésion au groupe classe. C'est en effet dans ces occasions de retour en commun que les différentes paires d'élèves (se) rendent compte de l'avancement du travail ; ils s'aperçoivent alors que le collectif est dans ce cas plus performant que des individus isolés.

     Ces temps d'interaction vont également servir à vérifier le respect des clauses du contrat : les échéances sont-elles respectées ? les travaux sont-ils de qualité ? Et cette hétéro-évaluation est prise en charge non par l'enseignant (qui se réserve l'évaluation des objectifs pédagogiques), mais par la classe dans son ensemble. Là encore, les TIC nous facilitent le travail, aussi bien par la duplication des propositions des groupes que dans leur modification ultérieure quand cela s'avère nécessaire. Sans fichiers sauvegardés, sans la souris et ses copier/coller/déplacer, sans l'ergonomie des traitements de texte (effacement, insertion, mais aussi prise en compte des regrets...), il serait impossible de demander à un élève de reprendre deux fois, trois fois son travail (tous les collègues qui ont autrefois utilisé une machine à écrire pour préparer des stencils connaissent cette angoisse de la faute de frappe). On a le sentiment que grâce à la puissance des calculateurs, la gestion matérielle n'a plus de coût cognitif, on manipule pratiquement des idées !

     Un temps fort de ces moments collectifs a été celui de la confection des index. Il se place à l'issue des travaux de groupe, lorsque toutes les pages sont disponibles. Il commence par une activité de classement thématique et se poursuit par la mise en place des liens intertextuels (voir schéma ci-dessous). Les titres et les relations entre pages sont déplacés sur un tableau magnétique jusqu'à ce qu'une solution satisfaisante, à la fois cohérente et simple, soit trouvée par la classe ; le tout est ensuite recopié sur une affiche avant d'être programmé : même l'utilisation du papier / crayon trouve sa place dans le domaine des TIC.


Extrait de l'architecture hypertexte

Compétences visées

     Meirieu (1995, p. 45) place la pédagogie du projet à l'intersection des méthodes actives et de la pédagogie par objectifs, les premières insistant sur "la nécessité de finaliser les apprentissages en les articulant à des pratiques sociales", la seconde tâchant de mieux repérer les passages obligés pour planifier et organiser ces apprentissages.

     C'est dans cet esprit que je vais détailler sommairement les objectifs disciplinaires qui ont sous-tendu les activités des élèves (voir Programmes de l'école primaire, MEN / CNDP 1995).

En français :

  • langue orale : interview d'une ancienne habitante (utilité de l'informatique : faciliter le passage du dialogue dactylographié, organisé en répliques parfois décousues, au texte documentaire, organisé en paragraphes thématiques, en attendant les traitements de texte à commande vocale),
  • lecture : familiarisation avec des textes narratifs, descriptifs ; sélection d'informations ; variation de mode de lecture ; recherche documentaire (utilité de l'informatique : mettre à la disposition de tous les documents sources, les consignes de lecture, etc.),
  • production d'écrits : rédaction de descriptions, de comptes-rendus, mais aussi de lettres de demande, d'affiches publicitaires (saisie et amélioration au traitement de texte).

En histoire :

  • acquisition de contenus locaux remis dans une perspective nationale,
  • mais aussi confection d'une frise chronologique (motivée par la nécessité de mettre le cédérom en ordre),
  • mais aussi activités de recherche débouchant sur l'élaboration de textes courts : l'élève se fait historien, qui, à l'instar du scientifique, publie ses découvertes (localement ou sur le Web).

En technologie :

  • utilisation raisonnée de l'ordinateur, de ses périphériques (imprimante, scanner, appareil photo numérique, graveur), de quelques logiciels simples (traitement de texte, traitement d'images, navigateur) ; utilisation intensive des principales fonctions des ordinateurs (traitement de l'information, mémorisation, communication),
  • mise en œuvre des étapes caractéristiques de la démarche technologique (élaborer un projet de fabrication et le fabriquer).

En arts plastiques :

  • lecture d'images (procédés de cadrage puis de sélection).

En mathématique :

  • élaboration d'un budget prévisionnel en vue de demander une avance sur recettes...

     Avec une mention spéciale concernant les bénéfices didactiques de la mise au point des index (chronologique et thématique, voir à ce sujet Beaufils et Drouhard 1993, p. 201). Il me semble qu'ils illustrent parfaitement la différence de fonctionnement entre un écrit sur papier et un écrit sur support informatique. Alors que le premier se lit page après page, l'index devenant un sommaire, et que les renvois à des pages autres que voisines sont malaisés, le second autorise de nombreux déplacements. L'index est alors une page sur laquelle on rebondit pour en découvrir d'autres, encore un refuge auquel on retourne quand on s'est un peu perdu dans le document, tant la navigation hypertexte est facile. Mais l'index d'un cédérom est surtout une clarification des contenus proposés au lecteur : c'est sa création par les élèves qui est pour eux la source principale d'apprentissage, en ce qu'elle "demande aux auteurs une analyse globale des informations puis une répartition judicieuse de celle-ci en éléments unitaires" (Beaufils et Drouhard, 1993, p. 208).

Les aspects matériels.

     Une brève parenthèse est nécessaire pour finir, visant à montrer que l'enseignant dans sa classe n'est pas démuni pour résoudre les problèmes matériels que pose un tel projet.

     En effet, une fois que sont réglées les questions pédagogiques habituelles développées précédemment (recherche documentaire, préparation fine des séquences, organisation des modes de travail des élèves), il reste à compléter son information et sa formation dans le domaine de l'informatique.

     Les collègues spécialisés des Inspections Académiques, des IUFM ou du CDDP sont autant de personnes ressources prêtes à dépanner le praticien qui a des demandes précises répondant à un besoin identifié. Et cette formation additionnelle peut s'obtenir non seulement dans des stages prévus à cet effet, mais également de façon plus informelle et plus rapide, en temps réel, à l'occasion de quelques brèves rencontres, par e-mail interposés éventuellement.

C'est ainsi que le choix du format HTML m'a été conseillé (aucun problème de lecture du cédérom n'étant plus possible puisque tout ordinateur multimédia est fourni avec un navigateur, gratuit au demeurant), et que j'ai pu récupérer quelques petits logiciels outils en freeware (pour assurer le démarrage automatique dès l'insertion du cédérom ; pour passer à volonté en mode plein écran). La question des droits d'auteurs a également été débattue à coup d'e-mail, avec les services de l'Inspection Académique et avec la Bibliothèque nationale de France, pour finalement décider de n'utiliser que des images non commercialisées (archives, photos privées, clichés réalisés par la classe).

     Et à l'usage, il est apparu qu'il est bien plus confortable de dupliquer un cédérom qu'un livret sur papier. On y gagne du temps et de l'argent (même en comptant l'amortissement du graveur), une école peut en maîtriser toute la chaîne de fabrication (alors que l'impression en grande quantité et de bonne qualité ne peut se faire sur une photocopieuse), et on peut se payer le luxe de la couleur !

     En imaginant une situation limite et idéale de ce point de vue, il deviendrait judicieux de remplacer les actuels cahiers de sciences, d'histoire et de géographie par un cédérom individuel qui serait gravé tout au long de l'année, au fur et à mesure des découvertes de l'élève, en y intégrant les documents d'étude et d'illustration fournis par l'enseignant ou retenus par la classe.

CONCLUSION : la place des tic dans la pédagogie du projet

     "Une pédagogie de la création implique que les enseignants soient capables de déterminer quelles sont les activités techniques que les élèves, en fonction de leur âge et de leur formation antérieure, peuvent prendre à leur charge" (Carrier 2000, p. 115) : le résultat final est bien sûr modeste, surtout si on le compare aux cédéroms proposés par le commerce, ou si on le juge par rapport aux possibilités offertes par les machines (nous n'avons pas utilisé la vidéo, le son, la connexion à d'autres sites, etc.). Mais l'essentiel demeure que les objectifs d'apprentissages aient été atteints, et à un niveau de formulation correspondant à ce qui est attendu d'élèves de fin du cycle III (Weisser 1997, p. 112), l'informatique restant un simple outil.

     Force est de reconnaître néanmoins que ces compétences disciplinaires ont gagné aux yeux des élèves un surcroît de cohérence et de signification grâce à la médiation du projet. Chemin faisant, la pratique des outils informatiques s'est également affinée, chacune de leurs utilisations tendant vers un même but.

     Carrier (2000, p. 51) indique que les apports du multimédia concernent trois domaines à l'école :

  • l'accès à l'information : les élèves ont pu prendre connaissance de documents inédits, mais aussi les multiplier, les organiser, les rendre accessibles à de futurs lecteurs ;
  • l'attitude personnelle face à l'apprentissage : l'attrait pour la modernité du support retenu et la dynamique de projet ont constitué deux facteurs essentiels de motivation du travail scolaire ; de plus, l'alternance entre les travaux de groupe et les moments collectifs, soutenus par les TIC, favorise l'acquisition de l'esprit critique : il est plus facile de juger du travail d'autrui quand on l'a sous les yeux, il est plus facile d'accéder à une demande de modification de son propre travail quand on sait que c'est aisément faisable ; enfin, s'engager à publier ce qu'on a fait, c'est accepter d'être socialement responsable ;
  • le fonctionnement intellectuel de l'utilisateur : les facilités matérielles évoquées ci-dessus ont permis à l'évidence de consacrer la majeure partie de l'énergie cognitive à la manipulation d'informations, de concepts, d'ensembles déjà signifiants (en histoire, en français, en technologie), alors que si souvent on gaspille du temps et de la patience pour résoudre de petits problèmes techniques (bien découper avec des ciseaux, tracer des traits droits, avoir une écriture lisible et sans ratures...).

     Nous pouvons donc conclure en soulignant qu'un tel travail de longue haleine ne serait pratiquement pas réalisable avec les supports traditionnels : si la pédagogie du projet donne un sens aux acquisitions scolaires, les TIC sont l'un des outils à la disposition de la classe pour obtenir une réalisation socialement satisfaisante. Les TIC, plutôt que de constituer une discipline nouvelle qui va nécessiter un investissement en temps, soulagent l'enseignant d'une grande partie de la gestion matérielle du projet, lui laissant une plus grande disponibilité sur le versant pédagogique.

Marc WEISSER
École élémentaire, Ottmarsheim
Laboratoire d'Intelligence des Organisations,
Université de Haute Alsace
EA 2182, IUFM d'Alsace

BIBLIOGRAPHIE

Baron Georges-Louis, Baudé Jacques, De La Passardière Brigitte (1993), Hypermédias et apprentissages, EPI/CUEEP Lille/INRP, Paris.

Beaufils Alain, Drouhar Jean-Philippe (1993), "Plans hypermédias : élèves auteurs et navigateurs", in Baron, Baudé, De La Passardière, Hypermédias et apprentissages, EPI/CUEEP Lille/INRP, Paris, p. 199 - 214.

Bordallo Isabelle, Ginestet Jean-Paul (1995), Pour une pédagogie du projet, Hachette, Paris.

Carrier Jean-Pierre (2000), L'école et le multimédia, CNDP / Hachette, Paris.

Mayes Terry (1993), "Hypermédias et outils cognitifs", in Baron, Baudé, De La Passardière, Hypermédias et apprentissages, EPI/CUEEP Lille/INRP, Paris, p. 39 - 47.

Meirieu Philippe (1995), Enseigner, scénario pour un métier nouveau, ESF, Paris.

Weiss Marlyse, Gross Marie-Marthe (1987), La pédagogie du projet, A. Colin, Paris.

Weisser Marc (1997), Pour une pédagogie de l'ouverture, PUF, Paris.

Paru dans la  Revue de l'EPI  n° 101 de mars 2001.

___________________
(19 mai 2001)

 

Accueil

Sommaires des Revues